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Comment les forêts tropicales ont cessé d’être des puits permettant d’absorber nos émissions de carbone
©Reuters

Atlantico Green

La déforestation des forêts tropicales poursuit son cours. A tel point que ces poumons verts rejettent désormais plus de dioxyde de carbone qu'ils n'en n'absorbent. Pourtant, une étude montre que ce mouvement n'est pas rédhibitoire.

François-Michel Le Tourneau

François-Michel Le Tourneau

François-Michel Le Tourneau est géographe au CNRS. Il travaille au Centre de recherche et de documentation des Amériques (CREDA). Il a publié l'article Jusqu’au bout de la forêt ? Causes et mécanismes de la déforestation en Amazonie brésilienne.

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Atlantico : Une étude publiée la semaine dernière dans le Journal Science montre que les forêts tropicales rejettent plus de dioxyde de carbone qu'elles n'en n'absorbent. La première responsable serait la déforestation qui se poursuit afin de construire des infrastructures, des fermes. Quelles peuvent être les raisons en plus de la déforestation qui expliquent cette hausse des émissions de gaz à effet de serre ? Un aspect plus naturel comme les maladies ne pourrait-il pas être avancé ? 

François-Michel Le Tourneau La question du stockage du carbone dans les forêts tropicales est très complexe et l'étude à laquelle vous faites référence est un pas de plus pour une meilleure connaissance des dynamiques de ces régions. Ce qu'elle montre ce n'est pas que les forêts tropicales en elles-mêmes émettent du carbone, mais que les régions couvertes de forêt tropicale sont en fait plus atteintes qu'on ne le pensait par toute sortes de pratiques qui les dégradent et font qu'elles ne peuvent plus absorber autant de carbone qu'avant. Par exemple, même dans une zone dans laquelle le couvert forestier se maintient, il peut y avoir des activités d'exploitation forestière qui détruisent des arbres (non seulement ceux qui sont prélevés pour être vendus, mais aussi tous ceux qui tombent avec eux, ou ceux qui sont détruits pour créer les layons permettant d'extraire les grumes, etc.). Au total, ces activités dégradent les forêts tropicales et la densité de celles-ci en carbone diminue. Le nouveau bilan présenté par cette étude montre que si l'on additionne la déforestation et les dégradations, les zones de forêt tropicales sont aujourd'hui émettrices de carbone, et surtout que plus des deux tiers des émissions sont liées à ces dégradations que jusqu'à présent on ne savait pas quantifier.

Il est important de souligner que de toute manière les forêts tropicales ne sont pas les meilleurs absorbeurs de carbone. En effet, il s'agit souvent de forêt qui ont déjà atteint leur maturité, ce qui signifie que la croissance des jeunes arbres est quasiment compensés par la décomposition des arbres plus vieux qui meurent du fait de la dynamique naturelle. La reforestation de terrains vierges est, même en zone tempérée, est donc plus "rentable" en termes d'absorption de carbone que le maintien des forêts tropicales. Cela étant, ces dernières représentent aussi un immense stock de carbone (contenu dans toute leur végétation) qu'il vaut probablement mieux laisser en place que de le vaporiser dans l'atmosphère (ce qui se produit avec le phénomène de la déforestation). Enfin, les forêts tropicales abritent une fantastique biodiversité dont on est loin d'avoir encore fait l'inventaire, et elles jouent un rôle important dans les équilibres climatiques. Leur valeur va donc au-delà de la question de savoir si elles absorbent ou émettent du carbone.

​Alessandro Baccini, un chercheur au Woods Hole Research Center et auteur de l'étude se montre optimiste dans la mesure ou selon leurs résultats, mettre un terme à la déforestation pourrait permettre de réduire de 8% les émissions annuelles de carbone. Est-ce qu'un tel processus peut voir le jour ? Si oui, à quelle échéance ? 

Il y a donc deux phénomènes en cause : la déforestation, qui consiste en une conversion complète des terrains concernés pour d'autres activités (plantations, pâturages, etc.) et la dégradation. 
La déforestation est un phénomène qui ne repose pas sur les mêmes causes dans tous les pays. Il n'existe donc pas de solution miracle pour la stopper. Au Brésil, de sérieux efforts ont été entrepris pour limiter le déboisement de l'Amazonie. Bien que freiné, le phénomène de poursuit, poussé par le développement de l'élevage bovin et la spéculation foncière (un hectare de terrain déforesté vaut toujours plus cher qu'un hectare de forêt...). En Afrique, l'exploitation forestière est un des grands moteurs, mais aussi l'approvisionnement en bois de chauffe pour les familles qui vivent en ville et la croissance démographique en général. En Indonésie, c'est le développement de l'agriculture, notamment les plantations de palmiers à huile, qui est le principal responsable du déboisement, en plus de l'exploitation forestière. La plupart de ces pays refusent de décréter des lois interdisant purement et simplement la déforestation au nom de leur droit à se développer ! 
S'attaquer à la dégradation est à la fois plus simple et plus compliqué. Plus simple car ce sont des activités souvent illégales et dont l'apport économique est moindre que celui de l'agriculture ou de l'élevage développés sur les zones déforestées. Plus compliqué car le contrôle des gouvernements sur les régions forestières est souvent peu efficace... L'un des grands moteur de la dégradation étant l'exploitation forestière, il faudrait par ailleurs agir sur les marchés pour que le bois issu de forêts non-gérées ne soit plus accepté. Ce sera difficile car les forêts de plantation sont loin d'offrir les mêmes ressources que les forêts naturelles. 
Il est donc difficile d'imaginer une solution rapide et universelle. Si l'on ajoute à cela que le gain ne serait "que" de 8% du total des émissions, il sera probablement plus rapide et plus efficace de réduire drastiquement les émissions liées aux transports et à la production d'énergie dans les pays développés, qui sont bien plus localisées et dépendant d'innovations techniques identifiées et plus facilement généralisables.   

Comment enfin, concilier développement économique des régions tropicales et préservation des forêts ? Les deux points sont-ils compatibles ?

Bien des initiatives existent, en Europe ou aux Etats-Unis, pour promouvoir des produits qui respectent les forêts tropicales (articles en bois issus de forêts gérés durablement, produits agricoles dont on certifie qu'ils ne proviennent pas de zones déforestées, etc.). Une grande partie de la solution repose donc sans doute sur le changement des habitudes de consommation (principalement les nôtres, c'est dire si ce ne sera pas facile). Une autre repose sur la promotion de nouveaux modes de production agricole, ce qui est compliqué dans un contexte ou la croissance de la population mondiale et la réduction de la pauvreté augmentent mécaniquement la demande de produits alimentaires. La dernière partie de la solution reposerait sur la valorisation de la forêt "sur pied" et de ce qu'elle produit, qu'il s'agissent de fruits, de fibres ou d'huiles, mais aussi de services environnementaux comme le filtrage des eaux, la préservation de la biodiversité ou... l'absorption de CO2. Mais une grande question demeure : qui va/doit payer ?
Des mécanismes existent comme le REDD+ (réduction des émissions dues au déboisement et à la dégradation) qui prévoient des compensations financières. Mais pour le moment ils sont peu efficaces car ils rapportent bien moins que toutes les autres activités prédatrices. Ils se concentrent aussi sur la déforestation, bien plus visible que la dégradation.
La solution la plus efficace serait sans doute d'inclure dans le prix des produits issus des zones de forêt tropicale le coût de la dégradation environnementale à laquelle ils participent. Mais outre la difficulté à réaliser une telle évaluation, le monde est-il prêt à une telle "vérité des prix" ?
Pour ce qui est du développement des pays concernés, leurs économies sont pour la plupart en transition vers des modèles dans lesquels les services ou l'industrie deviennent bien plus importants que les activités directement liées au déboisement. Mais les lobbies qui tirent profit de la déforestation sont puissants politiquement. Par ailleurs, se pose la question des populations rurales et des activités qu'elles pourraient développer en substitution - les gouvernements concernés n'ayant aucune envie de générer un exode rural massif. Des politiques spécifiques sont certainement possibles, mais elles ramènent toujours au point de départ : tant que les produits issus de la déforestation ou de la dégradation des forêts tropicales se vendront plus et mieux que ceux qui sont produits de manière durable, le mécanisme ne sera pas enrayé.     

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