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"C’est bien gentil, mais pourquoi ne pas être venu nous voir avant?" : les agriculteurs, ces grands oubliés des responsables politiques
©A.J. - Wikiagri

Bonnes feuilles

Après avoir passé cinq ans dans les plus hautes sphères du pouvoir, et notamment à l’Élysée auprès de François Hollande, j’ai voulu comprendre ce qui poussait ces femmes et ces hommes à voter Marine Le Pen. Comme simple citoyen, sans pouvoir et sans préjugés, je suis parti sur les routes de France pour retrouver la réalité d’un monde éloigné des ors de la République. Extrait de "Ils votent Marine et ils vous emmerdent !" de Christophe Pierrel, aux éditions La Tengo.

Christophe Pierrel

Christophe Pierrel

Christophe Pierrel a été chef de cabinet adjoint de François Hollande à l'Elysée. Il a 33 ans et vit à Gap.

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La secrétaire générale de la FDSEA des Hautes-Alpes m’a mis en relation avec des agriculteurs d’une commune proche de Gap. En me rendant chez eux, je savoure la chance de vivre dans ce département. C’est le début du printemps, toute la nature revient à la vie, les plaines rivalisent de couleurs tandis que sur les hauteurs, la neige occupe encore les massifs. Le soleil resplendit dans un ciel d’un bleu inimitable. Nichées au creux du massif des Écrins, les Hautes-Alpes sont une source de contemplation permanente. Les agriculteurs doivent forcément trouver une forme de contrepartie à leurs nombreuses heures de travail dans la présence de ces lieux magiques. Ceux qui s’apprêtent à m’accueillir vont vite me faire comprendre qu’ils aimeraient exercer leur métier avant tout pour en vivre.

Je rencontre Delphine, Robert, Marc, Jean-Claude et Armand. Ils élèvent selon les uns ou les autres des vaches laitières, des veaux, des moutons ou des chevaux. Notre échange a lieu debout, devant une exploitation, au cul d’un tracteur. Je l’entame en me présentant et en expliquant ma démarche. La première réaction de Robert est cinglante : «C’est bien gentil, mais pourquoi ne pas être venu nous voir avant?»

Déstabilisé par la question, je lui réponds qu’en poste à Paris, je n’avais pas beaucoup de temps pour me déplacer, que les fonctions en cabinet sont très prenantes et éloignent du terrain.

À l’image de cet extrait, toute notre discussion restera passionnée et sans filtre. Le maire de la commune, venu assister à une partie de nos échanges, semble troublé par la virulente franchise de ses administrés. Il me dira plus tard avoir eu l’impression de voir une Cocotte-Minute monter en pression.

Mes interlocuteurs m’affirment que dans le monde agricole, Marine Le Pen obtiendra bien plus que les 25% de voix annoncés par les instituts de sondage. Eux hésitent encore sur leur choix. Deux pensent voter pour le Front national dès le premier tour, un autre pour Nicolas Dupont-Aignan, les deux derniers en faveur de la droite ou de Marine Le Pen si François Fillon est absent du second tour.

Robert s’étonne de la diabolisation du FN, selon lui, un parti comme les autres : « Si ce n’était pas le cas, il aurait été interdit. Nous vivons en démocratie, et s’il s’agit d’un danger pour la République, il ne devrait plus exister.»

Delphine poursuit  : «Qu’est-ce que tu veux qu’on craigne? On est déjà dans la merde, on a tout essayé! Et puis des chèques en blanc, on en a fait à tous les autres, alors pourquoi pas à elle?»

Difficile d’expliquer à ceux pour qui leur activité n’est pas assez valorisée, qui peinent à joindre les deux bouts et à maintenir la tête hors de l’eau, que la politique du FN les précipiterait dans le gouffre. Pour un travail de plus de 300 heures par mois, ces éleveurs ne peuvent se rémunérer en moyenne que 700  euros net. Un employé temporaire, embauché à la suite d’un arrêt maladie ou d’une surcharge de travail, gagne deux fois plus qu’eux. Cette injustice les heurte profondément. En 2016, un agriculteur s’est suicidé en moyenne tous les deux jours en France. Le monde paysan vit un profond malaise.

Robert tient à préciser que les électeurs du FN ne sont pas tous des racistes. «Les chômeurs, salariés, fonctionnaires ont voté pendant de nombreuses années pour les socialistes, mais maintenant ils en ont ras la casquette! continue-t-il dans la foulée. Et puis si ça embête tellement les puissants, c’est que Le Pen les dérange, alors ça nous va bien ! Le FN veut en finir avec les élites, alors forcément, elles se défendent et lui tapent dessus. Et puis les puissants, surtout quand ils sont socialistes, s’en foutent de notre misère. Dès qu’il y a un gouvernement de gauche, nous payons les pots cassés. François Mitterrand a coulé le Rainbow Warrior dans la baie d’Auckland et qui en a fait les frais? C’est l’agriculture! En guise de représailles, ce sont toujours les produits agricoles qui sont visés.4 Dernièrement, François Hollande a annulé le contrat avec la Russie pour la vente de deux bateaux Mistral. Une nouvelle fois, contre qui l’embargo russe s’est orienté? Contre nos productions. On a perdu 30% de notre commercialisation, celle à destination de la Russie. Ceux qui ont morflé, c’est Jean-Claude, Armand, Delphine et moi, car Hollande, lui, avait toujours sa paie à la fin du mois. Notre lait, notre viande, nos agneaux étaient en surproduction, donc on a diminué nos prix et forcément, nos revenus.»

Je leur objecte que nous ne pouvons rien céder sur le plan diplomatique pour des motifs financiers, et que nos valeurs doivent dépasser nos intérêts particuliers. Ils me rétorquent qu’un contrat doit être honoré, et que la Russie n’est pas un ennemi.

«Notre contrat avec Lactalis, on le respecte, sinon on est en arrêt de collecte et on est foutus!» enchaînent-ils avant d’ajouter que «si vraiment il faut des représailles contre la Russie, il est important de penser à nous et trouver les moyens de compenser nos problèmes», puis de s’en prendre aux parlementaires européens : «On leur donne un bâton de maréchal au lieu d’être députés en France. Ils touchent leurs 10000 euros et ne font rien. On ne les voit jamais. Ils sont désignés par leur parti sans obligation de résultat.»

Bon nombre de parlementaires européens ne comptent pas leurs heures de travail. D’autres, souvent désignés par les grands partis nationaux pour siéger à Strasbourg en contrepartie de services rendus, ne brillent pas toujours, en effet, par leur engagement en faveur de l’Europe et de notre pays au niveau supranational.

Au-delà des femmes et hommes qui le composent, le Parlement européen souffre surtout de son manque de pouvoir. Ce sont les chefs d’État, en lien avec la Commission, qui décident des grandes orientations politiques. D’ailleurs, il est assez flagrant de voir à quel point les réunions du Conseil européen sont beaucoup plus suivies par la presse que le travail du Parlement. Si elle veut être acceptée et comprise, notre Europe, dans son mode de fonctionnement, n’a d’autres choix que de se réformer et se rapprocher des peuples. Les actions de nos dirigeants ont entraîné son discrédit. Le politique doit reprendre le pouvoir sur la technocratie de la Commission et cesser de se défausser en permanence sur elle de ses responsabilités.

Ce rejet de l’Europe, Marine Le Pen s’en est parfaitement saisie. Tous les discours de la candidate FN, toutes ses interventions médiatiques contiennent une critique forte de l’Union européenne. Pourtant, en tant que députée européenne, elle s’est peu illustrée par son travail et ses interventions, étant rarement présente au Parlement européen.

Extrait de "Ils votent Marine et ils vous emmerdent !" de Christophe Pierrel, aux éditions La Tengo

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