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Terrorisme : la résilience de fer des Français
©LUDOVIC MARIN / AFP

Dur comme l'acier ?

Alors que la perception de la menace reste élevée, comment analyser la résilience des Français face à cette problématique de la lutte contre le terrorisme ?

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Alors que la perception de la menace restait élevée pour 93% des Français en mars dernier, 46% d'entre eux faisaient confiance au gouvernement pour faire face et lutter contre le terrorisme (IFOP-FIDUCIAL-SUD RADIO). Dans le même temps, au cours de l'année 2017, la France voyait une baisse de 16% des actes racistes, antisémites et anti-musulmans sur son territoire, selon les chiffres fournis par le ministère de l'intérieur. Au regard de tels chiffres, comment analyser la résilience des Français face à cette problématique, notamment suite aux nouvelles déclarations du FN ou des LR ? Les Français achètent-ils cette stratégie ?

Vincent Tournier : L’opinion est inquiète, ce qui est logique, et elle témoigne d’une confiance limitée dans le gouvernement. Ce n’est pas étonnant car rien ne permet d’être franchement optimiste. L’amélioration des statistiques sur le racisme est trompeuse. D’abord, une grande partie des actes racistes depuis 2000 sont de nature antisémite. En comparaison, les actes antimusulmans sont très rares. Or, si les actes antisémites sont en baisse depuis deux ans, c’est sans doute moins parce que la situation s’améliore que parce que les juifs déménagent, ou parce qu’ils font plus attention dans leur vie quotidienne, ou encore parce que les synagogues sont hyper-protégées par l’armée. Ensuite, avec les violences, on a affaire à des cycles. Or, un nouveau cycle de violence antisémite risque de se produire en raison des tensions récentes dans la bande de Gaza.

De son côté, le gouvernement fait tout pour minimiser les choses. Le silence d’Emmanuel Macron après le dernier attentat de Paris est très significatif : hormis un bref communiqué sur twitter, celui-ci n’a pas voulu interrompre ses vacances au fort de Brégançon et n’a même pas pris la peine de publier un communiqué sur le site de l’Elysée. Manifestement, il entend faire le dos rond. C’était déjà la stratégie qu’il avait adoptée après l’attaque de Trèbes de mars dernier : le gouvernement avait alors écarté toute idée de réforme en matière de sécurité et avait centré toute sa communication sur l’hommage national rendu au gendarme Arnaud Beltrame. Avec cet hommage, il s’agissait évidemment de faire diversion, de privilégier l’unité nationalité au détriment de tous les débats sensibles concernant la radicalisation, l’islam, les fichés S, voire les procédures de naturalisation. Avec cette nouvelle attaque à Paris, on est dans la même logique : l’exécutif a clairement indiqué qu’il n’entendait pas lancer de nouvelles réformes. Il considère qu’il a fait ce qu’il fallait. Cette stratégie attentiste se mesure aux réactions relativistes que l’on a pu entendre : on a ainsi vu le député LERM Jean-Michel Fauvergue, ancien responsable du RAID, comparer les prêches en arabe aux messes en latin, comme en avril dernier Christophe Castaner, le porte-parole du gouvernement, avait comparé le voile islamique au voile catholique. De telles comparaisons sont évidemment absurdes, et il est fort à parier que leurs auteurs n’y croient pas eux-mêmes, mais elles illustrent l’embarras de la majorité qui cherche à tout prix à botter en touche. C’est plutôt efficace : par exemple, l’attaque menée par un Tchétchène naturalisé n’a débouché sur aucun débat de fond concernant les procédures de naturalisation ou la politique de l’asile. Il y aurait pourtant beaucoup à dire sur ces sujets : est-il légitime de donner la nationalité à des fondamentalistes ? Doit-on accueillir toutes les personnes persécutées dans le monde, y compris lorsqu’elles constituent une menace pour nous ?

Tous ces débats sont inenvisageables aujourd’hui parce qu’ils entrent en contradiction avec la doxa du gouvernement. Il suffit de lire le dernier grand discours d’Emmanuel Macron, celui qu’il a prononcé le 10 mai dernier à Aix-la-Chapelle lors de la réception du prix Charlemagne. Dans ce discours, le président a répété pas moins de 16 fois le mot « peur », en général sous la forme « n’ayons pas peur » (en l’occurrence peur de l’ouverture, peur de l’autre, etc.). Mais au nom de quoi ne doit-on pas avoir peur ? N’y a-t-il pas parfois de bonnes raisons d’avoir peur ? Partir du principe que nul ne doit jamais avoir peur, que la peur est en soi une mauvaise attitude est aussi faux que dangereux. Lorsqu’il y a un danger, comme c’est le cas aujourd’hui, la peur est une bonne réaction : c’est elle qui permet de trouver des parades. Mais évidemment, la peur est aujourd’hui difficilement compatible avec les projets d’ouverture et d’accueil. Admettre que la peur puisse être fondée obligerait à faire des réformes, à engager de nouvelles actions, à faire des choix difficiles. 

Selon un sondage IFOP pour Atlantico réalisé en juin 2017, 63% des Français étaient "Plutôt favorable à ce que toutes les personnes qui font l’objet d’une fiche « S » soient arrêtées et emprisonnées car l’Etat ne doit prendre aucun risque dans la période actuelle ", un chiffre largement majoritaire mais en baisse de 11 points entre novembre 2015 et juin 2017. Comment évolue la perception des Français face à la menace terroriste ? Serait-on en train de passer d'une phase de réaction, d'indignation, à une phase différente ? Les discours politiques sécuritaires perdent-ils ainsi de leur attrait ?

Il faut rester prudent : rappelons par exemple que, d’après un sondage récent d’Odoxa pour Le Figaro, une large majorité des Français souhaitent toujours interdire le salafisme, placer en rétention administrative les personnes fichées S, expulser les étrangers fichés S, et même rétablir l’état d’urgence. Ceci dit, il est vrai que nous ne sommes plus comme en 2015-2016, lorsque les attentats avaient semé l’effroi en France. Le terrorisme s’est banalisé, presque routinisé. L’attitude des médias a changé ; on voit bien qu’ils n’adoptent plus la même attitude par rapport aux attaques djihadistes, ils semblent rodés, ils n’apostrophent plus les responsables politiques, même s’ils n’ont jamais été très offensifs à leur égard. De même, le gouvernement est beaucoup plus modéré dans ses réponses. La proposition de François Hollande sur la déchéance de nationalité a sans doute servi de leçon : l’exécutif ne veut plus prendre le risque de lancer une proposition qui pourrait cliver sa majorité. Quant aux Français, ils ont maintenant des opinions bien arrêtées sur le terrorisme, ils ont leur grille de lecture. Les uns se veulent rassurants, les autres dramatisent. Dans tous les cas, chaque nouvelle attaque n’a plus beaucoup d’effets et ne fait que conforter les grilles de lecture de chacun. Cela vaut pour les intellectuels : les clivages sont désormais solidement ancrés, les lignes ne bougent plus. Ce sont toujours les mêmes réactions. Les tribunes dans la presse sont devenues prévisibles.

Cette inertie intellectuelle empêche d’analyser sereinement la réalité. Il n’y a qu’à voir la façon dont a été reçu le livre des sociologues Olivier Galland et Anne Muxel. Ce livre est le premier à proposer une enquête sérieuse, documentée, approfondie sur les jeunes musulmans en France. Il apporte des résultats particulièrement inquiétants sur le nouvel obscurantisme religieux, tordant au passage le cou à nombre d’idées fausses, notamment l’idée qui veut que la radicalisation soit liée à l’exclusion sociale ou aux discriminations. Mais ce travail n’a provoqué aucune réaction officielle, personne n’a proposé d’en tirer des conséquences en termes de politiques publiques, de programme d’action. Si l’on en croit pourtant ces résultats, il faudrait engager très rapidement des réformes importantes, radicales même tant l’ampleur de la tâche semble immense, des réformes touchant à la fois l’éducation, l’intégration, l’immigration, la nationalité, la laïcité. Mais pour l’heure, tout ceci est superbement ignoré, à tel point que l’on finit par douter de l’utilité des sciences sociales. Bref, on est entré dans une sorte de phase d’attente ou de stagnation qui risque de durer longtemps. 

Dans un scénario probable du maintien d'un haut de niveau de menace sur le pays, quelles sont les anticipations pouvant être faites sur son impact sur les Français ? FN et LR ont-ils intérêt à modifier leur approche sur ces questions ?

Tout va dépendre de la façon dont les attaques terroristes vont évoluer. Si on en reste à des attaques relativement mineures, comme celle qui vient de se produire à Paris, la stratégie minimaliste de la part du gouvernement peut continuer encore longtemps. Celui-ci fait probablement le pari que le pire est derrière nous, ou alors que les services de sécurité ont désormais tous les outils à leur disposition pour empêcher des attaques importantes, des attaques coordonnées et destructrices. Seules peuvent passer les attaques individuelles. Il mise probablement aussi sur une diplomatie apaisante à l’égard des djihadistes : par exemple, il bombarde la Syrie de Bachar-el-Assad en pensant calmer les sunnites, il prend ses distances à l’égard d’Israël, il ne communique pas sur sa guerre dans le Sahel, il passe des accords avec les pays du Proche-Orient et du Maghreb, y compris pour recevoir des imams étrangers pendant le ramadan. En outre, il retarde le plus possible ses annonces tant attendues sur la réforme de l’islam en France, écartant sur tous les sujets qui fâchent comme le voile dans les universités ou lors des sorties scolaires, le contrôle du financement et des imams, la politique de l’immigration et de l’asile, etc. Cette politique d’apaisement peut réussir si la situation se maintient, mais elle risque de voler en éclat si la France subit de nouvelles attaques massives équivalentes à celles de Nice ou du Bataclan. De son côté, la droite républicaine fait le pari inverse : elle part visiblement du principe que la situation ne va pas s’améliorer, que d’autres attaques vont avoir lieu. Si cela se produit, elle sera effectivement en position de force. Le problème est que, si son analyse est juste sur le moyen terme (car on ne voit pas pourquoi les causes profondes qui ont produit le djihadisme seraient amenées à disparaître comme par enchantement), elle peut se tromper sur le court terme, disons dans les quatre ans qui viennent, jusqu’aux prochaines élections.  Le problème est que chacun a intérêt à poursuivre sa logique : le gouvernement a intérêt à miser sur la modération et la droite sur une certaine radicalisation dans ses propositions. Ce faisant, le rapprochement devient plus difficile, alors que l’heure supposerait au contraire un certain consensus.

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