1 enfant sur 5 en dessous du seuil de pauvreté en France : ce que l’on sait maintenant des véritables causes du phénomène<!-- --> | Atlantico.fr
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Un rapport de l'UNICEF affirme qu'aujourd'hui 3 millions d'enfants vivent sous le seuil de pauvreté en France.
Un rapport de l'UNICEF affirme qu'aujourd'hui 3 millions d'enfants vivent sous le seuil de pauvreté en France.
©Reuters

Les misérables

Un rapport de l'UNICEF publié mardi 9 juin affirme qu'aujourd'hui, 3 millions d'enfants vivent sous le seuil de pauvreté en France, soit un sur cinq. Entre chômage de masse et déstructuration de la famille, les facteurs de la pauvreté infantile perdurent et leurs conséquences à long terme s'amplifient.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Laurent Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant, membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Atlantico : Le rapport publié par l’UNICEF établit qu’un enfant sur cinq vit sous le seuil de pauvreté, une situation qui, malheureusement, n'a guère évolué depuis plusieurs années. Comment le contexte économique influe-t-il aujourd’hui sur la pauvreté infantile ? Tous les milieux sont-ils égaux face au chômage ?

Laurent Chalard : Dans le cadre d’une progression des inégalités économiques au sein de la population française, la montée du chômage se traduit dans les classes populaires par une montée de la pauvreté, qui touche consécutivement les enfants. En effet, la perte d’un emploi entraîne le glissement progressif du ménage vers une situation de pauvreté lorsque le chômage s’inscrit dans la longue durée, or ce dernier a tendance à augmenter fortement ces dernières années, et/ou lorsque le nombre d’enfants est relativement important. Les couples qui ont un enfant unique ne se retrouvent pas dans la même situation que les familles nombreuses, où la situation peut très rapidement devenir compliquée sur le plan financier.

Bien évidemment, être au chômage n’a pas les mêmes conséquences dans un couple où les deux parents sont cadres avec des provisions financières importantes que dans un couple où les deux parents sont ouvriers et/ou employés, sans aucune réserve financière. C’est d’autant plus vrai dans le cadre des familles monoparentales, où une mère cadre arrivera à joindre les deux bouts grâce à des allocations élevées, ce qui n’est pas le cas d’une caissière de supermarché par exemple. L’inégalité sociale perdure donc aussi face au chômage.

Nicolas Goetzmann : La pauvreté des enfants, en France comme ailleurs, est une tautologie de la pauvreté au sens général. C’est le contexte socio-économique des parents, mêlé à l’évolution de la composition des familles, qui imprime la réalité décrite par le rapport de l’UNICEF sur la pauvreté des enfants. Parce que cette situation de la pauvreté infantile dépend avant tout de la position des parents sur le marché de l’emploi, et de l’existence d’un, ou de deux revenus au sein d’un ménage. Et les deux facteurs sont en cause. Puis, depuis 2008, le contexte de crise se greffe sur cette situation, parce que l’absence de croissance ne mord pas avec la même force sur toutes les franges de la population, ce qui se révèle notamment avec le différentiel du taux de chômage en fonction des catégories socio-professionnelles de population. Ainsi, depuis que la France est entrée en crise, le taux de chômage des cadres n’a été que faiblement impacté, passant de 2,8% en 2007 à 3,9% en 2013. Inversement, si l’on prend le cas des ouvriers non qualifiés, le taux de chômage est passé de 14,7 à 20,6% sur la même période. Nous ne sommes donc pas tous égaux face au chômage et un contexte de crise se propage bien plus largement chez les plus fragiles et leurs familles que dans les couches les plus aisées de la population. Le même constat peut être fait à propos des contrats précaires, contrats courts, CDD, qui touchent plus largement ces mêmes populations, et qui forment une catégorie de travailleurs pauvres. Le chômage touche donc principalement la partie de la population qui a déjà un  niveau de vie inférieur à la moyenne, pour en arriver à une situation ou la moitié des chômeurs en France touchent moins de 500 euros par mois, si l’on tient compte que 35% d’entre eux ne touchent aucune indemnité. Ainsi, et aussi évident que cela puisse paraître, l’incapacité du pays à retrouver un niveau de croissance conforme à son potentiel agit de façon démultipliée sur les familles ayant les plus faibles revenus.

En quoi les profondes déstructurations du modèle familial, qui ont commencé il y a plusieurs dizaines d’années, ont elles un impact sur la pauvreté des enfants ?

Laurent Chalard : L’une des évolutions les plus profondes de nos sociétés développées depuis les années 1960 est la fin du modèle de la famille de deux parents avec des enfants. En effet, du fait de la très forte augmentation des séparations de couples avec enfants, qu’ils soient mariés ou non, de plus en plus d’enfants grandissent une partie de leur vie uniquement avec un seul parent. Or, toutes les études montrent que les familles monoparentales sont les plus fragilisées socialement car un seul revenu, lorsqu’il est faible et/ou intermittent, s’avère insuffisant lorsqu’une mère de famille a plusieurs enfants à charge. Les enfants pauvres sont donc de plus en plus des enfants vivant avec un seul parent.

Nicolas Goetzmann : En effet, l’évolution de la structure des familles est un facteur explicatif de la pauvreté infantile du pays. Depuis la fin des années 50, et en conséquence de l’augmentation continue des cas de divorces, le nombre de personnes qui composent un ménage tend à baisser, ce qui met en avant la présence de plus en plus forte des familles monoparentales. Lorsqu’un père ou une mère quittent le foyer, c’est aussi un revenu en moins. Ainsi, à la fin des années 60, moins de 8% des enfants vivaient dans une famille monoparentale, ils sont près de 20% aujourd’hui.

Et ce phénomène signifie l’existence d’une forte augmentation du nombre de foyers ne disposant que d’un seul revenu. Or, selon les chiffres publiés par l’INSEE, la pauvreté touche 36% des familles monoparentales. Dans ce cas précis, le fait d’avoir un emploi ne suffit plus. Car si 67,8% des mères inactives sont en situation de pauvreté, les mères actives sont aussi très lourdement touchées : 30.7% d’entre elles sont pauvres. Tout comme 21% des pères seuls. C’est bien la famille monoparentale qui subit la pauvreté avec la plus forte intensité. De la même façon, le nombre d’enfants nés hors mariage est passé de 37% en 1994 à 57% en 2013. Dès lors, il ne s’agit pas simplement de déplorer ou de regretter cette évolution de la structure des familles dans le temps, mais de prendre en compte cette nouvelle réalité pour traiter plus efficacement la pauvreté, et notamment celle des enfants. 

Au-delà de l’impact de ces modifications, un facteur traditionnel joue toujours un rôle : celui du taux de fécondité différentiel selon les milieux et les origines. De quelle façon ?

Laurent Chalard : En-dehors du cas spécifique d’une très haute bourgeoisie catholique à fort taux de fécondité, groupe aux effectifs limités à l’échelle nationale, la fécondité est traditionnellement plus élevée dans les catégories populaires que dans les classes moyennes, ce qui sous-entend que cela gonfle mécaniquement le nombre d’enfants grandissant dans un contexte de pauvreté. C’est particulièrement vrai concernant les enfants issus de l’immigration extra-européenne, qui grandissent, en règle générale, dans des familles beaucoup plus nombreuses que le reste de la population (la fécondité des femmes immigrées maghrébines est estimée à 3 enfants par femme contre environ 1,8 enfant par femme pour les « autochtones »), alors que leurs parents occupent souvent des emplois peu rémunérés, voire n’ont pas d’emplois. En conséquence, la pauvreté infantile s’avère être une conséquence mécanique de l’immigration.

L’arrivée de flux migratoires sur le territoire français peuvent également expliquer la paupérisation infantile. De quelles données dispose-t-on sur ce phénomène ?

Laurent Chalard : Malheureusement, pour tout ce qui concerne les flux migratoires en France, les données dont nous disposons ne sont pas fiables et/ou sont inexistantes, l’origine ethnique de la population étant rarement prise en compte, ce qui rend difficile la mesure des phénomènes. En effet, nous ne disposons pas de statistiques globales de la population entrante sur le territoire. En conséquence, il est impossible de déterminer la part des enfants issus de l’immigration parmi les enfants pauvres. Cependant, de manière indirecte, nous savons qu’elle est beaucoup plus importante que pour la population autochtone. 

En quoi la pauvreté infantile est-elle, elle-même, facteur de pauvreté future ? Quelle est la nature de ce cercle vicieux ?

Laurent Chalard : L’être humain est marqué par le milieu social dans lequel il vit. En conséquence, s’il grandit dans un milieu pauvre, il a dès le départ un désavantage lié au manque de capital financier, indispensable pour faire des études supérieures. Parallèlement, il aura tendance à reproduire certains comportements spécifiques à son milieu d’origine, qui ne sont pas propices à une sortie de la pauvreté. Un exemple est le rapport à l’école, les enfants pauvres ont une plus forte tendance à rejeter le système scolaire, alors que c’est bien souvent leur unique bouée de sortie de leur situation d’origine, car cela n’est pas valorisé dans leur milieu, en particulier chez les garçons. De même, l’adoption de comportements à risque (violence, alcool…), pénalisante pour la réussite professionnelle, sera plus importante. 

Nicolas Goetzmann : Ce constat a été clairement mis en évidence dans une étude menée aux Etats Unis, plus précisément à Baltimore, sur une période de 30 ans, en suivant 800 enfants de l’école publique. Seuls 33 enfants issus des revenus les plus faibles avaient pu profiter de l’ascenseur social, en atteignant le niveau de revenu supérieur à l’âge de 30 ans. Et la cause majeure de cet échec est l’éducation, car seuls 4% des enfants issus de familles à revenus faibles étaient diplômés. Et cette réalité peut très bien s’importer en France. Parce qu’ici aussi, et sans surprise, le niveau de diplôme des enfants est fortement corrélé à leurs origines sociales. Il s’agit même du facteur prédictif le plus important.
En France, un enfant d’ouvrier a cinq fois plus de chances de se retrouver sans aucune formation qu’un enfant de cadre. Plus le niveau de diplôme est élevé, et plus la proportion d’enfants de cadres est importante. Moins les diplômes sont élevés, plus les enfants d’ouvriers sont représentés.

Origines sociales et taux de représentation par diplôme

Les situations sociales se reproduisent, ce que confirme une étude du CEREQ qui pouvait ainsi indiquer qu’ « un enfant de cadre a quatre fois plus de chances qu’un enfant d’ouvrier de devenir lui-même cadre au bout de trois ans de vie active et deux fois moins de risque d’être au chômage ». La conclusion essentielle est que la lutte contre la pauvreté des enfants est une lutte contre la cause majeure de la pauvreté future. Il s’agit d’une priorité absolue.

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