55% des Parisiens sont allés voir défiler le Général de Gaulle sur les Champs Elysées : l'opinion des habitants sur la libération de Paris<!-- --> | Atlantico.fr
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Défilé du 26 août 1944.
Défilé du 26 août 1944.
©Bibliothèque du Congrès

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Avant même que la guerre ne se finisse, l'IFOP organisait déjà des sondages pour connaître l'opinion des Parisiens sur la libération de la capitale. Un document qui nous permet de mieux comprendre le climat et les préoccupations de l'époque.

 Ifop

Ifop

L'Ifop est un institut de sondages d'opinion et d'études marketing.

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L’enquête menée dans la semaine suivant la libération de Paris marque donc la seconde naissance de l’Ifop et constitue, au regard de ses conditions de réalisation et de certains de ses enseignements sur l’état d’esprit de la population parisienne, un moment historique pour l’institut et pour la France.

Les conditions très particulières de cette enquête nécessitent les quelques éclaircissements suivants à propos de la méthodologie qui a permis le recueil de ces informations sous l'occupation allemande :

  • Ce sondage auniquement porté sur la population parisienne. La banlieue n'a pas été prise en compte.
  • Plus de 1000 personnes, de plus de 20 ans, des deux sexes et appartenant aux différentes catégories socioprofessionnelles, ont ainsi été interrogées sur la période du 28 aout au 2 septembre 1944.
  • Ces informations ont été recueillis par une vingtaine de personnes volontaires dispersées dans Paris et dans des conditions bien évidemment extrêmement difficiles.
  • Faute de moyens, les calculs ont été réalisés à la main.


Outre ces conditions extrêmes de fabrication, le sondage fournit des éléments précieux sur l’état de l’opinion parisienne, au lendemain de la libération.

L’enquête révèle d'abord qu’une majorité d’interviewés (55,6%) déclare être allé voir défiler le Général de Gaulle sur les Champs-Elysées. L’Ifop précisait à cet égard dans la revue Sondages publiée après l’enquête que « Parmi ceux qui n’y étaient pas, un bon nombre ont indiqué spontanément un motif à cette absence ; des raisons de famille ou des raisons de santé sont bien souvent évoquées ».

Ensuite, l’enquête comprend des éléments factuels sur la « semaine héroïque » ayant abouti à la Libération de Paris. Ainsi, 61,9% des Parisiens interrogés considèrent que le rôle des FFI (Forces Françaises de l’Intérieur, un des principaux mouvements de résistance) a été d’une importance considérable dans la Libération de Paris et 48% estiment par ailleurs le nombre de combattants à plus de 21.000.

92% pensent par ailleurs que le commandement allié a fait entrer intentionnellement en premier la Division Leclerc à Paris, et ce davantage par courtoisie (73,9%) que parce que cela revenait de droit aux Français (6,8%).

Autre enseignement de ce sondage, 85,8% des Parisiens interrogés attribuent aux Allemands et Allemandes la responsabilité des coups de feu tirés des toits sur la population parisienne après la capitulation du commandement Von Choltitz du 25 août.

La « résistance » allemande est par ailleurs davantage expliquée par les sondés pour des raisons de prestige (34,5%) que pour des raisons militaires (29,2%).

Au-delà de ces données très indexées sur l’événement en tant que tel, le sondage recèle une dimension plus prospective qui montre bien le sentiment d’euphorie s’étant emparé de la population parisienne. En effet, invités à pronostiquer la date de la fin de la guerre, 72,4% des Parisiens estiment que le conflit s’achèvera entre fin octobre et fin décembre 1944. Seuls 17% prévoient la fin de la guerre en 1945 ou plus tard.

Jean Stœtzel note à ce propos qu’« Il importe de souligner cependant que les variations d’opinion usuelles dues aux différentes catégories sociales, s’effacent cette fois devant l’amplitude des évènements. Le public semble avoir été entraîné par-delà les réactions ordinaires de milieux ou d’âges, dans un grand mouvement d’enthousiasme collectif ».                

Venant nuancer cette vague d’optimisme qui conduisit la population parisienne à sous-estimer la capacité des forces allemandes à prolonger la guerre, les interviewés apparaissent à l’inverse bien conscients du rapport de force et du rôle des alliés dans la guerre, et ce malgré la censure et la difficulté sous l’occupation à accéder à une information fiable. Ainsi, une très nette majorité (61%) considèrent que l’URSS est la nation qui a le plus contribué à la défaite allemande alors que les Etats-Unis et l’Angleterre, pourtant libérateurs du territoire national, ne recueillent respectivement que 29,3% et 11,5%.

Un sondage mené par l’Ifop en mai 1945, sur l’ensemble du territoire français désormais libéré, confirmera le point de vue de la population parisienne (URSS : 57%, Etats-Unis : 20%).

A cet égard, il convient de noter que cette perception de l’opinion publique s’inversera de manière très spectaculaire avec le temps. En 1994, à l’occasion du cinquantième anniversaire du débarquement allié du 6 juin 1944, l’Ifop réalisa une étude internationale pour Le Monde, CNN et USA Today[1] et posa de nouveau cette question relative à la nation ayant le plus contribué à la défaite allemande : 49% des Français interrogés citèrent les Etats-Unis, 25% l’URSS et 16% la Grande-Bretagne. Un sondage ultérieur mené en 2004[2] accentuera cette tendance avec 58% en faveur des Etats-Unis et 20% seulement pour l’URSS.

Pour autant, en dépit de la reconnaissance par les Parisiens interrogés en 1944 du rôle majeur de l’Armée Rouge dans la défaite de l’Allemagne nazie, plus des deux tiers des personnes interrogées (69%) estiment que ce sont les Etats-Unis qui contribueront le plus au relèvement de la France après la Guerre. 13.8% citent l’Angleterre et seulement 6.2% mentionnent l’Union Soviétique. Tout se passe comme si la population parisienne se rangeait déjà clairement dans le camp occidental alors que les tensions entre alliés préalables à la guerre froide étaient inconnues du grand public.

Cette confiance manifestée par les Parisiens envers l’allié américain bénéficie également à son chef : 72.2% des personnes interrogées déclarent souhaiter la réélection de Franklin Delano Roosevelt, à l’occasion de l’élection présidentielle américaine prévue en novembre 1944.

Enfin, les résultats d’une dernière question, plus légère, démontrent également cet attrait pour l’Amérique qui régnait dans un Paris tout juste libéré.

Les résultats sont extraits d’un sondage Ifop pour Libération, un des journaux de la résistance.
« L’état d’esprit des Parisiens à la libération de la Capitale ».


[1] Sondage réalisé par téléphone en France, Allemagne, Grande Bretagne, Etats-Unis (en France, 969 personnes interrogées du 10 au 11 mai 1994).

[2] Sondage Ifop / Le Figaro mené par téléphone du 2 au 3 juin 2004 auprès d’un échantillon de 1000 personnes âgées de 18 ans et plus. 

[3] A une époque où rappelons-le les femmes étaient toujours exclues du suffrage universel.

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