La politique monétaire mondiale à un tournant (2) : face à la crise de 2008, les banques centrales auraient pu mieux faire<!-- --> | Atlantico.fr
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La banque centrale européenne.
La banque centrale européenne.
©Reuters

Le Nettoyeur

Lorsque les "artères" de l'économie sont bloquées et que la quantité de monnaie s'effondre, comme ce fut le cas lors de la crise financière et immobilière aux Etats-Unis en 2008, c'est aux banques centrales de tenir la brèche.

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry est journaliste pour Atlantico.

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En fin 2008, il y a eu une crise financière et immobilière aux Etats-Unis. En théorie, il n'y a pas de raison qu'une crise sectorielle se transforme en crise économique mondiale. Si les gens perdent leurs emplois dans un secteur, ils peuvent trouver de l'emploi dans un autre secteur. Il y a secousse, mais pas crise généralisée. L'exemple ici serait l'effondrement de la bulle internet : le secteur d'internet s'est effondré ; les gens qui travaillaient dans ce secteur sont allés retrouver des emplois ailleurs. Il y a eu une brève récession (aggravée ensuite par les attaques du 11 septembre), mais pas de crise économique mondiale comme nous avons connue ces dernières années.

Pourquoi ?

Plusieurs raisons. D'abord, les crises financières sont souvent pires que les autres crises sectorielles, car les banques sont le “système sanguin” de l'économie : elles irriguent tous les autres secteurs par le crédit. Et le système financier est globalisé, donc les maladies dans un pays se répandent rapidement dans les autres. Ensuite, la crise financièro-économique a vite créé une crise monétaire dans l'Union européenne, qui est la première économie du monde. Cette crise aurait pu être évitée sans problème si l'Union européenne ou la BCE avaient garanti les dettes des pays du sud de l'Europe, mais pour des raisons politiques, ce ne fut pas fait. Le Japon, qui peinait déjà à garder sa tête hors de l'eau, est entré en récession. Les trois géants économiques du monde étaient à genoux en même temps.

C'est ici que le rôle des banques centrales est crucial. La relance fiscale a son rôle à jouer, mais lorsque les “artères” de l'économie sont bloquées et que la quantité de monnaie s'effondre, c'est aux banques centrales de tenir la brèche.

Qu'ont-elles fait ?

Regardons les résultats. Tout d'abord, nous ne sommes pas dans une dépression généralisée et profonde comme la Grande dépression. Mais nous n'avons pas non plus eu de grande relance rapide. L'économie américaine est entrain de se relancer, mais lentement. L'économie européenne est au bord de la récession avec, pour le coup, une vraie dépression dans les pays du Sud les plus sinistrés.

Bilan mitigé, donc. Ça aurait pu être pire, mais ça pourrait être mieux.

Que s'est-il passé ?

La Banque centrale européenne a été la pire. Il faut remarquer que la BCE n'a, selon les traités, qu'un seul objectif : réduire l'inflation. Alors qu'on a vu que l'inflation n'est pas toujours mauvaise, et qu'il faut un peu d'inflation pour avoir de la croissance. Sous Jean-Claude Trichet, énarque et non économiste, la BCE se targuait de la désinflation de la zone euro. Forcément, l'inflation baisse : l'économie s'effondre. C'était comme un pilote d'avion qui voit que son avion s'effondre, lit parfaitement l'altimètre, mais se félicite de son talent de pilote.

Sous Mario Draghi, la situation s'est améliorée un peu, avec une décision de refuser l'effondrement de l'Europe du sud. Mais la BCE est toujours sous la domination politique de l'Allemagne qui refuse toute politique de relance monétaire.

Aux Etats-Unis, la réaction était meilleure. Ben Bernanke, économiste spécialiste de la Grande dépression, a tout de suite vu la situation et a immédiatement lancé la planche à billets pour compenser la destruction monétaire de la crise financière. La Banque centrale américaine a une “double obligation” légale : maintenir l'inflation sous 2% et maintenir le plein emploi. Et grâce à la politique de relance de Bernanke, les Etats-Unis ont actuellement la meilleure relance du monde riche.

Cela étant dit, la relance aurait pu être plus rapide. Le problème est que la Banque centrale américaine n'a créé de la monnaie qu'indirectement. Avec ses taux directeurs à zéro, cet outil était épuisé. On parle souvent du “quantitative easing” comme “faire tourner la planche à billets”, ce qui n'est pas exactement faux, mais n'implique pas de nouvelle création monétaire. Avec le “quantitative easing”, la banque centrale crée du nouvel argent, oui, mais pour acheter des obligations d'Etat, qui se retrouvent ainsi au bilan de la banque et sont donc “retirées” de l'économie. En net, il n'y a pas de nouvelle création monétaire.

Les derniers travaux économiques montrent que, avec les taux d'intérêts à zéro, l'instrument principal de la banque centrale est sa communication avec les marchés. Le “quantitative easing” a probablement moins marché directement que comme symbole de la détermination de la banque centrale à relancer l'économie. Et surtout, la communication de la banque centrale est ambivalente. Ben Bernanke ne décide pas seul : il est entouré d'un conseil de gouverneurs qui est partagé entre les partisans de la relance et les partisans de la relance d'inflation. Depuis cinq ans, la banque centrale américaine rate sa cible de 2% d'inflation - et ne semble pas s'en émouvoir. Pour comparer, lors des relances les plus rapides des années 80, l'inflation était à un taux annualisé autour de 5-6%. Ca ne veut pas forcément dire qu'il faut que l'inflation soit à 5% pour relancer l'économie - il s'agit de “poussées” ponctuelles. Mais s'il faut une poussée d'inflation pour avoir une vraie relance et que la banque centrale dit qu'elle ne tolérera pas cette poussée, il n'y aura pas de relance.

Et le Japon, dans tout ça ? Comme je l'ai écrit récemment, le Japon a lancé une expérience de relance monétaire qui peut révolutionner la science économique mondiale.Comme aux Etats-Unis et partout ailleurs, le critère clé est la détermination de la banque centrale : est-elle prête à aller jusqu'au bout ?

Au début, la banque centrale du Japon avait dit que oui. Tous les indicateurs économiques sont passés au vert. Puis, elle a pris peur. Depuis, les résultats sont beaucoup moins clairs. La banque centrale a montré qu'elle peut relancer la création monétaire même dans un univers à taux zéro, comme les monétaristes - dont votre serviteur -l'ont dit. Mais elle a également montré - comme les monétaristes le disent aussi - que la banque centrale doit avoir une vraie détermination pour relancer l'économie.

Bref, nous sommes au même point. Entre deux options, le cœur des banques centrales balance. Et tant que ça continuera, nos économies seront médiocres. Et nous resterons victimes de leur inaction.

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