Les liens mystérieux entre le Covid et le sommeil <!-- --> | Atlantico.fr
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covid-19 sommeil liens étude scientifique recherche
covid-19 sommeil liens étude scientifique recherche
©Getty Images/iStockphoto

Liaisons soporifiques

Les scientifiques s'intéressent de plus en plus aux liens qui pourraient exister entre le virus associé à la Covid-19 et le sommeil.

André  Nieoullon

André Nieoullon

André Nieoullon est Professeur de Neurosciences à l'Université d'Aix-Marseille, membre de la Society for Neurosciences US et membre de la Société française des Neurosciences dont il a été le Président.

 

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Atlantico.fr : Feixiong Cheng, analyste de données à la Cleveland Clinic, s'est penché le premier sur la mélatonine, cette hormone de l'endormissement qui pourrait avoir son rôle à jouer dans la lutte contre le virus. Pourrait-elle potentiellement bloquer des formes graves de Covid-19 ? Est-ce son rôle dans notre système immunitaire qui pourrait l'expliquer ?

André Nieoullon : Votre question nécessite de répondre sur 2 points : d’abord, sur ce qui est à ce jour largement admis, que la COVID-19 se traduit par des altérations très fréquentes et plus ou moins importantes de la qualité du sommeil, y compris chez les personnes ayant été frappées par des formes apparemment bégnines de la maladie ; ensuite, sur la démarche qui a amené à proposer que la mélatonine pourrait être un lien possible entre l’infection par le virus et ces troubles du sommeil, et avoir un effet favorable chez certains malades.

Sur le premier point, il est essentiel de rappeler que l’un des constats les plus troublants de cette pandémie est la fréquence des troubles neurologiques, en général, et de leur persistance bien après l’infection, en particulier. J’avais précédemment relevé dans l’une de mes interventions la fréquence anormalement élevée d’AVC constatée suite à des infections par la COVID-19, en proposant que les effets immédiats étaient susceptibles d’être pour partie liés aux anoxies plus ou moins majeures induites par la maladie, et les effets « tardifs » en rapport avec un processus inflammatoire majeur du système nerveux. J’avais relevé aussi le caractère très large des atteintes neurologiques, de la perte des sens de l’odorat et du goût fréquemment mentionnée, à des signes neurologiques plus diffus incluant un ralentissement de la fréquence de l’activité cérébrale mesurée par des électro-encéphalogrammes, y compris et surtout de celle liée aux activités de sommeil. Au-delà, des altérations des fonctions cognitives étaient également mentionnées, et la question était posée de la rémanence plus ou moins définitive de certains de ces symptômes. Une étude publiée au mois d’octobre évaluait à environ un tiers le nombre de patients touchés par l’infection, concernés par l’atteinte neurologique, et même jusqu’à 50% dans une étude brésilienne.

S’agissant des troubles du sommeil plus spécifiquement, la situation est complexe, avec des situations très diverses de difficultés d’endormement, de réveils fréquents, et d’épisodes de cauchemars semble-t-il plus fréquents que la normale. La question reste néanmoins posée à ce jour de l’origine de ces troubles, considérant que la situation de crise générée par la pandémie et son ressenti a contribué à générer de forts épisodes anxieux, eux-mêmes susceptibles de fortement impacter la qualité du sommeil, y compris chez les sujets non atteints par le virus. Dès lors, la part de l’infection et d’une atteinte potentielle du fonctionnement du système nerveux n’est pas facilement objectivable ; et nous savons aussi que même lorsque l’anxiété a diminué par une forme d’habituation à la situation dès lors mieux acceptée, les troubles du sommeil sont susceptibles de perdurer sur de longues périodes. Mais ce qui s’affirme chaque jour un peu plus est que les personnes ayant développé une forme de la maladie ont vraisemblablement subi un processus inflammatoire généralisé du cerveau, de type encéphalite. De fait, à ce jour il est admis que les infections virales du système nerveux sont de caractère très rare, et donc que les atteintes neurologiques sont vraisemblablement la conséquence de la réponse immunitaire de l’organisme contre le virus, telle qu’elle intervient dans d’autres types d’infections comme dans les réponses auto-immunes du syndrome de Guillain-Barré, une affection neurologique se traduisant par une atteinte préférentielle des nerfs périphériques.

Sur le second point, il faut ramener l’étude de la Cleveland Clinic à ce qu’elle est, et à ses objectifs premiers : l’étude fait appel à l’établissement de corrélations par de puissants systèmes d’analyses de données, visant à établir des « parentés » entre la génétique du virus et les signes cliniques qu’il génère, et les caractéristiques génétiques présentes dans d’autres pathologies (cancers, maladies cardio-vasculaires, métaboliques, neurologiques, etc.). Le postulat est alors que plus les analogies sont nombreuses entre les affections liées au virus et celles d’autres pathologies, alors ces pathologies peuvent être associées entre elles. Et c’est ainsi par exemple qu’ont été mises en évidence des relations étroites entre les protéines du virus et certaines des syndromes de détresse respiratoire ou de septicémie, causes de décès fréquentes des patients concernés par l’infection. C’est alors ce type de démarche analysant les « réseaux de protéines » qui a abouti à suggérer qu’un certain nombre de médicaments utilisés dans ces maladies connues pourrait se révéler d’une certaine utilité pour lutter contre la COVID-19, et, parmi les quelques dizaines de cibles potentielles, la mélatonine. A ce stade, il ne s’agit par conséquent que de corrélations et, bien entendu, les études cliniques devront éventuellement être mises en œuvre de façon rigoureuse pour ne pas retomber, par exemple, dans les travers des polémiques liées à l’utilisation ou non de la chloroquine pour lutter contre le virus.

Un traitement à la mélatonine pourrait-il être envisagé ? Est-ce sans risque ?

Comme cela vient d’être mentionné, pour le moment il ne s’agit que d’analyses utilisant une discipline très actuelle basée sur la bio-informatique et l’intelligence artificielle. Ce que nous savons néanmoins est que la mélatonine est une neurohormone complexe, intervenant non seulement comme inducteur du sommeil dans les conditions physiologiques, mais aussi dans de nombreuses autres fonctions impliquant des rythmicités connues comme participant à une « horloge biologique circadienne ». Au-delà de ces fonctions hormonales, la mélatonine pourrait par ailleurs avoir des effets de type antioxydant, contribuant à la préservation de l’ADN, et surtout des effets de stimulation du système immunitaire par l’intermédiaire des lymphocytes T. Mais, là encore, la situation s’avère complexe et certaines études laissent entendre que la mélatonine pourrait aussi avoir des effets adverses et promouvoir certaines formes de maladies auto-immunes. Rien n’est donc définitivement établi à ce jour.

Toutefois, en dépit de ces incertitudes nombreuses, et vraisemblablement en rapport avec les travaux de l’équipe de Cleveland, Donald Trump a semble-t-il bénéficié de cette mélatonine présente dans le cocktail de médicaments expérimentaux qu’il a reçu lors de son traitement. A ce stade, et pour autant que nous puissions avoir toutes les informations, 8 essais contrôlés seraient actuellement en cours pour tenter de faire la part de ce que pourrait apporter la mélatonine dans le traitement des patients. Il va donc falloir attendre encore un peu pour savoir ce qu’il en est vraiment ! Quant aux risques encourus, de nombreux travaux ont déjà mentionné que l’administration à haute dose de mélatonine était à proscrire au regard de troubles métaboliques fréquents, de troubles de l’humeur et de la personnalité, de l’immunité, de changements inconsidérés de sécrétions hormonales, etc., ce qui a d’ailleurs conduit l’Agence du médicament en France à recommander de limiter les compléments alimentaires utilisant la mélatonine, pour n’autoriser sa prescription que dans certains troubles du sommeil.

Bien dormir (et dormir suffisamment) pourrait-il permettre d'éviter des formes graves du Covid-19 ?

Nous n’en sommes pas encore là et il faudra attendre les résultats des études en cours. Mais, en dépit de ses effets potentiellement stimulants du système immunitaire, il faut se souvenir ici que l’une des conséquences des formes graves de l’infection liée à la COVID-19 est bien « l’orage de cytokines » traduisant un emballement du système immunitaire. Dès lors, la question se pose de savoir si, lorsque la maladie est présente, il est opportun de stimuler encore le système immunitaire ? En l’état, la réponse est plutôt non. Par contre, se poser la question de savoir si un traitement préventif à la mélatonine pourrait avoir des effets « protecteurs » pourrait être pertinent, sauf à considérer les effets secondaires de ce médicament ; et dans ce cas le vaccin maintenant disponible pourrait nous amener à ne plus nous poser cette question !

Des cas d'insomnies chroniques ont été signalés chez des patients Covid, parfois bien après la guérison. De quelle façon le virus affecte-t-il notre sommeil ?

S’agissant de la rémanence évoquée plus haut des effets neurologiques de la COVID-19, peu d’explications convaincantes sont apportées à ce jour. Néanmoins, il est vraisemblable que l’atteinte généralisée du système nerveux par le processus inflammatoire perdure bien au-delà de l’infection, et donc qu’un certain nombre des effets neurologiques puissent correspondre dans la durée à un lent rétablissement des fonctions cérébrales, en espérant vivement que les atteintes du système nerveux aient toutes un caractère réversible, ce qui reste à établir.

Propos recueillis par François Blanchard

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