+5 points en 3 mois : 75% des Français pensent désormais que notre société serait contrainte de remettre en question ses valeurs de tolérance, d’ouverture ou de respect de la vie privée en cas de nouvel attentat majeur<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
 +5 points en 3 mois : 75% des Français pensent désormais que notre société serait contrainte de remettre en question ses valeurs de tolérance, d’ouverture ou de respect de la vie privée en cas de nouvel attentat majeur
©Reuters

Info Atlantico

Le 13 juin, Larossi Abbala a tué deux policiers à Magnanville, au couteau. A la suite de ces événements, les Français ressentent la menace terroriste plus que jamais.

Philippe Bilger

Philippe Bilger

Philippe Bilger est président de l'Institut de la parole. Il a exercé pendant plus de vingt ans la fonction d'avocat général à la Cour d'assises de Paris, et est aujourd'hui magistrat honoraire. Il a été amené à requérir dans des grandes affaires qui ont défrayé la chronique judiciaire et politique (Le Pen, Duverger-Pétain, René Bousquet, Bob Denard, le gang des Barbares, Hélène Castel, etc.), mais aussi dans les grands scandales financiers des années 1990 (affaire Carrefour du développement, Pasqua). Il est l'auteur de La France en miettes (éditions Fayard), Ordre et Désordre (éditions Le Passeur, 2015). En 2017, il a publié La parole, rien qu'elle et Moi, Emmanuel Macron, je me dis que..., tous les deux aux Editions Le Cerf.

Voir la bio »

Atlantico : Au lendemain du meurtre de deux policiers par un djihadiste de l'État Islamique, comment les Français vivent et perçoivent la menace terroriste ? Quels sont, à ce titre, les principaux enseignements de ce sondage ?

Jérôme Fourquet : Notre nouvelle enquête montre que le sentiment de la réalité de la menace, déjà particulièrement prégnant dans la population française, continue de s'intensifier. À la suite de ce double meurtre, la propension de Français qui estiment que la menace est "très élevée" est passée de 46% en avril dernier (après les attentats de Bruxelles) à 53% aujourd'hui. Cela représente un gain de 7 points. Or, quand on prête attention à notre historique, on constate que cela représente également une part de la population légèrement plus importante qu'après les évènements de Charlie Hebdo et à peine inférieure à ceux du 13 novembre. Aujourd'hui, ce sentiment de menace réelle et imminente plane encore et toujours. C'est d'autant plus impressionnant que l'actualité récente a été davantage dominée par des sujets économiques et sociaux, par la mobilisation contre la loi El Khomri, ainsi que par l'Euro 2016. Ces deux éléments occupaient beaucoup les médias, qui ne présentaient donc pas des éléments en permanence en lien avec la menace terroriste. Pour autant, un évènement de ce type vient rappeler à la population la réalité de la menace. Cela entretient en permanence l'état d'inquiétude de la population à son égard. Depuis 2015, il y a globalement 100% de la population française qui estime que la menace est élevée. Clairement, il s'agit d'un véritable point de bascule psychologique. Même si les Français n'y pensent pas en permanence – et c'est heureux – cela reste toujours présent à leur esprit. Et cette présence est réactivée de manière répétée et régulière tant par ce qu'il se passe à l'étranger (comme la tuerie d'Orlando) que par ce qu'il advient sur notre sol, attaques et informations sur les opérations comprises.

A lire également sur notre site : "Mauvaise gestion de la grande crise de 2008 + crise des migrants : les digues construites par l'Europe pour éviter le retour des années 30 vont-elles résister face à une crise finalement aussi grave qu’à l’époque  ?"

Quand de nombreuses figures de gauche ont souvent tendance à s'inquiéter de la dérive sécuritaire légitimée par le terrorisme, les Français partagent-ils ce sentiment ? Comment est jugée, à gauche comme à droite, l'action du gouvernement et des autorités en matière de terrorisme ?

Quand on se base sur les résultat de cette enquête, il apparaît clair que les Français sont davantage dans l'idée que le gouvernement, les autorités et les pouvoirs publics n'en font pas assez plus que dans l'idée qu'ils en fassent trop. Qu'il s'agisse des moyens mis en œuvre, du cadre légal et juridique qui est très important, de la sévérité des peines, on constate clairement une demande de renforcement de l'arsenal dont nos forces de sécurité disposent. Cela apparaît comme nécessaire pour lutter contre le terrorisme autant que faire se peut. L'année 2015, comme nous le disions tout à l'heure, a fait office de point de bascule et a fait comprendre aux Français que nous étions dans une situation qui peut s'apparenter à une situation de guerre par plusieurs aspects. Face à cette situation, il faut donc que les autorités soient en capacité de répondre à cette situation nouvelle qui s'impose à nous. Cela passe par une adaptation, certes, des moyens humains mais aussi et surtout d'un certain nombre de règles. Cette demande se concentre majoritairement sur les effectifs (63%) bien évidemment, mais plus massivement encore sur les moyens juridiques (73%) accordés aux forces de police et sur les peines prononcées (83%). Ce qu'il faut lire derrière cette demande de plus de sévérité juridique, c'est bien sûr l'idée que de nombreux terroristes étaient déjà connus des services de police, déjà passés entre les mains de la justice et parfois même déjà condamnés à des peines. Les Français sont donc en demande de peines plus lourdes pour permettre à la justice de mettre hors d'état de nuire et hors de la circulation ces individus sur de plus longues périodes. Il y a une demande de renforcement de cet arsenal juridique, judiciaire et sécuritaire qui émane de la population pour faire face à cette nouvelle situation.

Il est intéressant de souligner que nous avons voté une dizaine de lois sécuritaires ces dernières années, mais que la réponse gouvernementale aux attentats du 13 novembre a tout d'abord été une réponse sur les moyens. Cela a constitué l'arrêt de la suppression de postes dans les forces de l'ordre, le début des recrutements et, pour les effectifs déjà en service, un déploiement plus conséquent sur le territoire. C'est quelque chose que les Français ont entendu, dans la mesure où ce n'est plus leur demande la plus forte. Désormais, leur demande porte sur l'adaptation de notre législation au terrorisme. C'est un débat relancé à droite par l'internement des fichés S, par exemple, mais aussi sur le durcissement des peines.

Enfin, si un troisième attentat d'ampleur comparable à celle de Charlie Hebdo ou du 13 novembre devait survenir, faut-il craindre que la résilience du peuple de France s'étiole ? Quelles en seraient les conséquences ?

Là aussi on constate une évolution significative, particulièrement en matière d'intensité de la réponse : les trois quarts des Français estiment que si un troisième attentat de l'ampleur des deux précédents devait survenir, il faudrait que la société française remette en question un certain nombre de ses valeurs et de ses principes. C'est de là que vient cette volonté de plus de sévérité des peines, notamment, puisque 75% des Français partagent ce pronostic. Il est frappant de regarder l'évolution des réponses "tout à fait" convaincus de cette nécessité. Entre les deux derniers attentats, ils ont grimpés de 26% de la population à 40%, en quelques mois seulement. La précédente mesure avait en effet été faite au lendemain des attentats de Bruxelles. C'était déjà un contexte particulièrement tendu et ces résultats témoignent bien de la logique d'accumulation et d'accélération qui débouche sur une demande, laquelle ne se cristallise pas encore sur des mesures emblématiques, bien présente. Latente. Cela sous-entend effectivement une adaptation sensible et drastique de notre cadre de réflexion en matière juridique. Fondamentalement, si l'on devait se laisser aller à des formules on pourrait dire que plus le temps passe et plus les attaques se multiplient, plus les Français sont nombreux à penser que nous sommes en guerre. Or, nos adversaires ne respectant aucune règle, nous pourrions être contraints d'en abandonner à notre tour, si toutefois nous voulons pouvoir répondre efficacement aux attaques.

Ce qui ne signifie pas qu'on puisse dire des Français qu'ils ne font plus preuve de résilience. Nous en avons encore eu la démonstration à Magnanville : le pays ne s'est pas laissé aller aux manifestations sauvages, aux représailles, ou à un effondrement de notre société. Quand bien même les Français ont été très touchés, ils ne se sont pas laissés aller à l'horreur et l'apitoiement généralisé ou à une vengeance aveugle. On peut donc légitimement penser que notre société est suffisamment solide et mature de ce point de vue, qu'elle présente de la résilience. Ce n'est pas incompatible, pour autant, avec le fait d'être en attente et en demande de moyens juridiques nouveaux pour parvenir à faire face à la situation. C'est une chose que d'accepter de faire le dos rond, de serrer les rangs et de ne pas se laisser abattre, que de dire qu'il n'y a que ça à faire et pas de solution à attendre. On peut donc légitimement s'interroger sur la réaction du gouvernement, quand ses membres jugent qu'il n'y aura "ni peine de mort, ni Guantanamo" : les seules réponses apportées pour le moment sont la compassion, le langage de vérité et de transparence sur l'action de la police et de l'armée, et la possibilité pour ces derniers de conserver leur arme en tout temps et en tout lieu. Face aux chiffres que nous avons à opposer, cela reste un peu court : il y a clairement une attente de plus.

Bien sûr, il n'est pas possible de comparer le double meurtre de Magnanville et le 13 novembre. Cependant, il y a clairement une logique d'accumulation. Après le 13 novembre, François Hollande est allé au bout de ce que le cadre légal et politique actuel lui permet de faire, en déclarant l'état d'urgence et en cherchant à faire voter la déchéance de nationalité. Une question se pose maintenant : quelles cartouches a-t-il encore dans son jeu en cas de troisième attaque ? Par la voix de Manuel Valls, notamment, on constate aujourd'hui que le gouvernement ne souhaite pas aller plus loin dans la voie de la riposte. C'est un décalage avec l'opinion publique qui ne semble pas se satisfaire de cette seule réponse.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !