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Plus d’Uber désormais que de taxis jaunes à New York : un indicateur de l’ampleur de la pénurie dans les grandes villes ?
©Reuters

Si même chez eux...

Les voitures de tourisme avec chauffeur (VTC) de la compagnie Uber sont désormais plus nombreuses que les fameux taxis jaunes new-yorkais dans les rues de la grosse pomme. Plus qu'un symbole, c'est surtout le monopole des compagnies de taxis qui est remis en cause par le succès de la firme californienne.

Richard Darbéra

Richard Darbéra

Richard Darbéra est chargé de recherche CNRS au Laboratoire Techniques Territories et Sociétés (LATTS).

Avec une triple formation d'ingénieur (INSA Lyon), d'économiste (Université Cornell) et d'aménageur (Université de Paris XII), il est un spécialiste reconnu de l'histoire et de l'économie des taxis. Il a notamment publié "Où vont les taxis ?", aux éditions Descartes & Cie (2009).

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Marie-Xavière Wauquiez

Marie-Xavière Wauquiez

Marie-Xavière Wauquiez, ingénieur de formation, est consultante. Elle a écrit  "Taxis, L'Avenir en 3D - Durable, digital et darwinien"

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Atlantico : La ville de New York compte désormais moins de taxis, les fameux Yellow cabs, que de voitures Uber. Le succès d'Uber vient-il combler une défaillance d'offre ?

Richard Darbéra : Il y a toujours eu moins de taxis jaunes à New York que de "liveries", l'équivalent new-yorkais des VTC. Mais ce qui compte, dans l'offre de transport, ce n'est pas le nombre de voitures. C'est le nombre de chauffeurs. Les taxis jaunes ont en moyenne 3,5 chauffeurs par voiture. Ils ne s'arrêtent de rouler que pour faire le plein ou pour changer de chauffeur alors que les VTC vont dormir avec leur chauffeur. Ce qu'il s'est passé, c'est que la plupart des compagnies de VTC qui dépendaient de petits centraux téléphoniques sont maintenant affiliées chez Uber.

En termes de quantité, l'offre de transport particulier à New York n'a donc pas beaucoup augmenté. En revanche cette offre est maintenant beaucoup mieux répartie. Il est rare de voir un taxi jaune en maraude dans les rues de Brooklyn comme il est impossible de voir des taxis circuler avec un lumineux vert dans les rues de Créteil. Il y a à cela une raison économique évidente qu’aucune réglementation n’avait réussi à surmonter. Mais avec les applications mobiles, plus besoin d’attendre le passage d’un hypothétique taxi libre. Il y aura toujours un VTC (ou un taxi) qui passera vous prendre en moins de 5mn. C’est là que réside le grand succès d’Uber aux États-Unis ou à Londres. Et c’est ce qui arrivera tôt ou tard en région parisienne, car cela correspond à un véritable besoin.

Marie-Xavière Wauquiez : Il faut comparer ce qui est comparable. A New York, la politique de stationnement est telle que les new-yorkais recourent davantage aux taxis. Maintenant les taxis ne sont pas des véhicules de grand standing et il est clair qu'Uber répond à la demande d'un service de qualité avec des véhicules plus prestigieux. 

Comment l’arrivée des compagnies de chauffeurs privés a-t-elle changé la donne ?

Richard Darbéra : Dans toutes les villes du monde, les taxis avec taximètre avaient le monopole de la prise en charge des personnes qui les hèlent dans la rue. Avec le e-hailing permis par les smartphones, plus besoin de héler un taxi. On peut commander une VTC depuis la rue en tapotant son écran. C'est une faille dans le monopole.

Les propriétaires de licence de taxi sont des rentiers. Parce que quand il y a monopole, il y a une rente. C'est parce que, grâce à ce monopole, le métier de taxi est particulièrement juteux à Paris, qu'il y a des gens qui sont prêts à mettre 250.000 € pour bénéficier de cette rente.  Avec les applications mobiles ce monopole des taxis n'a plus de justification économique. 

À New York, la plupart des chauffeurs sont des "esclaves" qui travaillent pour des compagnies qui possèdent les licences. Il y a encore deux ans ces licences se vendaient pour 1.250.000 $. Depuis l'arrivée de Uber, le prix de la licence a baissé de 30 %. Les compagnies de taxis qui ont contribué financièrement à la campagne électorale du nouveau maire Bill De Blasio ne sont pas contentes. Elles le font savoir.

Comment expliquer qu’avec un nombre de véhicules supérieur à Paris, il soit si difficile d’y trouver des taxis et que si peu soit entrepris pour y remédier ?

Marie-Xavière Wauquiez :La défaillance des taxis vient généralement d'une déconnexion de ce système de transport spécifique du système de mobilité global. Cette profession (et je précise que je parle bien des taxis et non pas des industriels qui gravitent autour) n'a pas de vision de son rôle dans la ville et dans la mobilité. De cette absence de vison naît une absence de stratégie, qui fait qu'il y a de la place pour les autres acteurs de la mobilité individuelle. 

Les industriels du taxi, au premier rang desquels les systèmes "radio" de réservations de taxis, palliaient jusqu'il y a peu les faiblesses du système et il n'y avait pas véritablement de demande de changements de la part des clients - résignés ou prêts à payer plus cher pour un service de meilleure qualité - ou des taxis, relativement contents de leur sort jusqu'il y a peu. 

Il est également important de rappeler que la tutelle des taxis est assurée par le Ministère de l'intérieur et la Préfecture de Police et non pas par le Ministère de l'Ecologie (donc des transports) et le STIF. Comme les réflexions transversales sont plus difficiles à mettre en œuvre que les réflexions en silo, les signaux faibles du marché sur les demandes en matière de mobilité sont difficilement entendues par un ministère et une administration qui sont relativement éloignés des préoccupations commerciales du marché….

J’ajouterai que la ville de Paris, depuis la "diabolisation" de la voiture individuelle en milieu urbain dense, a presque complètement ignoré cette profession.

  • Les stations ne sont pas entretenues : les bornes d'appel ne marchent plus depuis des années et presque personne ne comprend comment elles fonctionnent (c'est à dire qu'on les appelle depuis chez soi pour commander un taxi qui attend en station et non pas qu'on appelle un taxi qui est dans la rue depuis la station) (le député Thévenoud ignorait d'ailleurs à quoi elles servaient quand il a commencé sa mission d'information parlementaire et a avoué avoir mis un certain temps à comprendre) ; elles ne sont même pas nettoyées
  • Le plan des stations, équipées ou non, d'une borne d'appel, n'a pas été revu depuis des décennies
  • Les instructions sur le fonctionnement des taxis et les différents obligations et interdictions afférentes à la profession, est pratiquement illisible et incompréhensible, surtout pour les étrangers… 

Nombreux ont été les rapports à prôner la libéralisation du secteur des taxis, sans être suivis d'effets. L'ouverture du marché est-elle la solution ? En existe-t-il d'autres ?

Richard Darbéra : Vous ne pouvez pas du jour au lendemain dire à une personne qui a acheté sa licence 250 000 €, ou qui a bénéficié d'une licence gratuite qu’elle espère vendre à 250.000 € quand elle partira à la retraite que sa licence ne vaut plus rien. En France aucun gouvernement n’aura le courage de le faire.

Marie-Xavière Wauquiez : Les chauffeurs de taxis sont d'abord des gens très travailleurs et courageux ! S'ils ne travaillent pas, ils ne gagnent pas leur vie. Il faudrait s'en rappeler quand ils sont qualifiés de rentiers ou de nantis. Au long de leur vie de taxi (souvent une seconde vie professionnelle d'ailleurs), ils développement une stratégie patrimoniale dans laquelle la licence occupe une place absolument centrale pour la phase "retraite/fin de vie". Si une loi prévoyait que la valeur de votre maison soit divisée par deux, trois ou quatre au moment de votre retraite, vous seriez sans doute contre ! C'est pareil pour eux ! L'ouverture du marché est une solution mais qui doit être mise en œuvre dans un temps long, voire très long ! Or, en général, ce sont plutôt des idées à très court terme qui sont proposées ! 

Si on ouvre le marché, il faut absolument reconnecter le service "taxis", qui est un service "au public" à défaut d'être un service public, au système de mobilité globale. Pour cela, il faut arrêter de voir la voiture (polluante car diesel si on veut faire un raccourci d'actualité) et voir la demande du client quand les autorités veulent apporter des évolutions à ce marché. 

<--pagebreak-->Le système français des licences est-il réellement protecteur pour les taxis ? Comment pourrait-on sortir de ce système sans trop les pénaliser ?

Richard Darbéra : Non seulement le système est excessivement protecteur mais la loi Thévenoud a encore renforcé ces protections au détriment des usagers. Je ne sais pas comment on pourrait sortir du système sans pénaliser les taxis. Depuis plus de 40 ans ils se sont opposés à toutes les réformes qui auraient pu préparer un atterrissage en douceur. Et ils ont eu raison. Le prix de la licence a augmenté plus vite que les actions du CAC 40. C'était un très bon investissement.

La loi Thévenoud leur avait tendu une perche en leur proposant un système gratuit de géolocalisation pour leur permettre de rivaliser avec les VTC qui sont tous géolocalisés. Ils l’ont refusée. On les comprend. S’ils étaient suivis en temps réel par l’administration comme le sont en permanence les taxis jaunes de New York, on saurait enfin combien de courses ils font, combien de recette cela représente, et on comprendrait mieux comment ils font pour rembourser aussi vite les emprunts qui leur ont servi à acheter leur licence.

Ils ont loupé l’opportunité de se mettre tous sur une même application. C’est dommage. Les applications comme Uber qui ne regroupent que quelques centaines ou quelques milliers de véhicules n’auraient pas fait le poids face à une application qui aurait regroupé 17 000 taxis.

Marie-Xavière Wauquiez : Le système est moyennement protecteur dans la mesure où il existe une durée minimale de détention d'une licence de 5 ans (ce qui est très et trop long à notre époque). Aujourd'hui, les taxis qui ont acheté plein pot leur licence il y a quatre ou cinq ans rencontrent de très grosses difficultés financières. Le business plan du taxi est directement corrélé à une durée de service très longue, dans des conditions de travail relativement dures ! 

Le seul système que j'ai identifié - après avoir réfléchi longtemps - serait de corréler la valeur de la licence avec le chiffre d'affaires des dernières années d'exercice. Aujourd'hui, le système fiscal est fait de telle sorte que les taxis ont intérêt à faire du "black" pour minimiser la fiscalité globale (charges sociales, impôts sur les sociétés, etc.) et mettre de l'argent de côté pour plus tard. De ce fait, une fois la retraite venue leurs cotisations ne leur permettent pas de gagner de quoi bien vivre mais ce n'est pas grave car la licence leur permet de dégager du cash. Si le prix de la licence était corrélé au chiffre d'affaires officiel, les taxis pourraient adopter un autre raisonnement : déclarer plus pour vendre plus cher. 

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