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Égypte : les Coptes, "martyrs à la demande" du 10 octobre
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Revue de blogs

Le 10 octobre, l'armée égyptienne écrase dans le sang une manifestation de chrétiens coptes au Caire. Les médias d'État parlent de troubles inter-religieux et l'armée promet de sévir. Huit mois après la place Tahrir, les internautes luttent à nouveau sur les médias sociaux contre manipulation d'État et désinformation pour sauver leur révolution et la paix entre les communautés religieuses, à la veille des élections.

Maspero est le nom donné en Égypte à la télévision d'État et désormais, depuis le 10 octobre, c'est aussi le hashtag sur Twitter d'un massacre, celui de manifestants coptes par les blindés de l'armée égyptienne. Une bataille de crédibilité a lieu en ligne entre les médias d'État, régis par le Conseil supérieur de l'armée (SCAF), et les jeunes qui ont fait la révolution égyptienne. Comme en février dernier, les vidéos, les photos envoyées par téléphone, les tweets et les SMS sont leurs armes. 

Ce dimanche 10 octobre au Caire, dans un pays à la veille d'élections, la télévision d'État égyptienne signale que "des chrétiens (coptes) ont attaqué l'armée", que "trois soldats ont péri", et lance aux Égyptiens un appel à défendre leur pays contre les troubles inter-religieux, auxquels l'armée va mettre bon ordre. La réaction ne se fait pas attendre. Des Égyptiens musulmans descendent dans les rues et des accrochages ont bientôt en effet lieu entre musulmans et Coptes. L' information est reprise telle quelle par des agences de presse et médias occidentaux. Les tensions entre musulmans et chrétiens coptes sont vives, et ont souvent explosé en attentats sanglants contre les églises coptes. Mais ce jour-là, les médias sociaux ont raconté une toute autre histoire et les témoignages, bientôt appuyés de vidéos et de photos, concordaient pour dénoncer une volonté d'envenimer les tensions.

Sur le site almasry alyoum, Sara Carr a publié un témoignage de première main de la manifestation copte du Caire qui a tout déclenché. Ce jour-là, les coptes protestaient contre la lenteur des autorités à enquêter sur l'incendie d'une église copte à Assouan :

"Au premier rang, il y avait un groupe d'hommes portant de longues chasubles blanches, avec "Martyrs à la demande" écrit sur leur poitrine..[...] L'obscurité est tombée alors que le défilé atteignait la rue Galaa. “Ceci est notre pays” scandaient les manifestants. Une croix lumineuse flottait dans l'obscurité...

Le départ de la manifestation copte, dimanche - Photo Sara Carr sur Flickr

[...]Quand le défilé a atteint le coin de la rue pour aller vers Maspero [siège de la télévision d'État] il y a eu aussitôt des coups de feu tirés en l'air. Quand les manifestants ont avancé, les coups de feu ont continué. Soudain, il y a eu une grande bousculade et quelque chose d'étrange est arrivé. Deux véhicules blindés (APC) ont commencé a rouler à une vitesse effrayante au milieu des manifestants qui se jetaient en dehors de sa trajectoire. Un soldat sur chaque véhicule manœuvrait un fusil et l'agitait dans tous les sens, en tirant apparemment au hasard même si les cris rendaient difficiles de discerner d'où venait le bruit de la fusillade. [...] Et c'est là que c'est arrivé : un véhicule blindé a franchi le terre-plein au milieu de la route, comme un animal sauvage en pleine folie, j'ai vu un groupe de gens disparaître, aspiré dessous. Il leur a roulé dessus. Je n'ai pas pu voir ce qui leur est arrivé, car il s'est dirigé dans ma direction".

Un peu plus tard sur Twitter, des vidéos apparaissent, appuyant ce témoignage. Les médias d'État, de leur côté, annoncent les violences en les attribuant à une attaque des coptes sur des soldats, et à des affrontements entre musulmans et coptes, dans laquelle des soldats auraient perdu la vie.

Vidéos de l'attaque de l'arméeégyptienne sur la manifestation des Coptes

Plus tard dans la nuit et tout au long de la journée de lundi, les citoyens reporters révoltés par les informations propagées par les médias officiels, tweetent, photographient et dénoncent une manipulation. Ils se relaient d'abord à la morgue, puis dans la cathédrale copte où les cercueils de 24 victimes sont amenés. Certains interviennent auprès des familles et des médecins pour demander des autopsies afin de pouvoir réunir des preuves basées sur le type de munitions utilisé. Simon Jhanna twitte : "Mille martyrs ne sont pas morts sous les roues des camions de police [durant la révolution] pour mourir sous les roues des camions de l'armée". Ils obtiennent la permission des familles de diffuser les photos qu'ils prennent.

Photo du blog Egyptian chronicles

Le témoignage de Sara Carr reprend à ce moment là :

"L'hôpital copte a fait de son mieux pour gérer l'afflux de blessés. Le sol était gluant de sang et il y avait a peine assez d'espace pour se déplacer parmi les blessés, les angoissés et les inconsolables. Un homme nous a demandé si nous faisions partie de la presse, et si nous voulions filmer dans la morgue, si nous étions "assez forts" [video]. La morgue était composée de deux pièces éclairée crument, pleines d'hommes et de femmes qui hurlaient et se flagellaient au paroxysme de la douleur. Dans la première pièce, il y avait deux corps, des personnes entre deux âges, à côté des chambres froides, dont on nous a dit qu'elle contenait trois corps. Dans l'autre pièce, il y avait les corps de douze hommes de différents âges. Une jeune femme était assise à côté de l'un d'entre eux, elle lui tenait la main et gémissait. Vivian et Michael, qui étaient fiancés, et devaient se marier. Michael avait été écrasé, sa jambe détruite. A côté de Michael, il y avait le corps d'un homme dont le visage était tordu dans une expression impossible à décrire. Un prêtre a ouvert ses mains et m'a montré les restes du crane de l'homme et de son cerveau. Lui aussi a été écrasé. A l'extérieur, une femme a crié à l'intention des morts : "Quelle chance vous avez, maintenant, d'être au paradis !". Un homme a crié : "Nous ne serons plus silencieux !".

A la morgue, on découvre que Mina Daniel,un populaire journaliste copte très présent sur la place Tahrir tout au long de la révolution, est au nombre des morts, au désespoir de tous ses compagnons et à la consternation de tous les Égyptiens qui craignent une instrumentalisation des tensions inter-religieuses. Il était la figure emblématique de la réconciliation entre jeunes musulmans et coptes. Pendant ce temps, la télévision d'état diffuse des bandeaux d'alerte, et attribue les troubles à des "mains étrangères".

Sur Twitter et Facebook, la résistance s'organise tout au long de la journée de lundi. Une page web est créée pour réunir toutes les preuves en vidéos. Peu à peu, grâce au relais de veilleurs crédibles et très connus sur Twitter, la version officielle s'écorne, les incohérences et les tentatives de justification des médias et du porte-parole de l'armée sont dénoncées. 

Nous sommes unis - Caricature de Carlos Latuff diffusée sur Twitter


Dans la nuit de lundi 11 à mardi 12 octobre, le cercueil de Mina Daniel, 25 ans, a été amené sur la place Tahrir par ses amis. Arwasm a twité : "L'Egypte dit adieu à Mina Daniel, 25 ans, son Guevara, en ce moment, sur la place Tahrir". Moel Taher a allumé son téléphone portable et filmé la procession. La télévision d'État égyptienne a reconnu, lundi soir, qu'il n'y avait aucune victime parmi les soldats de l'armée.

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