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"La leçon de Vichy, une histoire personnelle" de Pierre Birnbaum : quand l’antisémitisme d’Etat interroge l’historien et le témoin
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Atlanti Culture

Jean-Noël Dibie pour Culture-Tops

Jean-Noël Dibie pour Culture-Tops

Docteur en droit, Jean-Noël Dibie a une très longue expérience de l'audiovisuel et des médias : directeur de la SFP (Société française de production), responsable des affaires européennes à France Télévision, conseiller du directeur général de l'UER (Union européenne de radio-télévision). 

Aujourd’hui consultant, il s’investit dans les activités de recherche, notamment au sein d’EUROVISIONI, et d’enseignement (président du conseil pédagogique de l’EICAR, l’Ecole des métiers du cinéma de l’audiovisuel et des nouveaux médias, et chargé de cours à l’EDHEC).

Jean-Noël Dibie est l'auteur d'un A-book en six parties paru en 2014 sur Atlantico éditions : Communication politique, le plus vieux métier du monde

 

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"La leçon de Vichy" 

De Pierre Birnbaum
Editions du Seuil 240 pages

RECOMMANDATION
Bon


THÈME
En 2013, « Ormex », petit village des Hautes-Pyrénées où, à l’âge de 2 ans, ses parents l’ont caché, c’est la réponse de Pierre Birnbaum à la question de Pierre Assouline, « Quel est votre rosebud ?» (le secret impénétrable de M. Kane dans le film d’Orson Wells, Citizen Kane).

Dans la première partie de l’essai, « La scène primitive », le professeur des Universités, sociologue de l’Etat et historien, s’attache aux législations, faits et événements de l’antisémitisme politique du régime de Vichy. “L’enfant caché” d’Ormex centre ses recherches sur les départements pyrénéens et limitrophes.

L’universitaire, qui a théorisé l’Etat fort à la française, universaliste et protecteur des minorités, entreprend avec cet essai une introspection historienne sur l’Etat Français, qu’il avait, jusqu’alors, mis entre parenthèse. Se voulant témoin, mais aussi historien de sa propre vie, il ne se reconnaît pas dans les traumatismes des « enfants cachés », ainsi Ormex est pour lui un cocon protecteur, et non un lieu d’angoisse

La deuxième partie, « L’Etat Français m’a tué », permet à l’auteur de s’interroger sur la mise entre parenthèse des exactions du Régime de Vichy, servi par nombre de fonctionnaires et d’universitaires de la République. En 1973, la parution de la traduction française du livre de Robert Paxton, « La France de Vichy », annonce des révisions déchirantes de l’historiographie de la politique antisémite de Vichy. Ce revirement est conforté par « Vichy et les juifs » de R. Paxton et M. Marrus (1981) et « Vichy-Auschwitz » de Serge Klarsfeld (1985). Nonobstant, comme il le reconnaît dans cet essai, Pierre Birnbaum, « soucieux de pure recherche académique », « poursuit sa légitimation du rôle de l’Etat ». C’est dans les années 90, que l’universitaire, « ayant entrepris une prosopographie du personnel politico- administratif juif parvenu au plus haut niveau de l'État, de la naissance de la IIIème République à Vichy », s’indigne du tragique destin des « Juifs de la République ».

Avec la troisième partie, « Les Justes m’ont sauvé », le chercheur entend rendre justice aux fonctionnaires et aux français qui ont tendu la main et sauvé des juifs.

La quatrième partie, « Le président, l’Etat et la théorie de l’Etat » permet au sociologue de l’Etat d’analyser l’évolution de la perception de la responsabilité de l’Etat dans les exactions du régime de Vichy, tant par les présidents successifs de la Vème République, que par les institutions.

Pour autant, grand est le désarroi du sociologue du politique constatant la légitimité affirmée de la France Libre, qui ne disposait d’aucun des attributs de l’Etat, dont Vichy avait conservé les apparences institutionnelles. 

POINTS FORTS
Le plan, qui facilite la lecture d’un essai aux analyses parfois contradictoires.

Le riche travail de recherche et de documentation, alimentant la complexité de l’exercice : justifier l‘œuvre d’une vie exaltant l’Etat fort et dénoncer, condamner, l’Etat Français de Vichy et sa politique antisémite.

POINTS FAIBLES
Considérant le challenge que s’est donné l’auteur, je n’en ai pas à signaler.

EN DEUX MOTS 
Cet essai, qui laisse ouvert nombre des questionnements de l’auteur, pourrait être la nécessaire piqûre de rappel sur une période de l’histoire de France qui, longtemps occultée, aurait pu tomber dans les oubliettes du temps, s’il n’y avait la mémoire de la Shoah.

UN EXTRAIT
Page 71 / « … accepter de m’historiciser, de me voir tel un « enfant caché » plongé dans une histoire dont je suis le produit, tenter, en tant que juif « perdu », de me souvenir mais cette fois en tant qu’historien. »

Page 107 / « Dès la fin des années 1970, j’ose impunément faire figure de naïf pourfendeur d’un certain marxisme mécaniste, négateur de l’Etat, qui règne dans le monde académique … »

Page 113 / « ... le modèle de l’Etat fort, qui suscite certes un antisémitisme fort, mais se montre seul capable de le juguler, de le contenir. »

Page 115 / « C’est pourtant la face cachée de l’antisémitisme politique triomphant jusqu’au sein de l’Etat qui me bouleverse car elle remet en question toute la logique de mon travail. »

Page 123 / « … la mise en place des statuts des juifs, qui à eux seuls, mettent un terme à l’universalisme républicain. »

Page 231 / « … l’Etat n’a pas tiré toutes les conséquences de la leçon de Vichy. Les longues épousailles des Juifs et de l’Etat républicain s’en trouvent durablement affectées, ouvrant la voie à un avenir indéchiffrable. »

L'AUTEUR
Né le 19 juillet 1940, de parents juifs qui, arrivés de Pologne en France en 1933, se sont réfugiés à Lourdes en juin 1940.

Professeur émérite de sociologie politique à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et à l’IEP de Paris, il est l’auteur de nombreux ouvrages dédiés à l’Etat fort à la française, parmi lesquels :

(1977) Le sommet de l’Etat : essai sur l’élite du pouvoir en France » ; (1982) La logique de l’Etat ; (1992)  Les fous de la République : histoire politique des Juifs d’Etat, de Gambetta à Vichy; (2012)  Les deux maisons : les Juifs, l’Etat et les deux Républiques; (2016)  Léon Blum. Un portrait ; (2018) Où va l’Etat ?

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