110 km/h sur l’autoroute, une mesure indolore, vraiment ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Si la limite de vitesse est réduite à 110 km/h, on peut faire l’hypothèse que la vitesse moyenne sera ramenée à 103 km/h.
Si la limite de vitesse est réduite à 110 km/h, on peut faire l’hypothèse que la vitesse moyenne sera ramenée à 103 km/h.
©JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP

Automobilistes

La limitation à 110 km/h sur les autoroutes est souvent présentée comme une mesure phare pour lutter contre le changement climatique. Elle fait partie des mesures retenues par la « convention climat », elle est présentée comme indolore et disposant d’une bonne acceptabilité sociale. Pourtant, le gouvernement rechigne visiblement à la mettre en œuvre et cette mesure n’est plus sur la table. Un rapide calcul d’ordre de grandeur va nous aider à comprendre pourquoi.

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Volatile Technoscientiste est Universaliste, Rationaliste et Centriste radical.

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Chaque année, 185 milliards de kilomètres sont parcourus sur les autoroutes françaises, dont 95 milliards sur les autoroutes concédées. En retranchant 7% pour les poids lourds, cela fait 89 milliards de kilomètres, parcourus à une vitesse moyenne de 118 km/h. Cela représente une durée de 86 100 années répartie sur les conducteurs français.

Si la limite de vitesse est réduite à 110 km/h, on peut faire l’hypothèse que la vitesse moyenne sera ramenée à 103 km/h, celle qui est constatée aujourd’hui sur les routes à 2x2 voies. La durée totale passée sur les autoroutes passerait à 98 639 années, soit 12 539 années de vie perdues à conduire sur l’autoroute au lieu de faire des choses plus épanouissantes. 

À titre de comparaison, 248 personnes sont mortes l’an dernier dans des accidents sur autoroute, à un âge moyen de 47 ans. Si on considère qu’elles ont été privées en moyenne de 40 années de vie, cela représente 9 920 années de vie perdues en raison de l’insécurité routière. Ainsi, si on considère que conduire sur l’autoroute est « ennuyeux à mourir », cette mesure du passage à 110 km/h aurait autant d’impact, en ordre de grandeur, que n’en ont aujourd’hui les accidents mortels sur ces mêmes autoroutes.

Sans aller jusqu’à la comparaison, certes outrancière, du temps perdu à conduire avec celui passé dans un cercueil, on peut visualiser le problème en termes de coût d’opportunité. Ce coût d’opportunité représente le manque à gagner pour le conducteur pour le temps qu’il a passé à conduire. À un salaire horaire moyen de 16,40 €, ces 12 539 années de vie représentent, si elles étaient passées à travailler, 1,8 milliards d’euros de revenus.

Même si le temps qui n’est pas passé à conduire l’est à des activités de loisirs ou de repos, il a une certaine valeur. Peut-on évaluer son ordre de grandeur ? Il suffit de voir combien les conducteurs sont prêts à payer pour disposer de ce temps. Rouler à 130 km/h au lieu de 110 consommant (estimation haute) environ 1 litre/100 km supplémentaire, à 2€/litre les 89 milliards de kilomètres parcourus plus vite représentent une dépense supplémentaire de… 1,8 milliards d’euros. Pas si irrationnels, nos automobilistes. Ils sont prêts, pour économiser une heure, à dépenser ce que leur rapporte une heure de travail.

Plutôt que des mesures d’interdiction et de régulation ciblées, la solution généralement préconisée par les économistes pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre et leurs conséquences négatives consiste à internaliser ces externalités négatives. Ceci sous forme de ce qu’on appelle en général, soit la taxe carbone, soit d’un prix du carbone qui se négocie sur les marchés. Ce mécanisme permet à chacun d’arbitrer entre ses dépenses qui provoquent des émissions de CO2, en intégrant celles-ci au prix des produits.

Une tonne de CO2 se négocie actuellement autour de 80 € la tonne sur le marché de gros, avec un objectif cible entre 300 et 1 000 € par tonne pour compenser financièrement les conséquences négatives causées une tonne de CO2. Mais pour le cas particulier du carburant, la TIPCE vaut environ 61 centimes par litre de gasoil et 67 centimes par litre de sans plomb, soit respectivement 228 € et 294 € la tonne de CO2.

Traduction : malgré une taxation trois fois plus élevée à la tonne de CO2 émis sur les carburants que sur les autres biens de consommation courante, les Français font massivement le choix d’acheter du carburant pour se déplacer plutôt que de modifier leur mode de vie, quitte à se serrer la ceinture sur d’autres postes. Cela ne les empêche pas de privilégier des véhicules qui consomment moins, montrant l’efficacité de ce prix du carbone : en 30 ans, la consommation moyenne a diminué de 2l/100 km. Mais l’utilité économique et sociale du transport de personnes reste telle que la taxation ne dissuade pas de rouler, et qu’elle ne dissuade pas même de rouler vite. Le transport met en relation les personnes, c’est un besoin fondamental pour apporter du progrès technique et social.

C’est ce progrès technique qui permettra, avec le passage à l’électrique, de diviser au moins par deux les émissions de CO2, plutôt que de les diminuer de 15 à 20 % avec un passage de 130 à 110 km/h. Mais c’est également lui qui pourrait rendre acceptable la baisse des vitesses sur autoroute. Les longs trajets sont déjà bien plus appréciables qu’ils ne l’ont été : on préférera conduire dans un véhicule confortable et climatisé, en écoutant un livre audio de son auteur préféré, que dans une voiture des années 1990 dont le bruit du moteur couvre presque celui d’un autoradio diffusant un choix de 5 stations accessibles en grandes ondes. 

Pour rendre une mesure de réduction des vitesses réellement indolore pour la majorité, il faut réduire le coût d’opportunité pour le conducteur. Or, la conduite automatique de niveau 3 est à notre portée technique, et elle permettra une automatisation quasi complète dans un environnement bien contrôlé… justement comme les autoroutes concédées. Libéré de ses tâches de conduite, l’automobiliste pourra bien plus facilement accepter de mettre une heure de plus pour arriver à destination, mise à profit pour ses loisirs ou son travail. Un nouvel exemple qui montre que les décroissantistes devraient se rappeler de ce que la préservation de l’environnement doit déjà au progrès technique avant de proposer de se passer de ce dernier.

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