10 000 articles par jour : voilà l'auteur le plus prolifique de Wikipedia

Sverker Johansson pourrait bien être l'auteur le plus prolifique dont  vous n'ayez jamais entendu parler. Mais ce ne sont pas des livres qu'il écrit. Il écrit bénévolement pour Wikipédia depuis 7 ans. Ce Suédois de 53 ans a écrit 2,7 millions d'articles, soit 8,5% de l'ensemble des papiers, selon l'analyse de Wikimedia, qui mesure le trafic du site. Ses statistiques devancent de loin celles des autres utilisateurs, explique Wikimedia.  

Il a été particulièrement prolifique dans le catalogage des espèces animales obscures, comprenant les papillons et les coléoptères notamment. Il est aussi fier de son travail de connaissance des villes des Philippines. Environ un tiers de ses articles sont téléchargés dans la version suédoise de Wikipedia et le reste est composé de deux versions de langue philippines, dont l'une est la langue maternelle de sa femme.

Sverker Johansson est titulaire d'un diplôme en linguistique, génie civil, économie et physique des particules, il dit qu'il a longtemps été intéressé par "l'origine des choses". Toutefois, la méthode avec laquelle il "écrit" toutes ces entrées ne plait pas à tout le monde. Les puristes de Wikipédia se plaignent de sa méthode. C'est parce que l'essentiel de ses entrées ont été créées par un logiciel robot. Ses détracteurs pensent que les robots supplantent les capacités de créativité des humains.

Des robots pas accessibles à tous

Le programme de M. Johansson récure les bases de données et autres sources numériques d'information, puis pond un article. Dans un bon jour, l'auteur suédois dit que son "Lsjbot" crée jusqu'à 10 000 nouvelles entrées.  Sur Wikipedia, n'importe quel utilisateur enregistré peut créer une entrée. M. Johansson doit trouver une base de données fiable, créer un modèle pour un sujet donné, puis lancer son robot de son ordinateur. Le logiciel recherche les informations, puis publie dans Wikipedia. L'écriture automatique, c'est comme cela que se nomme la technique de Johansonn, est une méthode que connaît bien Marc Foglia, diplômé de l'ENS, et auteur du livre "Wikipédia : media de la connaissance démocratique ?" : "C'est très facile. Il s'agit d'un logiciel d'écriture automatique dont de nombreuses rédactions journalistiques se servent. Ce logiciel compile les informations qui s'affilient au sujet en fait une entrée basique", nous explique-t-il.

Les robots ont longtemps été utilisés par les auteurs pour modifier les entrées sur Wikipedia, et, plus récemment, une quantité plus importante de nouveaux contenus du site est rédigée par des robots. Leur utilisation est réglementée par les utilisateurs de Wikipedia appelés le "Groupe approbations Bot." Aujourd'hui, une part non négligeable des contenus est rédigée de cette façon. Mais attention, tout le monde ne peut pas procéder avec des robots. " N'importe qui ne peut pas réaliser cette oéopération car il faut savoir programmer (entrer des codes). Ce n'est pas grand public.", précise Marc Foglia.

Une méthode qui va contre la pensée d'origine de wikipedia, qui visait à être un instrument de connaissance accessible à tous, permettant de créer et de modifier du contenu librement et gratuitement. "C'est la clé du succès de Wikipédia. N'importe qui peut cliquer sur le bouton "edit". Comme on peut le voir sur le logo, chacun est détenteur d'une parcelle de savoir qu'il va mettre au service des autres.", explique le spécialiste de wikipédia. On est là dans le processus généré par un humain, alors que le robot lui peut se tromper s'ils se trompent dans son assemblage de contenus.

"Créer la démocratie absolue en ligne"

Bien que M. Johansson travaille pour obtenir le consensus sur son projet, lui et ses pairs robots continuent  d'affronter les utilisateurs. "Il y a une minorité bruyante qui ne m'aime pas," a-t-il dit lors d'un discours récent sur ​​son travail. "Je fais ceci pour créer la démocratie absolue en ligne" a déclaré M. Johansson installé à l'Université de Dalarna en Suède.Il estime que Wikipedia devrait un jour être en mesure de dire aux gens tout sur tout. Son robot, qui lui a pris des mois de création et de programmation, est une étape vers la réalisation de cet objectif le plus tôt possible, même si les entrées qu'il crée sont des "rubriques" nus désossées contenant des informations de base.

Achim Raschka est l'une des personnes qui voudrait que M.Johansson  change de cap. Cet allemand, volontaire sur Wikipedia, peut passer des jours à écrire un article de fond sur un seul type de plante, donc forcément son travail est aux antipodes de celui de Johansson. "Je suis contre la production de contenus générés en général", a t-il dit. Il est particulièrement irrité par le "Lsjbot" de M. Johansson, dont  la qualité "n'aide pas les lecteurs et les utilisateurs de Wikipedia." M. Raschka dit que ces éléments "ne contiennent que des informations taxonomiques plus ou moins correctes, pas ce qu'est l'animal et d'autres caractéristiques importantes." D'autres ont fait écho de leurs préoccupations sur les forums de discussion publics. "Concernant la production automatique d'articles sur Wikipedia, je pense qu'il faut souligner la confusion entre information et connaissance", précise Marc Foglia "L'encyclopédie libre" a été créée pour partager des connaissances, et non des informations. L'activité informatique de M. Johansson montre la confusion qui peut régner à ce sujet."

"Toutefois, on soulignera que Wikipedia est utilisée également comme source d'information, et parfois même comme source d'information primaire, comme l'avait montré le rôle de l'encyclopédie lors d'une fusillade en milieu scolaire aux Etats-Unis, les témoins du massacre écrivaient sur l'encyclopédie, dont se servaient les journalistes professionnels comme source", conclut Marc Foglia.

Les robots largement et rapidement précis

M. Johansson admet que les entrées de Lsjbot peuvent être ennuyeuses, mais soutient qu'elle a de la valeur. Prenez, par exemple, un élément de la Lsjbot créé pour le Wikipedia suédois en 2012 sur Basey, une ville d'environ 44 000 habitants aux Philippines. Il contient des coordonnées, la population et d'autres détails. L'année dernière, lorsque le typhon Yolanda a frappé l'Asie du Sud, les journaux expliquaint qu'ils y avaient eu des morts à Basey. M. Johansson avait déjà créé son entrée sur la ville, permettant aux gens d'accéder à une carte, une image et de l'information sur l'endroit où il se trouve la ville. M. Johansson affirme que les informations courtes permettent à d'autres contributeurs, qui en savent plus sur chaque sujet en particulier, de remplir des informations supplémentaires plus tard.