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"Point cardinal" : Thème essentiel, roman brillant
©Reuters

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Doit-on être ce que voient les autres, ou faut-il choisir d'être soi? Le dernier roman de Léonor de Recondo constitue une variation originale, profonde et passionnante sur cette question éternelle.

 Hélène Kolsky pour culture-tops

Hélène Kolsky pour culture-tops

Hélène Kolsky est chroniqueuse pour Culture-Tops.

Culture-Tops est un site de chroniques couvrant l'ensemble de l'activité culturelle (théâtre, One Man Shows, opéras, ballets, spectacles divers, cinéma, expos, livres, etc.).
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LIVRE
Point cardinal
de Léonor de Recondo
Ed. Sabine Wespieser
RECOMMANDATION : EXCELLENT
THEME
Sur le parking d’un supermarché, dans une petite ville de province, une femme se démaquille. Enlever sa perruque, sa robe de soie, rouler ses bas sur ses chevilles : ses gestes ressemblent à un arrachement. Bientôt, celle qui, à peine une heure auparavant, dansait à corps perdu, sera devenue méconnaissable.
Laurent, en tenue de sport, a remis de l’ordre dans sa voiture. Il s’apprête à rejoindre femme et enfants pour le dîner. Avec Solange, rencontrée au lycée, la complicité a été immédiate. Laurent s’est longtemps abandonné à leur bonheur calme. Sa vie bascule quand, à la faveur de trois jours solitaires, il se travestit pour la première fois dans le foyer qu’ils ont bâti ensemble. À son retour, Solange trouve un cheveu blond…: Laurent est une femme. Reste à convaincre ceux qu’elle aime d’accepter Lauren.
POINTS FORTS
Le livre marche sur le fil tenu de cette discrète ténacité, et de cet irrépressible besoin de tolérance. Etape par étape, nous sont dévoilées les avancées de sa transformation, qui devient contagieuse : à son contact, chacun change aussi, et révèle ce qu'il a de plus enfoui. La colère pour certains, la compassion pour d'autres. Et tant d'infimes mouvements d'âme que Léonor de ­Récondo excelle à saisir dans leur fragilité. Chez elle, tout part toujours du corps, substance délicate qu'elle travaille dans une plénitude respectueuse. La ­romancière a l'art de traquer le calme intérieur des êtres, même dans les plus grandes tempêtes. Elle s'intéresse à l'endurance, cette force qui mêle la confiance et la rage.
 Avec des phrases limpides et d’une poignante justesse, elle trace le difficile parcours d’un être dont toute l’énergie est tendue vers la lumière. Pas de fard ni de froufrous, pas d'apprêts ni d'artifices, dans la langue de Léonor de Récondo. Le sujet de son ­roman s'y prêtait, pourtant. Quoi de mieux que des mots simples pour dire la sensation de l'évidence ? Car Laurent vit son changement de sexe comme une mue naturelle, une évolution inéluctable, et la clandestinité lui sied mal.
 La question du changement de sexe est traitée avec maîtrise sans fausses notes, dans un style vif et concis qui contribue à la pertinence du propos. Léonor de Récondo aborde avec tact la problématique de la transsexualité. Thème peu présent en littérature, elle réussit l’exercice haut la main. Exercice périlleux qui consiste à interroger dans une langue déliée, dépouillée et crue mais sans aucune férocité excessive la notion d’identité. Elle n’envisage pas seulement le récit à travers le prisme de la personne concernée, mais se glisse dans la peau de chacun des membres de sa famille et décortique leurs réactions.
Question essentielle que pointe le titre: la personne se définit-elle par son genre, et sa sexualité, par son identité sexuelle ? En d’autres termes : un époux et père de famille peut-il se travestir en secret , certaines nuits, sur un parking, pour aller danser chez les transsexuels , puis se démaquiller et se rhabiller en homme pour reprendre sa place dans le foyer ? Et, à la fin, changer carrément de sexe mais sans qu’au fond rien ne change ?
La force de "Point cardinal" est de ne pas embrasser une dimension politique ou sociologique. Léonor de Récondo ne se prétend pas la porte-parole d’une cause politique, mais traite en romancière un sujet de société. Elle appose des mots simples sur des émotions complexes sans chercher à éveiller la compassion chez le lecteur. Et c’est justement cette concision, cette limpidité des propos tenus, qui touchent le lecteur en plein cœur. Elle décrit merveilleusement bien ce sentiment fulgurant qui traverse Laurent lorsqu’il comprend que c’est enfin possible, que de devenir une femme n’est plus un fantasme mais est à portée de main. Elle souligne le caractère égoïste de cette transformation, certes inéluctable. Laurent impose son choix à sa famille, entame seul les démarches. Cette décision prise unilatéralement touche tout le monde par ricochets et entraîne toute sa famille dans son sillage. Le futur de chacun des membres de cette famille en sort transformé. Léonor de Récondo dissèque les réactions de chacun, les met à nu. Quelle figure paternelle substituer à celle avec laquelle on a grandi et qui aujourd’hui revêt les traits d’une femme ? Se pose également la question de la sexualité dans le couple. La légèreté de Laurent et sa naïveté peuvent toucher comme agacer. Léonor de Récondo nous laisse libre juge de notre ressenti. Tout est dit de façon juste, pudique, délicate et sensible dans ce récit où le "Il" devient progressivement "Elle".
POINTS FAIBLES
Je n’en vois pas: ça passe ou ça casse...
EN DEUX MOTS
C’est l’histoire bouleversante d’une transformation, sans voyeurisme, et d’un couple en pleine tempête. La mue inéluctable d'un père de famille qui a choisi d'être femme. La mue, aussi, de son entourage... Une histoire forte servie par une écriture limpide.
UN EXTRAIT
Ou plutôt quatre:
- « Mais il ya autre chose que je veux que vous sachiez. Une chose dont je n’ai jamais douté. Si je ne me suis jamais senti homme, je me suis toujours senti père »
- « L’entraînement à la salle de sport, c’est l’excuse de Laurent. Tout a commencé à cause de ses douleurs et d’une furieuse envie de maigrir. Pendant plusieurs mois, à l’extérieur et en salle, il a pédalé sans relâche. Il reprenait son corps en main, les effets étaient grisants. Muscles affinés, peau tendue et surtout jambes épilées. »
- « Quand Solange l’avait vu sortir de la salle de bains les jambes rasées, elle l’avait regardé, éberluée. Il avait justifié son geste par la prise au vent, oui, même en salle, avait-il ajouté, et la transpiration se répartit mieux, tu sais. C’est comme ça, dans la famille des cyclistes. Elle s’était gentiment moquée de lui, il n’y avait prêté aucune attention ».
- « Maintenant, il ne se rase plus, il s’épile à la cire. Ses mollets luisants et lisses lui procurent, quand il se caresse, une sensation de plaisir indéfinissable, une vague chaude qui le plonge au plus profond de son enfance, quand tout lui semblait encore possible. »
L’AUTEUR
Léonor de Récondo, née en 1976, a un parcours original ; elle  débute le violon à l’âge de cinq ans. Son talent précoce est rapidement remarqué, À l’âge de dix-huit ans, elle obtient du gouvernement français la bourse Lavoisier qui lui permet de partir étudier au New England Conservatory of Music (Boston/U.S.A.). Elle devient, pendant ses études, le violon solo du N.E.C. Symphony Orchestra de Boston. Elle fonde alors le quatuor à cordes Arezzo .Sa curiosité la pousse ensuite à s’intéresser au baroque. Elle étudie pendant trois ans ce nouveau répertoire auprès de Sigiswald Kuijken au Conservatoire de Bruxelles. Depuis, elle a travaillé avec les plus prestigieux ensembles baroques.  Elle fonde en 2005 avec Cyril Auvity (ténor) L’Yriade, un ensemble de musique de chambre baroque qui se spécialise dans le répertoire oublié des cantates. 
En octobre 2010, paraît son premier roman, La Grâce du cyprès blanc, aux éditions Le temps qu’il fait. Depuis 2012, elle publie chez Sabine Wespieser: Rêves oubliés, roman de l’exil familial au moment de la guerre d’Espagne; en 2013, Pietra viva, plongée dans la vie et l’œuvre de Michel Ange; Amours, paru en janvier 2015, a remporté le prix des Libraires et le prix RTL/Lire. Point cardinal est paru en août dernier..
Une identité sexuelle libre, Léonor de Récondo assume sa part masculine, mais n’a jamais pensé elle-même à changer de sexe : Léonor ne sera jamais Léon. « Mais en tant qu’artiste, concernant mon identité sexuelle, je me sens très libre dans mon imaginaire. En tant qu’enfant unique aussi, qui n’a pas eu de frère, donc pas vraiment de limites restreignant cette identité. »
LIVRE
Point cardinal
de Léonor de Recondo
Ed. Sabine Wespieser
RECOMMANDATION : EXCELLENT
THEME
Sur le parking d’un supermarché, dans une petite ville de province, une femme se démaquille. Enlever sa perruque, sa robe de soie, rouler ses bas sur ses chevilles : ses gestes ressemblent à un arrachement. Bientôt, celle qui, à peine une heure auparavant, dansait à corps perdu, sera devenue méconnaissable.
Laurent, en tenue de sport, a remis de l’ordre dans sa voiture. Il s’apprête à rejoindre femme et enfants pour le dîner. Avec Solange, rencontrée au lycée, la complicité a été immédiate. Laurent s’est longtemps abandonné à leur bonheur calme. Sa vie bascule quand, à la faveur de trois jours solitaires, il se travestit pour la première fois dans le foyer qu’ils ont bâti ensemble. À son retour, Solange trouve un cheveu blond…: Laurent est une femme. Reste à convaincre ceux qu’elle aime d’accepter Lauren.
POINTS FORTS
Le livre marche sur le fil tenu de cette discrète ténacité, et de cet irrépressible besoin de tolérance. Etape par étape, nous sont dévoilées les avancées de sa transformation, qui devient contagieuse : à son contact, chacun change aussi, et révèle ce qu'il a de plus enfoui. La colère pour certains, la compassion pour d'autres. Et tant d'infimes mouvements d'âme que Léonor de ­Récondo excelle à saisir dans leur fragilité. Chez elle, tout part toujours du corps, substance délicate qu'elle travaille dans une plénitude respectueuse. La ­romancière a l'art de traquer le calme intérieur des êtres, même dans les plus grandes tempêtes. Elle s'intéresse à l'endurance, cette force qui mêle la confiance et la rage.
 Avec des phrases limpides et d’une poignante justesse, elle trace le difficile parcours d’un être dont toute l’énergie est tendue vers la lumière. Pas de fard ni de froufrous, pas d'apprêts ni d'artifices, dans la langue de Léonor de Récondo. Le sujet de son ­roman s'y prêtait, pourtant. Quoi de mieux que des mots simples pour dire la sensation de l'évidence ? Car Laurent vit son changement de sexe comme une mue naturelle, une évolution inéluctable, et la clandestinité lui sied mal.
 La question du changement de sexe est traitée avec maîtrise sans fausses notes, dans un style vif et concis qui contribue à la pertinence du propos. Léonor de Récondo aborde avec tact la problématique de la transsexualité. Thème peu présent en littérature, elle réussit l’exercice haut la main. Exercice périlleux qui consiste à interroger dans une langue déliée, dépouillée et crue mais sans aucune férocité excessive la notion d’identité. Elle n’envisage pas seulement le récit à travers le prisme de la personne concernée, mais se glisse dans la peau de chacun des membres de sa famille et décortique leurs réactions.
Question essentielle que pointe le titre: la personne se définit-elle par son genre, et sa sexualité, par son identité sexuelle ? En d’autres termes : un époux et père de famille peut-il se travestir en secret , certaines nuits, sur un parking, pour aller danser chez les transsexuels , puis se démaquiller et se rhabiller en homme pour reprendre sa place dans le foyer ? Et, à la fin, changer carrément de sexe mais sans qu’au fond rien ne change ?
La force de "Point cardinal" est de ne pas embrasser une dimension politique ou sociologique. Léonor de Récondo ne se prétend pas la porte-parole d’une cause politique, mais traite en romancière un sujet de société. Elle appose des mots simples sur des émotions complexes sans chercher à éveiller la compassion chez le lecteur. Et c’est justement cette concision, cette limpidité des propos tenus, qui touchent le lecteur en plein cœur. Elle décrit merveilleusement bien ce sentiment fulgurant qui traverse Laurent lorsqu’il comprend que c’est enfin possible, que de devenir une femme n’est plus un fantasme mais est à portée de main. Elle souligne le caractère égoïste de cette transformation, certes inéluctable. Laurent impose son choix à sa famille, entame seul les démarches. Cette décision prise unilatéralement touche tout le monde par ricochets et entraîne toute sa famille dans son sillage. Le futur de chacun des membres de cette famille en sort transformé. Léonor de Récondo dissèque les réactions de chacun, les met à nu. Quelle figure paternelle substituer à celle avec laquelle on a grandi et qui aujourd’hui revêt les traits d’une femme ? Se pose également la question de la sexualité dans le couple. La légèreté de Laurent et sa naïveté peuvent toucher comme agacer. Léonor de Récondo nous laisse libre juge de notre ressenti. Tout est dit de façon juste, pudique, délicate et sensible dans ce récit où le "Il" devient progressivement "Elle".
POINTS FAIBLES
Je n’en vois pas: ça passe ou ça casse...
EN DEUX MOTS
C’est l’histoire bouleversante d’une transformation, sans voyeurisme, et d’un couple en pleine tempête. La mue inéluctable d'un père de famille qui a choisi d'être femme. La mue, aussi, de son entourage... Une histoire forte servie par une écriture limpide.
UN EXTRAIT
Ou plutôt quatre:
- « Mais il ya autre chose que je veux que vous sachiez. Une chose dont je n’ai jamais douté. Si je ne me suis jamais senti homme, je me suis toujours senti père »
- « L’entraînement à la salle de sport, c’est l’excuse de Laurent. Tout a commencé à cause de ses douleurs et d’une furieuse envie de maigrir. Pendant plusieurs mois, à l’extérieur et en salle, il a pédalé sans relâche. Il reprenait son corps en main, les effets étaient grisants. Muscles affinés, peau tendue et surtout jambes épilées. »
- « Quand Solange l’avait vu sortir de la salle de bains les jambes rasées, elle l’avait regardé, éberluée. Il avait justifié son geste par la prise au vent, oui, même en salle, avait-il ajouté, et la transpiration se répartit mieux, tu sais. C’est comme ça, dans la famille des cyclistes. Elle s’était gentiment moquée de lui, il n’y avait prêté aucune attention ».
- « Maintenant, il ne se rase plus, il s’épile à la cire. Ses mollets luisants et lisses lui procurent, quand il se caresse, une sensation de plaisir indéfinissable, une vague chaude qui le plonge au plus profond de son enfance, quand tout lui semblait encore possible. »
L’AUTEUR
Léonor de Récondo, née en 1976, a un parcours original ; elle  débute le violon à l’âge de cinq ans. Son talent précoce est rapidement remarqué, À l’âge de dix-huit ans, elle obtient du gouvernement français la bourse Lavoisier qui lui permet de partir étudier au New England Conservatory of Music (Boston/U.S.A.). Elle devient, pendant ses études, le violon solo du N.E.C. Symphony Orchestra de Boston. Elle fonde alors le quatuor à cordes Arezzo .Sa curiosité la pousse ensuite à s’intéresser au baroque. Elle étudie pendant trois ans ce nouveau répertoire auprès de Sigiswald Kuijken au Conservatoire de Bruxelles. Depuis, elle a travaillé avec les plus prestigieux ensembles baroques.  Elle fonde en 2005 avec Cyril Auvity (ténor) L’Yriade, un ensemble de musique de chambre baroque qui se spécialise dans le répertoire oublié des cantates. 
En octobre 2010, paraît son premier roman, La Grâce du cyprès blanc, aux éditions Le temps qu’il fait. Depuis 2012, elle publie chez Sabine Wespieser: Rêves oubliés, roman de l’exil familial au moment de la guerre d’Espagne; en 2013, Pietra viva, plongée dans la vie et l’œuvre de Michel Ange; Amours, paru en janvier 2015, a remporté le prix des Libraires et le prix RTL/Lire. Point cardinal est paru en août dernier..
Une identité sexuelle libre, Léonor de Récondo assume sa part masculine, mais n’a jamais pensé elle-même à changer de sexe : Léonor ne sera jamais Léon. « Mais en tant qu’artiste, concernant mon identité sexuelle, je me sens très libre dans mon imaginaire. En tant qu’enfant unique aussi, qui n’a pas eu de frère, donc pas vraiment de limites restreignant cette identité. »

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