Evolution des attentes des Français vis-à-vis de l'Etat<!-- --> | Atlantico.fr
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Les Français attendent encore beaucoup de l'Etat, notamment pour lutter contre le chômage.
Les Français attendent encore beaucoup de l'Etat, notamment pour lutter contre le chômage.
©Reuters

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Le nouveau Premier ministre, Manuel Valls, n'est pas au bout de ses peines. Les Français attendent et demandent encore beaucoup de l'action de l'Etat, particulièrement en termes de lutte contre le chômage et de baisse des impôts.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Sur des sujets tels que la santé, l'éducation, la réduction de la dette, ou encore la lutte contre la précarité, les Français attentent le nouveau gouvernement au tournant. La confiance n'est plus, mais les attentes sont là. Qu'espèrent encore réellement les Français de l'Etat ?

Jean Petaux : La facilité consisterait à dire que les Français attendent beaucoup de l’Etat tout en refusant de lui donner les moyens d’agir. Ce serait évidemment caricatural et imprécis. En fait dès que l’on interroge l’opinion sur la place qui devrait être celle de l’Etat par rapport à la société on voit apparaître une série de binômes dont les termes sont globalement contradictoires pour ne pas dire carrément antagonistes : "désir d’ordre" versus "envie de contourner les règles" ; "demande de protection sociale" versus "disparition du souci de l’autre" ; "moins d’impôts" versus "plus de dépense publique pour soutenir l’économie" ; "critique des fonctionnaires" versus "demande d’embauche du fils à la mairie" ; "qualité de l’air" versus "critique de la circulation alternée" ; "moins de fonctionnaires à la Répression des fraudes" versus "lutte contre la viande de cheval dans les lasagnes"… Tous les problèmes, du plus conjoncturel au plus structurel, du plus anecdotique au plus sérieux, sont ainsi placés au centre d’une forme d’aporie caractéristique d’un pays de plus en plus crispé sur des positions acquises, même les plus fragiles ou porteuses de crises à plus ou moins long terme. C’est ainsi que l’on voit des syndicats marquer des buts contre leur propre camp (celui des travailleurs) avec une constance et une régularité de métronome et des dirigeants d’entreprise totalement incompétents ou irrémédiablement rentiers et cyniques. Dans ces conditions l’Etat est attendu et représenté comme devant satisfaire toutes les demandes et leurs contraires. Un chroniqueur économiste a récemment utilisé la métaphore suivante pour décrire la situation de l’Etat français allant régulièrement demander aux services de la Commission européenne un report des délais pour rétablir ses comptes publics : "La France est ni plus ni moins dans la situation d’un alcoolique chronique qui promet d’arrêter de boire et qui court aussitôt au supermarché en bas de chez lui pour acheter des bouteilles !". C’est cruel mais incomplet. Il aurait fallu ajouter ceci : "… et la très grande majorité de la société française se saoule la gueule à l’œil avec cet alcoolique". Autrement tout le monde en profite avec une remarquable hypocrisie. Ce qui provoque d’ailleurs de plus en plus l’ironie et l’ire de nos voisins européens…

Source : Ifop

Quelles sont les attentes des Français pour les prochains mois ? Comment ont-elles évolué ?

Justement ce qui me frappe c’est qu’elles n’évoluent guère dans l’ordre des priorités ces attentes. Ainsi l’emploi est-il en tête des problèmes que les Français veulent voir régler en priorité depuis désormais plus de trois décennies. En 1981, dans ses "110 propositions" le candidat Mitterrand entendait répondre au chômage de masse qui avait explosé à partir de 1977. Pendant la courte accalmie des années "Jospin" (1997-2002), période au cours de laquelle le pourcentage de chômeurs par rapport à la population active a diminué sensiblement (tout en restant à un niveau élevé) la réduction du chômage arrivait encore en tête des attentes des Français. Or on voit mal comment cette aspiration très forte pourrait trouver une réponse positive. La quête éperdue de la compétitivité aujourd’hui, la recherche de la "croissance avec les dents" hier, tout cela n’a plus de réelle prise sur la réalité. S’il y a eu une évolution c’est la courbe de l’espérance dans la capacité des gouvernants à répondre aux attentes sociales qui ressemble à s’y méprendre à un électro-encéphalogramme plat. Et c’est bien évidemment ce fait-là qui est le plus inquiétant.

Source : Ifop

34% estiment que Manuel Valls devraient en priorité se consacrer à la réduction des impôts des particuliers. Quelle pression pèse sur les épaules du nouveau Premier ministre ?

Elle est très forte. Si les impôts des particuliers doivent baisser, comme il n’y a eu aucune réforme fiscale d’envergure, les déficits publics vont se creuser. Michel Klopfer, l’un des tous meilleurs spécialistes en France des finances des collectivités locales, a montré récemment dans une tribune publiée dans les colonnes du "Monde" combien les nouvelles équipes élues lors des dernières municipales n’auront absolument aucune marge de manœuvre pour gouverner leurs mairies et les intercommunalités dans les trois prochaines années. Il y a là un risque majeur pour l’économie française qui ne tenait, en termes d’investissements publics, que par cette variable. Si les contribuables ont raison, individuellement, de réclamer une baisse de leurs prélèvements fiscaux, il est totalement irresponsable de concevoir que cette réduction puisse être indolore pour l’Etat sans conséquence négative pour les Français eux-mêmes. Le vrai problème c’est qu’une partie considérable des Français échappe à l’IRPP, pour des raisons diverses et variées. Et que celles et ceux qui se font prendre dans les mailles du filet de l’impôt sur le revenu ont vraiment le sentiment de payer pour tous les autres. Et dans tous les autres il y a aussi bien les "pauvres" (ce qui ne serait que justice) que les "riches", plus futés, capables (parce qu’ils ne sont pas pieds et poings liés par le salariat) de dissimuler, de "jouer dans les intervalles", de s’offrir les services de conseils fiscaux privés souvent issus de l’administration fiscale qui parviennent à faire faire des prouesses aux déclarations fiscales… C’est cette dimension-là qui est absolument insupportable et qui devrait réellement mettre la pression sur le Premier ministre.

Source : Ifop

Alors que la première préoccupation des Français reste l'emploi, c'est aux entreprises que va leur confiance pour en créer (51%), seulement 5% pensent que l'Etat peut agir sur le chômage (via Pôle Emploi). L'Etat a-t-il perdu sa légitimité aux yeux de la population ?

Les Français disent faire confiance, dans leur majorité, aux entreprises pour créer des emplois. C’est dans l’ordre des choses. L’Etat ne peut plus créer d’emplois et les citoyens le savent bien. Mais l’Etat n’a jamais agi contre le chômage par l’ANPE hier et Pôle Emploi aujourd’hui. Ces organismes n’ont jamais eu vocation à créer des emplois. Ils ne sont même pas parvenus à être le "guichet unique" centralisant toutes les offres et les demandes d’emploi et certains chiffres estiment que moins d’un quart des offres d’emploi passent par le canal de Pôle Emploi. Ce serait vraiment injuste de considérer qu’il en va ici de la responsabilité de ce seul organisme. Les entreprises elles-mêmes participent à cette disqualification de Pôle Emploi. Et j’allais dire les demandeurs d’emploi eux-mêmes… Pour autant la crise de légitimité de l’Etat trouve de nombreuses causes, bien au-delà de l’échec avéré de Pôle Emploi. C’est une crise profonde, presque désormais "ossifiée", "calcifiée". Qui n’est pas propre à la France d’ailleurs. De nombreux auteurs ont ainsi traité de cette opposition entre "société" et "Etat". Il est certain néanmoins que la situation de crise chronique, permanente et récurrente que nous connaissons depuis près de 40 ans désormais (1973 - 1974 : désorganisation monétaire mondiale, premier choc pétrolier, puis apparition du chômage de masse et explosion brutale des "exclus") a abouti à une remise en question totale de la mission de l’Etat, de son "utilité fonctionnelle", des raisons mêmes de son existence. Les idéologues néo-libéraux ont contribué largement à cet enterrement de première classe, tout en étant absolument incapables de faire disparaître le spectre de l’Etat puisque leurs solutions soi-disant alternatives se sont révélées être de tragiques impasses. La seule voie qui s’offre à l’Etat pour rétablir sa légitimité en France est une porte étroite, presque une "chatière", entre le maintien d’un système social protecteur exceptionnel en Europe ; le redémarrage de l’économie dans des proportions telles que le chômage va décroître tout en rétablissant légèrement les comptes publics sans se faire tacler par Bruxelles et en échappant aux agences de notation. Autant dire la quadrature cercle ! Ou le mouton à cinq pattes !

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