Retraites, le paradoxe de la (fausse) pédagogie politique : chaque grand débat sur les réformes n'a abouti qu'à une radicalisation de l'opinion<!-- --> | Atlantico.fr
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Les Français sont globalement devenus plus favorables aux trois grandes pistes "classiques" de réforme des retraites (augmentation des cotisations, recul de l'âge de départ à la retraite au-delà de 62 ans et allongement de la durée de cotisation).
Les Français sont globalement devenus plus favorables aux trois grandes pistes "classiques" de réforme des retraites (augmentation des cotisations, recul de l'âge de départ à la retraite au-delà de 62 ans et allongement de la durée de cotisation).
©Reuters

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Un sondage Ifop pour Ouest-France révèle que depuis 2003, les Français sont de moins en moins opposés aux réformes des retraites. C'est paradoxalement l'ouverture d'un débat public sur la question qui inverse cette tendance.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Atlantico : Un sondage de l'Ifop pour Ouest-France révèle qu'entre la réforme des retraites de 2003 et celle dont les recommandations du rapport Moreau devraient sortir ce vendredi, les Français sont globalement devenus plus favorables aux trois grandes pistes "classiques" (augmentation des cotisations, recul de l'âge de départ à la retraite au-delà de 62 ans et allongement de la durée de cotisation). A quoi cette évolution est-elle due ? Relève-t-elle d'une conviction idéologique ou de l'insistance du discours politique ?

Jérôme Fourquet : D'abord,il faut parler d'une moindre opposition plutôt que d'une dimension favorable des Français. Si on analyse ces chiffres sous l'angle qualitatif, on constate qu'il s'agit d'une acceptation résignée qui a augmenté au fil des années : il n'y a pas d'engouement pour la réforme du régime des retraites.

Consulter le sondage complet sur le site de l'Ifop : c'est par ici.

Ensuite, pour répondre à votre question, je dirais qu'il y a des deux. Chacune de ces réformes a donné lieu à des débats avec des arguments et des chiffres mis sur la table par des experts et des médias qui ont contribué à changer les mentalités  sur la question. De plus, les nombreux arguments avancés par les partis de gouvernements rencontrent un écho important car ils semblent en prise avec la réalité. Lorsqu' à gauche et à droite, on avance l'idée qu'il faut cotiser plus longtemps car on vit plus longtemps, et en ce sens l'argument semble difficilement contestable. On peut remettre en cause le déficit des caisses de retraites mais pas celui de l'allongement de la vie et donc de la nécessité de certaines évolutions. Il y a donc une récurrence du discours politique qui entre en résonnance avec des arguments concrets. Tempérons tout de même cela en rappelant qu'aucun de ces "niveaux de soutien" aux types de réforme ne passe les 50%.

Enfin, le fait que gauche et droite de gouvernement, PS et UMP, sans avoir de discours exactement similaires avancent des arguments proches crédibilise sa nécessité puisque le PS  s'y opposait à l'époque. Il ne reste donc de véritable contestation qu'aux extrêmes. A droite, on veut supprimer des prestations sociales et faire payer les étrangers, et à gauche on veut faire payer les riches. Cela reste assez minoritaire.

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Source  : Ifop.com

MÉTHODE  : Echantillon de 1017 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. La représentativité de l’échantillon a été assurée par la méthode des quotas (sexe, âge, profession de la personne interrogée ) après stratification par région et catégorie d’agglo mération. Les interviews ont eu lieu par questionnaire auto - administré en ligne (CAWI - Computer Assisted Web Interviewing).

Sur la courbe d'évolution du soutien aux réformes, qui de manière générale augmente sur dix ans, on observe une dépression entre février et avril 2010 qui correspond plus ou moins à l'arrivée du débat sur la place publique. L'ouverture du débat dessert-elle le bon sens populaire et la faisabilité des réformes ?

En effet, l'ouverture du débat provoque le plus souvent une baisse du soutien aux réformes que l'on peut imputer à différents facteurs. Le débat et son évolution correspondent nécessairement à la prise de conscience de ce que chacun va perdre. En effet, quand on propose les méthodes de réformes aux personnes interrogées comme c'est le cas dans le sondage que vous évoquez, chacun les perçoit comme il veut. Quand on parle d'augmenter les cotisations, certains pensent que ce sont celles des patrons qui vont grimper et d'autres pensent que ce sont celles des salariés. Ainsi, quand le débat s'ouvre vraiment, les choses s'éclaircissent, les positions se durcissent. Au-delà du concept lui-même d'un des trois grands types de réforme, il y a la question de la dimension de celle-ci. Vais-je devoir payer une demi-année ou cinq ans d'annuités supplémentaires ? Plus les mesures sont précises et plus elles sont douloureuses, et plus elles sont démontées par les adversaires.

Ensuite, l'opinion favorable aux réformes est altérée par l'apparition éventuelle d'un ou de plusieurs discours alternatifs. Si une voix dans la majorité, dans l'opposition ou aux extrêmes soutient qu'il est possible de faire autrement, que les arguments soient faibles ou forts, cela amoindrit nécessairement le soutien aux réformes.

Si ce phénomène est récurrent, quelle forme a-t-il pris précédemment ? Les raisons en sont-elles toujours les mêmes ?

Au-delà de l'exemple de 2010, je crois que le plus frappant est celui de 2003. Le débat portait à l'époque sur l'alignement du nombre d'annuités entre privé et public et la mesure recevait un soutien qui s'élevait à 78% des Français. La mesure semblait donc totalement acquise sur plan populaire, pourtant, après quelques mois de débat, ce chiffre était tombé à 57%...

Dans le cas de 2010, les Français étaient en grande partie prêts à faire des efforts et à accepter les réformes à la condition qu'elles aient l'air juste. Les axes de "justice" sont essentiellement les suivants : l'opposition capital/travail (augmenter la CSG en parallèle de la hausse des contributions des salariés), un éventuel alignement général des régimes sur le privé, l'implication plus grande des retraités par rapport aux actifs qui jusqu'à maintenant ont supporté l'essentiel des réformes, la variation entre les retraites des parlementaires et celles des "gens normaux"; et enfin la différence entre les hommes et les femmes (les retraites  des femmes représentent 72% de celles des hommes, NDLR). Pour résumer, je dirais que ce qui pourrait éviter que cette nouvelle réforme ne subisse le même destin orageux que celles qui l'ont précédée serait qu'elle donne l'impression que tout le monde va devoir participer même si ce n'est pas de manière équivalente pour tous.

Explication des graphiques ci-dessous : en 2002, les Français estiment que la meilleure solution au problème des retraites est de payer davantage de cotisations au cours de la vie active, alors qu'ils jugent cette solution inacceptable en 2003, année de la réforme.

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Source  : Ipsos.fr (2003)

MÉTHODE : Echantillon interrogé par téléphone. Méthode des quotas : sexe, âge, profession du chef de  famille, catégorie d'agglomération et région.

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Source  : Ipsos.fr (2002)

MÉTHODE: Echantillon interrogé par téléphone suivant la méthode des quotas : sexe, âge et profession du chef de famille, après stratification par région et par catégorie d'agglomération.

Le fait que ces réformes soient cette fois portées par la gauche ne pourrait-il pas changer les choses, créer une sorte de consensus ?

Il est clair qu'avec la droite supposée être acquise à ce genre de réformes et la gauche étant supposée s'en remettre à son gouvernement, les choses pourraient, cette fois, être différentes. En effet, lorsque le PS défilait en 2010 aux côtés des grands bataillons de syndicalistes, il pouvait encore représenter l'alternative. Maintenant qu'il a repris l'idée de réformes comme celles-ci, les marges de manœuvres sont restreintes et les mouvements d'opinion aussi. Seul bémol qui pourrait changer cela : la dimension de la prescription des docteurs Hollande et Ayrault qui, si elle est trop violente, pourrait faire que l'histoire recommence. 


Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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