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Tournée européenne : qu’est-ce qui fait courir John Kerry ?
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Trans-Amérique Express

Le secrétaire d’Etat américain est à Paris, dans le cadre d’une tournée en Europe et au Moyen-Orient. Un maxi tour pour de mini ambitions. A Berlin il a affirmé que "la liberté" aux Etats-Unis, incluait le droit "d’être un imbécile".

Gérald Olivier

Gérald Olivier

Gérald Olivier est journaliste et  partage sa vie entre la France et les États-Unis. Titulaire d’un Master of Arts en Histoire américaine de l’Université de Californie, il a été le correspondant du groupe Valmonde sur la côte ouest dans les années 1990, avant de rentrer en France pour occuper le poste de rédacteur en chef au mensuel Le Spectacle du Monde. Il est aujourd'hui consultant en communications et médias et se consacre à son blog « France-Amérique »

Il est aussi chercheur associé à  l'IPSE, Institut Prospective et Sécurité en Europe.

Il est l'auteur de "Mitt Romney ou le renouveau du mythe américain", paru chez Picollec on Octobre 2012 et "Cover Up, l'Amérique, le Clan Biden et l'Etat profond" aux éditions Konfident.

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"Si nous sommes mercredi, ce doit être Paris !" A croire que John Kerry s’est inspiré des tours opérateurs américains pour organiser son premier grand déplacement de secrétaire d’Etat.  Aux voyagistes qui proposent de "Voir toute l’Europe en une semaine" (au rythme d’une capitale par jour, parfois deux), il a répondu par une tournée européenne et au Moyen-Orient qui le fera visiter neuf pays en onze jours. D’ici au 6 mars M. Kerry se rendra en Italie, en Turquie, en Egypte, en Arabie Saoudite, dans les Émirats arabes unis, et au Qatar. Lundi il était à Londres, hier à Berlin, aujourd’hui, 27 février, il est à Paris pour une rencontre avec François Hollande et un déjeuner avec Laurent Fabius !   

Au programme des discussions, le Mali, la Syrie, l’Iran, et les perspectives d’un accord de libre-échange entre l’Amérique du Nord et l’Union européenne. S’il rencontrera les représentants de l’opposition syrienne en Italie, et si une rencontre a été organisée à Berlin, avec M. Sergei Lavrov, son homologue russe pour discuter justement du dossier syrien.

Israël est absent de cette tournée. Le grand allié américain au Proche-Orient  n’est pas pour autant snobé, affirme le département d’Etat.   Inclure Israël aurait, au contraire, ramené ce pays au statut d’un allié parmi d’autres, un simple « arrêt-buffet » entre Ankara et Ryad… Pour souligner toute l’importance que Washington accorde à Tel Aviv, le président lui-même se rendra en Israël, et en Cisjordanie, en mars. Et il sera accompagné de son secrétaire d’Etat.

Après 28 ans comme membre de la Commission des Affaires étrangères du Sénat, dont 4 à sa présidence, Kerry connaît par cœur toutes les questions régionales. C’est donc  pour "écouter" ses alliés et partenaires qu’il entreprend cette tournée. C’est aussi pour les rassurer. En 2009 Hillary Clinton avait réservé son premier déplacement à l’Asie (Japon, Indonésie, Corée du Sud, Chine). Comme pour mettre en valeur le "pivot" asiatique voulu par Obama. Kerry a choisi, au contraire, le vieux continent, le grand oublié de la politique étrangère du président. 

Au cours de son premier mandat Obama s’est intéressé à l’Europe par défaut. Non pour construire et consolider une relation historique, comme il a cherché à le faire en Asie. Mais avec la crainte de la voir exploser. Un éclatement de la zone Euro était la hantise du  président pour les conséquences incalculables qu’il aurait pu avoir sur l’économie mondiale.

Les vrais soucis d’Obama étaient domestiques, pas internationaux. Il a d’abord voulu mettre un terme aux deux engagements américains, en Irak et en Afghanistan, avant de s’embarquer sur tout autre dossier. Après un désaveu cinglant de sa politique vis-à-vis d'Israël par le premier ministre Benjamin Netanyahu, Obama s’est désengagé du dossier israélo-palestinien et de la région. Washington a été le spectateur passif des "révolutions arabes". Il a laissé tomber du jour au lendemain des alliés de trente ans, comme Hosni Moubarak, abandonné à la vindicte populaire. Feignant de croire que la colère de la rue était d’inspiration "démocratique", alors qu’elle masquait la montée en puissance des partis islamistes assurés de sortir vainqueurs du chaos par leur main-mise sur les masses. En Libye, Obama s’est vanté d’avoir "mené depuis les lignes arrières" ("lead from behind" en anglais). En fait il a pris le train en marche et redoublé d’effort pour rattraper son retard, ignorant la menace insidieuse qu’Al Qaida faisait toujours peser sur le pays. Avec pour conséquence, la tragédie de Benghazi qui a coûté la vie à l’ambassadeur Stevens et trois autres américains.

Désormais les ambitions de la diplomatie américaine sont modestes. Lors de sa prise de fonction Kerry a indiqué que sa "priorité de tous les jours" serait "la sécurité du personnel diplomatique américain" dans le monde.

Il se dit simplement fier de véhiculer une "certaine idée de la liberté". A Berlin devant des étudiants il a ainsi affirmé que la "liberté" aux Etats-Unis incluait "le droit d’être un imbécile". "Si vous voulez manifester par pure provocation avec des slogans qui sont des insultes pour les autres, vous pouvez le faire. C’est ça la liberté. Et c’est une vertu. L’important c’est de tolérer un autre point de vue… En Amérique la liberté d’expression vous donne le droit d’agir comme un imbécile si vous le souhaitez."

A Paris, troisième étape du voyage, et donc troisième marche du podium pour la France dans la hiérarchie européenne établie par Washington, il sera plus question du Mali que de la Syrie.   

François Hollande va demander que Washington facilite et accélère le transfert de responsabilités des forces françaises à une force internationale africaine. Les Etats-Unis fournissent d’ores et déjà un soutien logistique, notamment par le prêt d’appareils pour le transport de troupes,  le ravitaillement en carburant, et le recours à des drones pour localiser les positions de repli des combattants islamistes. Les Etats-Unis ont également contribué à hauteur de 96 millions de dollars à l’équipement et la préparation de la Force d’Intervention Africaine au Mali (AFISMA).

Jusqu’à présent Washington a loué l’intervention et l’action des militaires français. Mais dans son "briefing" à la presse le représentant du département d’Etat a indiqué que les choses difficiles allaient commencer maintenant. "Les Français ont réussi à remplir le premier objectif de leur mission, qui était de chasser les extrémistes, de les empêcher de marcher sur la capitale malienne et de les repousser jusqu’aux frontières, et parfois même au-delà. Mais nous ne nous faisons aucune illusion. Personne ne crie victoire. Ce combat sera long. C’est un défi sur la longue durée et nous continuerons de soutenir nos partenaires Français, européens et Africains".

Les "racines" françaises de John Kerry sont connues. Mais on leur accorde une importance exagérée. Il est souvent décrit comme un "francophile". Ce n’est pas forcément le cas.

Kerry est le fils de Richard Kerry, un officier du corps diplomatique et de Rosemary Forbes, héritière de la fortune Forbes, américaine née à Paris. Parce que la famille possédait une maison en Bretagne, Kerry y passera plusieurs vacances d’été. Il vécut aussi à Berlin, où son père était stationné.

Kerry parle français, mais ne s’en vante pas. Depuis le différend de 2002-2003 entre Paris et Washington,  la France est vue d’un œil méfiant par une certaine Amérique, notamment ses courants plus conservateurs. Candidat démocrate à la présidence en 2004, Kerry avait cherché à minimiser sa "french connection". Les Etats-Unis étaient alors en pleine guerre en Irak, et malgré les difficultés grandissantes liées à cet engagement  le soutien populaire était avec Bush et les troupes, pas avec les opposants au conflit, dont Kerry, et la France, faisaient  partie.

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