Taxis ambulanciers, médicaments génériques, déremboursement... : la sécu veut rationaliser ses dépenses mais est-elle prête à le faire vraiment ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Cette réforme des transports médicaux a pour but de mettre en place un système moins coûteux pour les malades et donc à terme pour la sécurité sociale
Cette réforme des transports médicaux a pour but de mettre en place un système moins coûteux pour les malades et donc à terme pour la sécurité sociale
©Reuters

Urgences

La réforme du transport médical ayant provoqué la grève des syndicats de taxis, les réformes de l'assurance maladie sont en marche. A long terme, les changements vont devoir être plus drastiques.

Bruno Palier

Bruno Palier

Bruno Palier est directeur de recherche du CNRS à Sciences Po (CEE).

Il est docteur en sciences politiques, agrégé de sciences sociales et ancien élève de l’école normale supérieure de Fontenay Saint Cloud.

Il travaille notamment sur les réformes des systèmes de protection sociale en France et en Europe.

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Atlantico : Déremboursements de médicaments, réforme du système de transport médical entraînant la grève des syndicats de taxi : la survie de notre système de protection sociale nécessitent des changements. Les mesures actuellement privilégiées par le gouvernement sont-elles les bonnes ?

Bruno Palier : Avant tout, il est important de comprendre que cette réforme des transports médicaux a pour but de mettre en place un système moins coûteux pour les malades et donc à terme pour la sécurité sociale. L’idée n’est donc pas de les en priver mais plutôt des les rendre plus accessibles tout en restreignant l’usage des taxis et des ambulances à des tarifs que la France ne peut plus s’offrir.

Pour avoir une réflexion objective sur la question des réformes de l’assurance maladie, il faut comprendre qu’il est naturel et souhaitable que nos dépenses de santé augmentent puisque celles-ci correspondent aux progrès médicaux et à l’allongement de la durée de vie. Si l’on admet, comme les chiffres le montrent, que les Français ne veulent en aucun cas voir baisser leur niveau de santé, il faut absolument que nous puissions maintenir une qualité de vie excellente aussi longtemps que celle-ci dure tout en équilibrant le budget de la sécurité sociale. Qui plus est, les dépenses de santé sont à la baisse dans tous les pays de l’OCDE, ou presque, en raison de la crise des systèmes de santé et de la régulation de celle-ci. En France, le rapport entre les dépenses de santé et la qualité des soins est plutôt satisfaisant mais peut clairement être amélioré à condition de réformer notre système en l’organisant plus intelligemment. Notre voisin suédois, par exemple, dépense moins et obtient de manière générale de meilleurs résultats de santé tout comme le Japon.

Comment fonctionnent les systèmes de santé de ces deux pays ? Comment s’en inspirer ?

Au Japon comme en Suède, les professionnels de la santé sont financés sur une base de tarification et perçoivent des honoraires qui sont tous les mêmes au Japon et sont rémunérés par système de salaire en Suède. Sans qu’il n’y ait de disparité de revenus trop forte, les médecins suédois et japonais sont en moyenne mieux payés que les médecins français. Ces derniers sont mal payés et le fait de les rémunérer à l’acte a un effet inflationniste. Évidemment même si les médecins de ces deux pays sont mieux payés, il n’y a pas de grands médecins qui gagnent énormément d’argent.

Enfin, l’un des sujets sur lequel doit absolument évoluer l’assurance maladie est l’intégration des soins primaires, ambulatoires ou de premiers recours. En France, ceux-ci sont complètement éclatés, les malades vont voir un médecin puis un autre, ils vont faire des tests dans un laboratoire, des radios ailleurs et refont leurs examens s'ils doivent aller à l'hôpital. Cette logique complètement incohérentes recoupe d’ailleurs la problématique du transport médical car si une personne ne pouvant pas se déplacer était amenée à faire un tel parcours, les frais de transports seraient considérables. De plus, cela augmente l’inefficacité des soins en ajoutant aux risques de non recoupement des informations et des prescriptions contradictoires. En Suède, toutes ces activités sont regroupées dans des centres de santé et au Japon, elles le sont dans des « mini cliniques » dirigées par des médecins généralistes et elles regroupent quelques lits, du matériel d’analyse et d’examen. Ces structures gèrent à elles seules plus de deux tiers des cas là où les Français sont très rapidement dirigés vers les spécialistes ou les hôpitaux. Une réforme comme celle-ci est cruciale car elle répondrait aussi bien à la question des déserts médicaux et de la volonté des médecins d’accéder à des conditions de travail et une rémunération plus stable.

Pour conclure, je dirais que je suis à la fois optimiste et pessimiste. Optimiste dans le sens où la courbe des dépenses de santé est à la baisse et que la France a déjà commencé à prendre des mesures allant vers les points que j’évoquais plus haut comme la mise en place du parcours de soins. Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, puis repris par Madame Touraine, a commencé à s’élever un plaidoyer pour le développement des centres médicaux bien que cela ne soit pour l’instant qu’à l’état de d'annonces. Ont également progressé les systèmes alternatifs de rémunération des médecins appelés aujourd’hui P4P (pay for performance) qui peuvent progressivement venir compléter à la rémunération à l’acte pour les soins courants ou le suivi de patients atteints de pathologies chroniques. Pourtant, réformer quelque chose d’aussi lourd soulève naturellement beaucoup de résistance et d’incompréhension notamment car les effets ne se verront pas immédiatement et il est donc nécessaire de prendre des mesures à court terme. Pessimiste car les mesures à court terme passent par une privatisation partielle de l'assurance maladie, et des frais supplémentaires pour les patients.

Quelles sont ces dépenses prioritaires auxquelles il faudrait s’attaquer pour rééquilibrer le budget à court terme ? La mise en place d’un système de protection sociale mixte est-elle nécessaire à son sauvetage ?

En matière de déremboursement, la marge de manœuvre est assez faible car cela sera en fait pris en charge par les mutuelles. Ainsi, L’immense majorité des Français ne s’apercevra même pas de ces changements jusqu’au moment où ils regarderont le montant de leur cotisation. Le problème qu’implique cette logique de transfert est qu’elle conduit à privatiser progressivement l’assurance maladie et ainsi à faire correspondre niveau de protection et niveau de revenus. Il s’agit là d’un facteur d’inégalité très fort qui peut entraîner un renoncement aux soins pour les plus défavorisés d’entre nous, c'est une logique très négative qui ne correspond pas le moins du monde à ce qu’attendent les Français de leur système de soin.

Les pratiques des professionnels de la santé sont de plus en plus souvent remises en cause. Le rééquilibrage du budget de l’assurance maladie passe-t-il par une réforme de la formation des professionnels de la santé ou par une plus grande responsabilisation des patients ?

Il faut arrêter avec la responsabilisation des patients car jusqu’à preuve du contraire ce sont bien les médecins qui prescrivent les médicaments et pas l’inverse. J’ai du mal à imaginer un monsieur, car c’est souvent le cas bien que cela tende à changer, avec douze ans d’études dans les bottes et qui se retrouverait d’un coup, face à un patient, comme un petit garçon obéissant à des ordres. C’est toujours le médecin qui tient le stylo. En réalité, cette course à la prescription est due à la compétition naturelle qui s’installe entre les médecins et qui est directement imputable à la structure de l'offre des soins en France et à la rémunération à l’acte.

La formation continue pour les médecins ne cessent de s’améliorer et la sécurité sociale leur permet maintenant de se former sur leur temps de travail plutôt qu’en lisant des publications la nuit comme c’était historiquement le cas. Il s’est également créé une haute autorité de la santé où sont nommés de grands professeurs de médecine, et non pas de technocrates, qui établissent des protocoles pour indiquer aux médecins comment réagir et prescrire face aux comportements et aux pathologies et ainsi améliorer l’efficacité du dialogue et la prescription de produits certifiés comme étant efficaces.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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