Économie, l’explosion des lignes traditionnelles : ce qu’il reste des tempéraments de gauche et de droite sur le fonctionnement du capitalisme<!-- --> | Atlantico.fr
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3% des Français considèrent que les notions de droite et de gauche ne veulent plus rien dire.
3% des Français considèrent que les notions de droite et de gauche ne veulent plus rien dire.
©Reuters

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Les différences idéologiques entre sympathisants de droite ou de gauche ont tendance à s'effacer au profit d'un pragmatisme politique. Une évolution confirmée par de récents sondages.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Atlantico : Selon une étude Opinion Way pour le Cevipof et le Monde, publiée en janvier,  73% des Français considèrent que les notions de droite et de gauche ne veulent plus rien dire, soit 10 points de plus depuis 2 ans. Cet effacement des frontières idéologiques s'applique-t-il aussi en matière de politique économique ?

Jérôme Fourquet :Il s'applique surtout en matière de politique économique. Ce résultat est la traduction d'une expérience que l'opinion publique s'est faite depuis 30 ans,  notamment depuis la victoire de la gauche en 1981, et du cheminement progressif du PS vers l'acceptation de l'économie de marché, puis du libéralisme et de la mondialisation. A l'époque, il existait encore une volonté de rompre avec le capitalisme, le gouvernement socialiste opérait même des nationalisations massives puis se sont succédés le tournant de la rigueur, les dévaluations compétitives, le franc fort, les traités européens, les privatisations, etc. Aussi, au fur et à mesure, l'opinion publique des différentes générations a fini par intégrer aujourd'hui que gauche et droite ont accepté le cadre du système de libre-échange.

On constate d'ailleurs les remous politiques qui agitent la majorité depuis quelques jours et qui montrent que la question du libéralisme et du capitalisme a été validée par la gauche au pouvoir, tout comme la question du rétablissement des comptes publics et surtout la question de la compétitivité de notre pays dans une économie mondialisée. Il y a 30 ans, François Hollande était alors conseiller de l'ombre du président, François Mitterrand, à l'Elysée. Les Français ne font donc que constater un rapprochement, principalement dû à la gauche, avec les positions de la droite, dont la majorité de ses représentants ont aussi abandonné tout ultra-libéralisme à la Madelin. Avec cette idée qui se surimpose, selon laquelle les leviers de commande économiques ne sont plus dans les mains des politiques, et que gauche et droite ne font que suivre un mouvement, se fondre dans des règles et des cadres qui les dominent, comme la mondialisation, la crise, les subprimes, l'euro. 

Un sondage Ifop pour l’Opinion, publié en mai, a révélé que les mots "liberté", "libéralisme" et "entreprise" sont perçus positivement par les Français, y compris parmi les sympathisants de gauche. De même, les valeurs, comme l'initiative, l'autonomie, la responsabilité et le mérite sont appréciées par plus de 90% des sondés. La concurrence et l’économie de marché remportent eux-aussi une majorité d’opinions favorables, tandis que l’Etat-Providence est rejeté par 74% des personnes interrogées. Même les sympathisants PS déclarent aimer l’entreprise (91%) et  la concurrence (71%). Ces résultats témoignent-ils d’un véritable désir de libéralisme économique ?

Ces valeurs, comme la "liberté" et la "responsabilité" sont largement partagées. De ce point de vue l'aggiornamento de la gauche, accéléré ces dernières années par la construction européenne et la mondialisation, a été  fondamental. Là où le clivage demeure, ce sont sur certains mots qui fâchent, comme "libéralisme" et "capitalisme". Il faut en effet se méfier du terme "libéral", qui est assez chargé idéologiquement. Pour beaucoup, il fait référence à la liberté. Mais pour les franges les moins politisées de la population, qui sont nombreuses, ce mot ne recouvre pas forcément le libéralisme économique. Il faut faire attention à ces concepts. Mais derrière ces mots un peu tabous, il y a tout de même des constats et des consensus assez transversaux aujourd'hui entre gauche et droite, même si les études internationales montrent qu'il s'agit avant tout d'une adhésion résignée. Les Français ont désormais intégré que les entreprises créent les emplois et ne doivent pas payer trop d'impôts, donc que l'Etat doit maigrir pour qu'elles puissent embaucher dans ce contexte de crise. 

Selon le même sondage, une majorité de Français pense toutefois que l’État doit "intervenir davantage dans l’économie" et doit assurer l’ensemble des services publics (santé, éducation, culture, transports). En revanche, 68% d'entre eux, dont 55% des sympathisants de gauche, souhaitent que le statut des fonctionnaires soit aligné sur le privé. Et 65% des sondés se disent favorables à la création d’un contrat de travail unique.  Ces résultats vous surprennent-ils ?

Ces résultats ne sont pas contradictoires. Les Français sont en effet attachés à des services publics de qualité, répartis sur le territoire, tout en souhaitant une meilleure gestion et qu'un certain nombre d'attributs des fonctionnaires soient amenés à disparaitre, par exemple en adoptant le principe d'égalité, auquel la gauche demeure très attachée. On a également vu les choses bouger concernant les retraites, une préoccupation qui revient depuis 20 ans dans le débat public. Là aussi, il y a l'idéologie et la réalité qui s'impose à vous. La gauche, qui a longtemps tiré à boulets rouges sur les réformes de la droite et manifesté avec les syndicats en 2011, a été obligée de faire à minima une nouvelle réforme pour garantir la survie du système, en augmentant encore la durée de cotisation.

Par ailleurs, les Français expriment une crispation croissante vis-à-vis de l'économie globalisée perçue comme une menace pour l'emploi. Sympathisants de gauche ou de droite, ils rejettent en majorité le mot "mondialisation" (52%) et favorisent au contraire le mot "protectionnisme" (56%), selon un sondage CSA pour Atlantico, publié en juin (voir la note d'analyse ici). Comment expliquez-vous cette évolution ?

Il s'agit d'un autre clivage qui émerge et qui est gestation depuis le traité de Maastricht. Petit à petit, le clivage classique gauche/droite a en effet perdu de sa pertinence, la gauche de gouvernement se ralliant à un certain pragmatisme économique. Parallèlement, a donc émergé un second clivage qui divise les partisans d'une économie ouverte et les avocats d'une économie fermée, toujours hostiles à la globalisation, à la libre circulation des populations et des marchandises, et à Bruxelles. Et puis d'autres formations politiques de gauche comme de droite adhèrent de manière plus ou moins enthousiaste à ce nouveau paradigme. Cette ligne de clivage, apparue depuis 1993, traversait alors à la fois la gauche et la droite, le PS et le RPR. En 2005, toute une partie de la droite, dont le FN, et la gauche du non se sont aussi opposées au référendum sur le projet de constitution européenne. On assiste donc à une réapparition assez périodique de ce clivage de plus en plus opérant du fait de la construction de l'Europe à marche forcée. Idem lors des dernières élections européennes à l'UMP, ou au PS en ce moment, avec ceux qui soutiennent la politique de compétitivité de Hollande et Valls, et veulent privilégier un rapprochement avec l'Allemagne, et les autres qui incarnent l'aile gauche du parti. Ce clivage prend donc de l'importance, même s'il n'effacera pas le clivage gauche/droite. 

Autre point commun, les Français de droite et de gauche rejettent massivement la politique menée par François Hollande. En revanche, une majorité bipartisane (69%) considère que le pacte de responsabilité est "une bonne solution pour lutter contre le chômage", selon un sondage CSA pour Les Echos, Radio Classique et l'Institut Montaigne, publié en janvier. Le plan a ainsi réussi à convaincre les sympathisants de droite (65%), de gauche (81%) et même de la gauche de la gauche (75% des électeurs du Front de gauche). Comment expliquer cette unanimité et ce paradoxe ?

Aujourd'hui, vous avez un débat à gauche sur une demande de davantage de gauche, un débat entendu notamment après les municipales et les européennes, où de nombreux électeurs ont dénoncé, surtout par l'abstention, une politique pour laquelle ils n'avaient pas voté. Sauf que nous n'en sommes plus là désormais. La situation économique est critique et sans précédent, avec 3 millions de chômeurs, 0% de croissance et des déficits publics qui explosent. Les Français n'ont donc plus d'appétit et trouvent dépassés les querelles théâtrales et autres affrontements idéologiques gauche/droite, notamment en matière économique. Ils s'aperçoivent que les deux camps proposent et promettent en gros la même chose. Ils sont conscients que le pays décline et subit un décrochage. Ils veulent donc des solutions économiques efficaces, qui marchent rapidement. A leurs yeux, le pacte de responsabilité proposé par François Hollande en début d'année a ainsi constitué une mesure de bon sens. Depuis, ils n'ont pas changé d'avis mais trouvent que cela ne va pas assez vite et tarde à produire des résultats, alors que la droite et la gauche du PS demandent un changement radical de politique. Les baisses des charges ne se sont d'ailleurs toujours pas traduites dans les faits. Ce  décalage dans le temps suscite d'autant plus le mécontentement populaire, que de nombreux Français pensent que la mesure a déjà été adoptée et est à l'œuvre. Avec la maison en feu,  les citoyens ont désormais une très forte appétence et demande de pragmatisme, surtout en matière de politique économique, et peu importe la couleur du camion de pompiers qui éteindra l'incendie.

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