"Abraham ou la cinquième Alliance" de Boualem Sansal : un roman érudit, bien écrit, profond et lent<!-- --> | Atlantico.fr
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Abraham ou la cinquième Alliance - Boualem Sansal
Abraham ou la cinquième Alliance - Boualem Sansal
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Boualem Sansal a publié "Abraham ou la cinquième Alliance" aux éditions Gallimard.

Bertrand Devevey pour Culture-Tops

Bertrand Devevey pour Culture-Tops

Bertrand Devevey est chroniqueur pour Culture-Tops. 

Culture-Tops est un site de chroniques couvrant l'ensemble de l'activité culturelle (théâtre, One Man Shows, opéras, ballets, spectacles divers, cinéma, expos, livres, etc.). 

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"Abraham ou la cinquième Alliance" de Boualem Sansal

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BonBon

Thème

Dans le courant de l'année 1916, Tahar ben Aïssa al-Sumeyri décide de quitter Tell al-Muqayyar en Syrie (l'ancienne Ur de la Mésopotamie) avec son clan. Son but, rejoindre l'antique pays de Canaan, aujourd'hui partagé entre Israël, Palestine, Liban, Syrie et Jordanie.

Patriarche Chaldéen, il veut rejoindre cette terre de révélation car il est persuadé que son fils, Brahim, est la réincarnation d'Abraham, celui à qui Dieu se révèle pour le faire "fondateur" des monothéismes, judaïsme, christianisme et Islam. Dans un Moyen-Orient décomposé et recomposé par les puissances occidentales, au long d'un siècle déchiré par les guerres, (I)brahim/ Abraham entreprend avec les siens ce voyage dans les pas du Patriarche. Trois "livres" (longs chapitres thématiques) égrènent ces décennies à la recherche de Dieu, dans l'espérance de recevoir comme Abraham, 4000 ans plus tard, les signes d'une nouvelle Alliance - d'un nouvel élan religieux universel.

Points forts

- Une érudition qui frappe, par la traduction dans les temps "modernes", de ce qu'aurait pu être la geste d'Abraham. Les références historiques sont nombreuses - transposant dans le présent les lieux traversés, les événements vécus, le quotidien du clan - sur fond d'interventionnisme des puissances occidentales très clairement dénoncé !

- Une écriture d'une élégance rare, qui teinte cette "geste" d'une couleur surannée, récit qui n'est pas "un récit d'histoire, mais le récit d'une histoire, d'un commencement", comme le dit Sansal dans son avertissement.

-  Écrit à la première personne - les mots d'(I)brahim/ Abraham - il vous transporte dans un univers hors du temps, comme résistance à un monde en décomposition - singulièrement le Moyen Orient - et en perte de repère(s), tel que fut, sur le plan spirituel, le 20ème siècle.

- En postface, le texte de la geste d'Abraham, extrait de la Genèse, 11,27 à 25,34, est très intéressant pour comprendre "l'exégèse" de la prophétie d'Abraham faite par Boualem Sansal.

Points faibles

- Histoire lente et énigmatique, il n'y est question que des questionnements des membres du clan au long de leur voyage, du sud de l'Irak à l'Egypte, puis vers les rives de la Palestine.

- Le rituel des palabres, comme un refrain nécessaire à la geste, émaille le voyage ; il pourra paraître répétitif et ennuyeux. Mais ce sentiment s'estompera sans doute quand vous y reconnaîtrez finalement les termes d'un questionnement universel et intemporel, entre tradition et modernité, foi et rationalité.

En deux mots ...

Voici une sorte d'Ovni littéraire. Une chose est certaine, cette métaphore de la recherche d'un monde idéal, d'une unité perdue des peuples, à l'image de l'Oumma de l'Islam ou du paradis des Chrétiens, est une quête universelle que les uns traduiront en délire mystique, en dérive sectaire, les autres en démarche messianique. Avec sa lenteur, son issue incertaine et non révélée, ce roman en déroutera plus d'un(e). Fresque politico-religieuse des transformations du Moyen-Orient au 20ème siècle, il n'en reste pas moins une sorte de chanson de gestes servie par une écriture raffinée. Boualem Sansal est bien difficile à classer ; il y a en lui les sagesses et la lenteur que l'Orient a apportées à l'Occident. S'y plonger ne peut laisser indifférent car il invite à réfléchir aux ferments de la foi et à la naissance des religions. Cet ouvrage à plusieurs entrées produira peut être sur vous des effets à moyen et long terme, à l'image (sans doute recherchée par l'auteur) de l'Alliance de Dieu avec Abraham, révélée des siècles après qu'elle se fut produite.

Un extrait

[A l'aube du 20ème siècle] "dans ce Moyen Orient rustique et indolent, accablé par les guerres et les zizanies tribales, avaient fleuri d'immenses civilisations qui avaient duré des siècles et des  millénaires, poussé des cités merveilleuses, avaient été écrits les plus beaux récits de commencements, éclos les plus grandes religions du monde, consacrant une fois pour toutes la victoire du Dieu unique et Sa royauté  sur la terre. Et je ne sais pas par quel autre mystère, notre clan, à sa tête moi Abram fils de Terah, s'était trouvé par procuration, héritage, autoproclamation ou quel autre phénomène, mis en mouvement pour créer une nouvelle religion pour une humanité nouvelle et des temps nouveaux.. " P 174

L'auteur

Boualem Sansal est un écrivain algérien francophone. Après des études d’économie, il poursuit une carrière didactique d’enseignant, de consultant, de chef d’entreprise et de haut fonctionnaire ; il commence tard sa carrière d’écrivain romancier, mais aussi essayiste. Interdit en Algérie, il connaît le succès en France et en Allemagne notamment.

En plus des nouvelles et essais, honorés de prix littéraires, inspiré de  1984 d’Orwell, son roman 2084 : la fin du monde a reçu le grand prix du roman de l’Académie française. Il y dénonce le pouvoir religieux extrémiste, thème repris dans Le Train d'Erlingen ou la métamorphose de Dieu, également chroniqué sur Culture-Tops.

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