"Le Détour" de Luce D'Eramo : survivre et revenir de l’enfer, un témoignage poignant, un livre rare<!-- --> | Atlantico.fr
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Le détour de Luce d'Eramo
Le détour de Luce d'Eramo
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Atlanti Culture

Luce D'Eramo a publié "Le Détour". Le destin stupéfiant d'une adolescente idéaliste faisant volontairement l'expérience des camps nazis. Publié pour la première fois en 1979, "Le Détour" est le fruit de vingt-cinq années d'écriture.

Paul Beuzebosc pour Culture-Tops

Paul Beuzebosc pour Culture-Tops

Paul Beuzebosc est chroniqueur pour Culture-Tops. Culture-Tops est un site de chroniques couvrant l'ensemble de l'activité culturelle (théâtre, One Man Shows, opéras, ballets, spectacles divers, cinéma, expos, livres, etc.).

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"Le Détour" de Luce D'Eramo

Traduit de l'italien par Corinne Lucas, Éditions Le Tripode, 448 p., 25€

RECOMMANDATION 
En priorité

THEME
Dans un guide Michelin de la littérature, ce livre mériterait, en dépit de son titre, les trois macarons du « vaut le voyage ». Celui d’une jeune fille de 18 ans dans les profondeurs les plus sombres de la fin de la deuxième guerre mondiale.  Fasciste de bonne famille, elle n’avait aucune raison de séjourner dans les camps de travail et de concentration allemands. Idéaliste, elle part comme volontaire voir la réalité  et faire la vérité entre les idées de ceux qui se la disputent : fascistes et anti fascistes.

L’histoire du livre en rajoute à l’histoire elle-même : vingt-six années d’écriture à la recherche de souvenirs douloureux et enfouis avant d’être enfin publié en 1979. L’ouvrage, au succès passé presque inaperçu en France, attendra plus de quarante ans pour reparaître aujourd’hui.

POINTS FORTS
Ce livre rare d’une puissance inattendue raconte ce qu’est la survie dans ces camps crépusculaires. L’héroïne – c’en est une - a tout connu de la souffrance, des misères, de la dureté au mal face à tout ce qui se ligue pour que l’abandon et la mort triomphent. Dans un exorcisme lucide et poignant, l’auteur détaille tous les métiers de la débrouille et les recettes de la survie. D’une force intérieure peu commune, elle raconte le chacun pour soi misérable, la solidarité occasionnelle, le jeu des hiérarchies occultes et des nationalités qui rivalisent dans les camps. Et la faiblesse ; et l’humiliation ; et la bassesse du quotidien qu’éclairent de rares moments d’espoir et de fraternité. Luce d’Eramo, paralysée des jambes lors de la chute d’un mur, nous fait vivre en direct la douleur brûlante de son chemin de survie dans le chaos. D’une incroyable aisance dans l’adversité, elle prend la mort en grippe et garde intacte sa générosité, son énergie à partager sa révolte, à revenir dans la vraie vie et à aider ses compagnons et ses sœurs à surmonter le malheur.

POINTS FAIBLES
La construction du livre, écrit à trois époques successives (1954, 1961, 1977) de réconciliation avec sa mémoire aurait pu être une gêne. Il n’en est rien. Au contraire, les trois récits s'emboîtent et donnent, de leur prisme temporel, une force supplémentaire à cette œuvre à part.

EN DEUX MOTS
Dans les camps qu’elle rejoint ou dont elle s’évade, Luce d’Eramo a le don d’être souvent là quand le malheur frappe. Son aventure étonnante au pays du chaos qu’est l’Allemagne de 1944/1945 fournit un témoignage de première main, poignant à la lecture, sur l’univers totalitaire et un contre poison à l’urine des idéologies mortifères. Comme échappée de la mort, elle nous livre une leçon inoubliable sur la faim, la soif, l’opiniâtreté, ... Tout ce qui permet de survivre et même de conjurer la misère et le désespoir. Ce parcours-là fut bien plus qu’un détour.

UN EXTRAIT
"Je me retrouve encore dans les parages de la mort organisée.
Je suis contente, je me vois une vie devant moi.
Leur existence a pris fin quelque part dans le passé.
J’étais italienne et ne détestais personne.
Je ne vivais plus que pour tenir compagnie à la mort des autres.
J’avais un nœud à la gorge devant la bonté du cœur humain.
Il se sentit obligé de m’aimer.

L'AUTEUR
Née à Reims de parents italiens en 1925, Luce d’Éramo, nom de plume de Lucette Mangione, a vécu en France jusqu’à treize ans. Etudiante, en conflit avec son père dignitaire fasciste, elle s’enfuit pour rejoindre un camp de travail en Allemagne. Elle retrouve l’Italie fin 1945 après l’expérience du camp de Dachau, reprend ses études de philosophie, se marie et devient mère. Elle collabore à des revues et publie plusieurs essais universitaires avant de conclure la rédaction de Deviazione, devenu un best-seller. Elle meurt en 2001. A notre connaissance, ses autres ouvrages n’ont pas encore été traduits en français.

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