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100ème anniversaire de la déclaration Balfour : petit bilan de l’implication de l’Occident dans le conflit israélo-palestinien
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Ici et là-bas

Le 2 novembre 1917, lord Arthur Balfour, alors ministre des Affaires étrangères de Sa Majesté, s'engagea à ce que la puissance mandataire appuie de «tous ses efforts» la création d'un foyer national juif en Palestine. Les Palestiniens eux ont vivement critiqué le document comme un élément majeur dans la dépossession finale de leur territoire avec la création de l’Etat juif, des manifestations autour de l’anniversaire sont d'ailleurs prévues.

Frédéric Encel

Frédéric Encel

Frédéric Encel est Docteur HDR en géopolitique, maître de conférences à Sciences-Po Paris, Grand prix de la Société de Géographie et membre du Comité de rédaction d'Hérodote. Il a fondé et anime chaque année les Rencontres internationales géopolitiques de Trouville-sur-Mer. Frédéric Encel est l'auteur des Voies de la puissance chez Odile Jacob pour lequel il reçoit le prix du livre géopolitique 2022 et le Prix Histoire-Géographie de l’Académie des Sciences morales et politiques en 2023.

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Atlantico : Cette lettre est considérée comme la pierre fondatrice sur laquelle l'État d'Israël fut édifié trente et un ans plus tard. Cent ans après, quel bilan dressez-vous de l'impact de cette déclaration pour le Moyen-Orient ?

Frédéric Encel :D'abord il faut bien savoir que sur le moment, cette déclaration ne fit pas les grands titres de la presse mondiale ! Nous sommes en novembre 1917, la Russie tsariste sombre dans la révolution et la guerre civile, les Bolcheviks ayant promis de cesser les hostilités, ce qui va permettre à l'Allemagne de ramener sur le front de l'Ouest des dizaines de divisions. Les Américains entrent massivement en guerre, Londres tente de prendre l'Empire ottoman à revers, et l'on se bat même en Afrique. Bref ; des dizaines de millions de soldats, les plus puissantes économies du monde, des millions de kilomètres carrés... Alors autant vous dire qu un simple communiqué ministériel adressé à un particulier - Lord Rotschild - concernant un micro espace déshérité en Méditerranée orientale et que convoite un mouvement politique encore squelettique, on ne voit pas cela comme très révolutionnaire... Ce n est vraiment qu'au terme des années 1920 que la Déclaration Balfour commence à prendre de l'importance, en l'espèce dans le dispositif argumentaire de l'organisation sioniste, laquelle s'y référera urbi et orbi à chaque manquement de la puissance devenue mandataire à sa promesse. Naturellement, les Arabes de Palestine et les leaders et chancelleries arabes de façon générale la rejetteront catégoriquement puisque tous refusent le principe même de l'existence d un "peuple juif". Car ils ne s'y trompent pas ; au fond, si cette Déclaration Balfour a réellement quelque chose de novateur sinon de révolutionnaire, c'est bien en ce qu'elle admet les Juifs comme un collectif non plus (seulement) religieux mais bien politique. Balfour parle bien d'un "foyer national pour le peuple juif". Or qui dit "national" et "peuple", en ce début de XXè siècle travaillé par les nationalismes depuis plusieurs décennies, dit mécaniquement souveraineté. Et même si, prudemment, Balfour n'évoque qu'un "foyer national" et non un Etat (subtilité finalement assez casuistique) - une évidence géopolitique au regard de la volonté des Britanniques d'étendre leur empire -, en mentionnant aussi la nécessité de ne pas entraver les droits des autres habitants de Palestine, le cap est franchi ! Pour la première fois depuis Rome et le deuxième siècle de l'ère chrétienne, la première puissance mondiale reconnaît un peuple juif et son droit à disposer en Palestine (sous-entendu sur sa terre ancestrale, sinon pourquoi pas ailleurs ?) d'une forme de souveraineté.  

J'ajoute que cette Déclaration ne tombe pas du ciel un 2 novembre 1917 parce que le ministre britannique des Affaires étrangères est lui-même pro-sioniste, ou parce que l'ingénieur militaire Haïm Weizmann, chef de l'Organisation sioniste, est très apprécié à la Cour ! Le soutien au sionisme de la Grande-Bretagne remonte aux dernières années du XIXè siècle, et a pour cause géopolitique principale la crainte que des centaines de milliers de jeunes Juifs déshérités et ségrégués dans l'Empire tsariste ne rejoignent les rangs des révolutionnaires marxistes. Mais ceci est déjà une autre histoire...

Alors cent ans après, que dire ? Rétrospectivement, on a tendance à imputer à la désormais fameuse Déclaration Balfour des Etats, des frontières, des guerres et des paix. C'est faire fi de tendances lourdes à l'oeuvre à l'époque (j'en ai brièvement mentionné une), à commencer par la volonté farouche de milliers puis de millions de Juifs de se réapproprier le statut collectif de peuple dont je viens de parler, après dix-huit siècles d'existence culturelle et religieuse en diaspora plus ou moins forcée. Sans sionisme depuis les décennies 1870-80, pas de Déclaration Balfour ! Celle-ci n'a rien créé ; elle a traduit et illustré. Nuance. Quant aux conflits israélo-arabes et inter arabes voire inter-palestiniennes, les imputer au petit texte en question n'a aucun sens. 

Et quel bilan en tirer pour l'Europe ? S'il y a 100 ans le gouvernement britannique était en faveur de la création d'un Etat Juif, comment expliquer la vague antisioniste (voir antisémite) qui traverse le parti travailliste britannique aujourd'hui ? Quelle a été l' évolution des mentalités en Grande Bretagne ?

Entre 1949 et 1956, les rapports furent mauvais entre le tout Etat juif et l'ancienne puissance mandataire accusée par celui-ci d'avoir trahi la lettre et l'esprit de la Déclaration Balfour dans les années 1930 et 1940. Après la campagne de Suez, les choses s'arrangèrent et les eux Etats sont officiellement amis depuis. Cela dit, Berlin, Rome et même Paris depuis dix ans, sans parler de l'Europe de l'est et d'autres Etats occidentaux tels le Canada et l'Australie, entretiennent de meilleurs rapports avec Israël que le Royaume-Uni. Vous évoquez le parti travailliste ; je vous concède qu'il est traversé par un courant violemment antisioniste - voire pire - mais, d'une part, il ne vous aura pas échappé qu'il n'est pas aux affaires, et, d'autre part, le phénomène se retrouve dans d'autres gauches européennes plus ou moins radicales. Je retiendrai surtout que la première ministre s'est officiellement déclarée "fière" de célébrer l'anniversaire de la lettre, et qu'elle le fait en accueillant en grandes pompes son homologue israélien. Le geste est d'autant plus marquant qu'il s'inscrit dans un contexte de blocage du processus de paix israélo-palestinien, et que Benyamin Netanyahou est lui-même Likoud et à la tête d'une coalition nationaliste... Pour le reste, en plein Brexit et dans une atmosphère générale marquée par le terrorisme islamiste, je ne suis pas convaincu que l'opinion britannique accorde une grande importance à un fait historique somme toute assez mineur dans l'histoire du pays.  

Ne peut-t-on pas voir dans cette déclaration un acte unilatéral qui relève plus de la politique impériale britannique que d'un réel soutient ?

Si vous me demandez s'il s'agissait d'un geste humanitaire ou moral en faveur d'un peuple si longtemps martyrisé ou démuni, je vous réponds en souriant avec Hegel que les Etats n'ont que des intérêts ! Surtout quand ils incarnent de grandes puissances impériales. Donc oui, bien entendu, la Déclaration Balfour procède d'une manoeuvre géopolitique. Vous savez, elle ne tombe pas du ciel, parce que le ministre britannique des Affaires étrangères est lui-même pro-sioniste, ou du fait que l'ingénieur militaire Haïm Weizmann, chef de l'Organisation sioniste, est très apprécié à la Cour ! Le soutien au sionisme de la Grande-Bretagne remonte aux dernières années du XIXè siècle, et a pour cause géopolitique principale la crainte que des centaines de milliers de jeunes Juifs déshérités et ségrégués dans l'Empire tsariste ne rejoignent les rangs des révolutionnaires marxistes. Avec Herzl et surtout Weizmann, des notables juifs modérés, pragmatiques, anglophiles (patriote britannique pour le second), Londres pensait pouvoir non seulement canaliser cette jeune masse juive russe vers un horizon politique non marxiste, et l'arracher à l'attrait pour le dangereux léninisme montant, mais aussi affaiblir concomitamment l'Empire ottoman adversaire puis ennemi. C'est dans ce projet géopolitique, extrêmement astucieux, qu'il faut voir la Déclaration ; je l'avais analysé dans l'un de mes précédents ouvrages intitulé Géopolitique du sionisme (Armand Colin, 2009). Mais, à la fin des fins, sa nature et son contexte ne changent rien et j'insiste : sans la puissante lame de fond du sionisme, c'est à dire cette détermination de nombreux Juifs (apparue dans la foulée du printemps des peuples européens) à se réapproprier la langue, les symboles, le système de lois et la terre promise (Eretz Israël) de leurs ancêtres hébreux, Balfour n'aurait rien déclaré du tout ! Les Britanniques n'auraient tout de même pas offert ou imposé à une population un territoire souverain malgré elle... Il se trouve que les intérêts britanniques et les revendications d'une partie du peuple juif ont coïncidé quelques décennies durant, et que dans cette période un alignement de circonstances géopolitiques lourdes s'est effectué en faveur de ce que Henry Laurens a appelé - en titre du tome 3 de sa remarquable Question de Palestine"l'accomplissement des prophéties". Avec ou sans Balfour, un Etat juif souverain serait né tôt ou tard. J'en suis tout à fait convaincu.

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