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Mises en examen ou condamnation d'hommes politiques : les Français sont-ils devenus insensibles aux "affaires" ?
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Ce mardi 16 février au soir, Nicolas Sarkozy a été mis en examen dans l'affaire Bygmalion. Pour autant comme pour Alain Juppé, perçu par les Français comme un présidentiable crédible, les affaires ne semblent pas toujours avoir un impact dans le vote des Français... Enfin, tout dépend du type d'affaire.

Erwan Lestrohan

Erwan Lestrohan

Erwan Lestrohan est directeur d'études à l'Institut BVA.

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Atlantico : Le rapport des Français aux affaires dans lesquelles les politiques sont impliquées a-t-il évolué ? Ces affaires ont-elles un impact dans le vote des Français ? Peut-on parler d'un point de bascule dans l'indifférence ou alors dans la sensibilité ?

Erwan Lestrohan : Ce que l'on observe tout d'abord c'est une progression de l'intérêt pour ces affaires, certes, mais sur fond d'information en continu et d'hyperconnectivité à l'actualité. Les feuilletons judiciaires impliquant des politiques existaient déjà par le passé. Jacques Chirac ou encore François Mitterrand ont été touchés par des affaires. Mais aujourd'hui, peut-être qu'avec cette information en continu, ces feuilletons ont un peu plus d'épaisseur qu'auparavant notamment par le biais de la multiplication des canaux d'information.

L'autre changement notable, c'est que le traitement de l'actualité s'étend à la vie privée des hommes politiques. C'est une tendance relativement nouvelle. Les politiques sont de plus en plus scrutés sous toutes les coutures. Si la confiance des Français dans les hommes politiques est très limitée, de l'ordre de 29% selon un sondage publié en 2013 par BVA, pour autant eux se fixent l'exemplarité pour objectif. C'est d'ailleurs ce sur quoi s'engageait François Hollande en 2012.

Evidemment le développement des feuilletons judiciaires impliquant des politiques renforce un climat de suspicion. Leur manque d'irréprochabilité est constaté par les Français. Mais c'est aussi parce qu'il y a une forte demande pour que les politiciens soient des justiciables comme les autres que ces affaires prennent de l'ampleur. 

En ce qui concerne l'impact sur le vote, il faut noter que pour les Français, tous les délits ne sont pas comparables. L'impact d'un délit sexuel n'est pas le même que celui d'une fraude fiscale ou d'un dérogement à la règle de financement des partis politiques ou encore de la tenue de propos injurieux. Selon le délit, mais aussi la condamnation morale qu'en font les Français, l'impact est plus ou moins fort sur la popularité des hommes politiques.

Sarkozy a été mis en examen pour la deuxième fois. Pourtant on n'a pas l'impression que sa côte de popularité souffre de ses affaires ? Pourquoi ?

Pour Nicolas Sarkozy, le fait qu'il soit entouré d'un climat de suspicion – comme il l'indique lui-même, il a été le président le plus étudié sous toutes les coutures - il n'en pâtit pas significativement. Concrètement, le soutien vis-à-vis d'un homme politique va s'effriter lorsque les faits qui lui sont reprochés renvoient à des domaines sur lesquels il peut faire office d'autorité en tant qu'élu. C'est le cas de l'ancien ministre des Finances, Jérôme Cahuzac, en ce qui concerne la fraude fiscale. Dominique Strauss Kahn aussi était dans cette même case dans le sens où, en tant que président, il aurait été amené à parler du droit des femmes, ce qui n'aurait pas été facilement conciliable avec son passé judiciaire. On peut enfin donner pour exemples celui de Brice Hortefeux qui a tenu des propos déplacés à une Université d'été de l'UMP alors qu'il etait ministre de l'Intérieur. En somme, quand les faits sont en lien direct avec la fonction ou son domaine de compétence, on est alors face à un effritement de la confiance.

En ce qui concerne Nicolas Sarkozy, il s'agit de faits qui sont extérieurs à sa capacité politique. Mais les Français sont tout de même suspicieux à l'égard de l'ancien chef de l'Etat. En juillet 2014, un sondage BVA indiquait que seuls 23% des sondés considèrent que le qualificatif "honnête" s'appliquait "bien" ou "plutôt bien" à Nicolas Sarkozy ; ce qui dénote une défiance relativement forte. Les affaires jouent surement sur ce point-là. Ceci dit, ce fut un déficit d'image de l'actuel patron LR dès le début de son quinquennat. Pour autant ce constat n'affecte pas sa compétence qui lui est reconnue par ses sympathisants. Cette dernière n'a pas été altérée par le climat judiciaire qui l'entoure depuis son arrivée au pouvoir.  

La société s'italianise-t-elle ? Peut-on parler d'une banalisation d'une forme d'indifférence à l'égard des affaires ?

Non, je ne le pense pas. Il y a déjà dans l'esprit des Français une défiance importante à l'égard des politiques. Encore une fois, ils n'étaient que 29% en 2013 à déclarer qu'ils avaient confiance dans les hommes et femmes politiques. C'est le même taux que l'on mesurait en 2011. Donc cette confiance est globalement très altérée. Mais elle varie en fonction des catégories de mandats politiques. 75% des Français ont confiance dans leur maire, 53% dans leur président de région et 52% dans leur député. Puis on passe sous la barre symbolique des 50% en ce qui concerne le Président de la République (43%), le Premier ministre (42%) et les ministres du gouvernement (34%).

Plus les Français se sentent proches du politique plus ils ont confiance en eux. Mais ce n'est pas la seule variable ; celle de l'élection démocratique l'est tout autant. C'est pour cette raison que l'on trouve les ministres du gouvernement aussi bas. Ces derniers ont été nommés et pas élus démocratiquement. Donc il y a un impact conjoint du suffrage universel et de la proximité.

Les Français ont des attentes de transparence, d'irréprochabilité et d'exemplarité à l'égard des hommes politiques. La façon très positive dont ont été accueillies les déclarations de patrimoines des ministres en 2013 en est un exemple concret. C'est une démarche appréciée et jugée nécessaire par les Français. Et le fait d'être condamné ou entouré de suspicion est un handicap réel pour gravir les échelons politiques. Mais il peut y avoir de la prescription (c'est le cas pour Alain Juppé notamment).

Patrick Balkany représente un autre cas de figure. C'est finalement une personnalité politique qui est entourée d'un fort climat de suspicion et qui a déjà été mis en examen. Pour autant, c'est un maire qui est sur un échelon où la confiance est très élevée. Cet exemple montre à quel point il est possible d'avoir une dualité entre une personnalité décriée sur le plan national, parce qu'il est en porte à faux avec la demande des Français en termes de moralité et d'éthique politique, et une certaine côte de confiance locale du fait de sa proximité en tant que maire.

Peut-on parler d'une lassitude des Français quant au déballage dans les médias de la vie privée des politiques et de la judiciarisation de celle -ci ?  

Non, pour le moment, nous n'avons pas ce type de retours. Les travaux sur la moralisation de la vie politique ont montré une volonté d'une plus grande transparence des hommes politiques Comme notamment quant à leur patrimoine et à leur rôle en tant qu'acteurs sociaux.

Néanmoins, il y a une exigence des Français par rapport à leurs élus. Mais celles-ci sont centrées sur les domaines dans lesquels les hommes politiques font autorité.    

Quelle partie de la population est-elle la plus sensible à ces affaires ? Laquelle l'est le moins ?

En 2013, on mesurait à BVA les répondants qui avaient déclaré avoir plus confiance dans les hommes et femmes politiques étaient majoritairement des électeurs du PS. C'est logique car le Parti socialiste venait de prendre le pouvoir. On avait d'ailleurs observé le résultat inverse en 2011 où c'était les sympathisants de l'UMP qui figuraient majoritairement parmi les électeurs ayant le plus confiance en leur personnel politique. Donc de ce point de vue-là, les résultats sont assez conjoncturels.

Ce qui est sûr en tout cas, c'est que le niveau de confiance le plus bas est mesuré dans les rangs des électeurs du Front national. En 2013, ils étaient seulement 16% dans ce cas. La défiance est d'autant plus élevée que les citoyens sont précaires. Chez les employés ce chiffre plafonne à 21% seulement alors qu'il s'élève à 44% pour les individus ayant fait des études supérieures. Chez les Français de 65 ans et plus, 36% disent avoir confiance en leur personnel politique pour 27% pour les citoyens ayant un niveau d'études inférieur au BAC. La coupure entre le peuple et les élus est d'autant plus difficilement ressentie dans les catégories les moins favorisées.  

Dans quelle mesure peut-on parler d'une Berlusconisation de la vie politique française ? Alain Juppé revient après une condamnation et est actuellement perçu comme un candidat sérieux à la prochaine présidentielle. De son côté, sans faire de rapprochement abusif, Patrick Balkany est réélu maire de Levallois alors qu'il traîne plusieurs affaires derrière lui, avec mise en examen… Comment l'expliquer ? Les Français sont-ils amnésiquess ?

En ce qui concerne Alain Juppé, il ne s'agit pas d'amnésie mais plutôt de réhabilitation de la part des Français. Il y a une forme de prescription dont il n'est pas le seul à bénéficier. Selon le type de délit, le poids de l'oubli des Français est dicté par leur condamnation morale, ou non. Si le délit heurte les principes moraux des Français, alors il y aura condamnation des Français dans l'urne. Dans le cas contraire, l'oubli ne sera pas un problème.

A BVA, vous sondez auprès des Français le qualificatif d'"honnêteté" des candidats politiques, est-ce que cela compte pour eux à l'heure du vote ?

Oui, en effet, mais c'est aussi un trait de positionnement politique. Pour François Hollande, les Français lui reconnaissaient en 2012 une forme d'honnêteté et de transparence. Cependant, le retour de bâton a été assez fort parce qu'il a été confronté aux affaires Cahuzac et Thévenoud mais aussi à des problèmes de déclarations de patrimoine de certains ministres, tant et si bien que cela s'est retourné contre lui.

En ce qui concerne Nicolas Sarkozy, ce n'est pas son trait de positionnement politique. Ce dernier est beaucoup plus basé sur la compétence et le dynamisme. Par conséquent, il souffre moins des affaires car ça ne fait pas partie de son socle d'image dans l'esprit des Français.

Peut-on dire que dans l'optique de 2017, cette question d'honnêteté aura plus place privilégiée dans la façon dont les Français vont se décider ?

C'était déjà un incontournable en 2012. Il a beaucoup été question à l'époque de "République exemplaire" et d'irréprochabilité. Ceci dit, même en hissant cette caractéristique en tête des attentes des Français, ça a finalement encore été marqué par de nouveau couacs. Dans l'esprit des électeurs l'honnêtete est une caractéristique profondément normale qui ne doit pas être un sujet de débat.

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