Présidentielle : pourquoi les musulmans français ont majoritairement voté à gauche<!-- --> | Atlantico.fr
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Les électeurs de confession musulmane ont voté à 86% pour François Hollande au second tour de l'élection présidentielle de mai dernier.
Les électeurs de confession musulmane ont voté à 86% pour François Hollande au second tour de l'élection présidentielle de mai dernier.
©Reuters

« Politico Scanner »

En ce début de ramadan, François Hollande peut dire "merci" aux musulmans français. Selon l'Ifop, il aurait emporté l'élection présidentielle en partie grâce à eux. Les musulmans ont en effet voté à 57 % pour le candidat socialiste au premier tour et lui ont accordé 86 % de leurs voix au second.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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L’islam constitue aujourd’hui la seconde religion de France et ses fidèles représentent environ 5 % du corps électoral français [1]. Alors que la question de l’islam et de sa place dans la société française a été débattue pendant la campagne et que l’issue du scrutin a été serrée, il est intéressant de s’interroger sur le comportement électoral des musulmans. Pour ce faire, l’Ifop a travaillé sur la base d’un cumul d’enquêtes électorales réalisées durant la campagne pour obtenir un échantillon cumulé de 14 200 électeurs inscrits sur les listes électorales, dont 680 personnes se déclarant de confession musulmane.

Cette analyse montre tout d’abord un très fort sur-vote à gauche de cet électorat. Avec 57 % des voix, François Hollande a ainsi largement franchi la barre de 50 % dès le premier tour et doublé son score moyen dans ce segment de l’électorat qui, parallèlement, a également beaucoup plus voté pour Jean-Luc Mélenchon que la moyenne des Français : 20 % contre 11 %.

Un très net sur-vote à gauche parmi les Français de confession musulmane au premier tour…

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Cette hégémonie de la gauche s’accompagne mécaniquement d’une très faible audience tant de la droite (7 % seulement pour Nicolas Sarkozy) que du Front National (4 % contre 18 % au niveau national) et se trouve confirmée de manière spectaculaire au second tour avec un score de 86 % pour François Hollande, soit plus de 34 points de plus que sa moyenne nationale. D’après les données dont nous disposons, aucune autre catégorie de la population n’a aussi massivement voté pour le candidat socialiste (ou contre Nicolas Sarkozy) que les musulmans. Ce sur-vote très important (34 points de plus que la moyenne nationale) enregistré dans ce segment - constituant on le rappelle environ 5 % des inscrits - représente 1,5 point du corps électoral… soit l’avance qui a permis à François Hollande de l’emporter.

… comme au second tour de l’élection présidentielle

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Cette domination de la gauche dans l’électorat musulman n’est pas une nouveauté (et elle tient pour partie à l’histoire : implication plus forte de la gauche dans la lutte pour la décolonisation, dans la lutte contre le racisme, attitude plus ouverte sur la question du multiculturalisme, etc…) mais elle s’est renforcée par rapport à l’élection présidentielle de 2007.

Les musulmans ont encore davantage voté à gauche en 2012 qu’en 2007

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Si le candidat socialiste a obtenu en 2012 le même score que Ségolène Royal en 2007, Jean-Luc Mélenchon, avec 20 % des voix, a considérablement fait progresser le total des voix de la « gauche de la gauche ». Bien que laïc intransigeant et hostile à la visibilité trop importante de la religion (et donc de l’islam) dans l’espace public, le leader du Front de gauche est parvenu, par son opposition très nette au FN et par la reconnaissance des bienfaits de la présence d’une immigration arabo-musulmane en France (lors du discours du Prado à Marseille notamment), à capter une part significative de ce vote.

A droite, la polémique sur la viande halal succédant à d’autres prises de positions durant le quinquennat (débat sur l’identité nationale notamment) ne s’est pas traduite par une érosion supplémentaire du score de Nicolas Sarkozy. Rappelons néanmoins que l’audience électorale de ce dernier avait déjà été très faible en 2007 : 8 % seulement à l’époque contre 7 % cette année. Le recul est en revanche beaucoup plus appuyé pour François Bayrou. La ligne humaniste et équilibrée qui avait été la sienne en 2007 avait permis à l’héritier du courant démocrate-chrétien de se placer en seconde position dans l’électorat musulman en obtenant 15 % des voix. Il était ainsi parvenu à rallier la frange  modérée de cet électorat, qui ne se reconnaissait pas dans la gauche, mais pour qui Nicolas Sarkozy, déjà à l’époque, incarnait une option beaucoup trop droitière. Au regard des résultats, il semble qu’une bonne partie de cet électorat ait basculé en 2012 de François Bayrou vers François Hollande, quand une frange plus à gauche de l’électorat musulman, qui avait voté PS en 2007, optait pour Jean-Luc Mélenchon.     

L’évolution du vote des musulmans au premier tour en 2002, 2007 et  2012


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Si l’on raisonne en termes de bloc, on s’aperçoit que le total extrême-gauche-PC / Front de gauche retrouve le niveau qui était le sien en 2002 et si l’on additionne le score du PS et celui de ses alliés (Verts, Radicaux avec Christiane Taubira, Jean-Pierre Chevènement), ce bloc de gauche modérée est assez stable entre 2002 (60 % des voix), 2007 (61 %) et 2012 (59 %). A droite et au centre, les mouvements sont plus marqués. Avec Jacques Chirac, la droite obtenait 17 % en 2002, le président sortant bénéficiant du soutien de la frange modérée et centriste de cet électorat, qui à l’époque, ne s’était pas reconnue dans François Bayrou (2 % seulement). Cinq ans plus tard, ce dernier a manifestement bénéficié du positionnement beaucoup plus droitier de Nicolas Sarkozy pour capter une grande partie de l’ancien électorat musulman chiraquien, la rupture entre le maire de Neuilly et les musulmans étant consommée dès cette époque.     

Par-delà ces évolutions liées en partie au positionnement de tel ou tel candidat, l’orientation à gauche de l’électorat musulman apparaît donc très nettement et semble même se renforcer sur la dernière période. Certains évoquent la très forte surreprésentation des jeunes et des milieux populaires (catégories votant tendanciellement plus à gauche que la moyenne) dans la population musulmane pour expliquer ce phénomène. Or l’analyse montre que le puissant sur-vote à gauche des musulmans n’est pas lié à la structure démographique de ce groupe. En effet, si l’on compare les comportements électoraux à âge égal (sur la tranche des 18-35 ans) ou à CSP identiques (sur la base des ouvriers et des employés), on constate que les musulmans votent nettement plus à gauche que la moyenne des personnes du même âge ou du même milieu. 

Le sur-vote à gauche est confirmé au sein des milieux populaires

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Le sur-vote à gauche est également manifeste parmi les plus jeunes

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La prime pour la gauche est même encore un peu plus marquée que sur l’ensemble de la population comme on peut le voir dans les tableaux ci-dessus. Elle profite surtout à François Hollande et dans une moindre mesure à Jean-Luc Mélenchon. Dans les milieux populaires, le fait d’être ou non musulman influe très profondément sur le vote. Ainsi, si François Hollande domine sans partage l’électorat populaire de confession musulmane avec 63 % des voix au premier tour, il est devancé de deux points par Marine Le Pen (29 % contre 27 %) sur l’ensemble des ouvriers et employés. Aussi, faut-il être très prudent lorsqu’on évoque le vote des fameux « quartiers populaires », réservoirs de voix pour la gauche pour certains ou en voie de droitisation pour les autres. La variable religieuse (et avec elle la composition ethnique de la population locale) introduit une ligne de clivage très marquée au sein même des milieux populaires. Parmi les ouvriers et employés se déclarant de confession musulmane, le total Hollande / Mélenchon / extrême-gauche a atteint au premier tour de la présidentielle pas moins de 82% des voix contre 9 % seulement pour le total Sarkozy / Le Pen assurant ainsi une domination sans partage à la gauche dans bon nombre de banlieues et de quartiers de grands ensembles. Le rapport de force est en revanche tout autre si l’on considère cette fois l’ensemble des milieux populaires (et plus uniquement ceux qui se disent de confession musulmane) : 48 % en faveur du bloc Sarkozy / Le Pen contre 40 % pour le bloc de gauche, gauche qui s’est retrouvée sur la défensive dans de nombreux territoires (zones péri-urbaines, villes moyennes, vieux bassins industriels) à forte population populaire mais… non musulmane.

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