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Zoug, le canton suisse qui se réinvente en capitale du Bitcoin
©Reuters

Secret bancaire 2.0

La ville de Zoug, commune suisse de 26 000 habitants est devenue un centre névralgique de la crypto monnaie.

Jean-Michel Rocchi

Jean-Michel Rocchi

Jean-Michel Rocchi est président de Société, auteur d’ouvrages financiers, Enseignant à Sciences Po Aix et Neoma.

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  1. Atlantico : Le bitcoin est devenu indispensable à Zoug et Zoug indispensable au bitcoin. Comment la ville de Zoug, modeste commune de 26 000 habitants est devenue un centre névralgique de la crypto monnaie ?

Jean Michel Rocchi :Tout d'abord, Zoug est tout sauf une ville modeste car étant un des Cantons ayant une des fiscalités la plus favorable voire la plus favorable du pays, elle attire de nombreux individus fortunés, de nombreux sièges sociaux ou holdings, ainsi que des fondations. La Confédération Helvétique étant un Etat fédéral, la concurrence fiscale exercée à l'égard des pays tiers existe aussi inter Cantons. Le Canton de Genève est à cet égard par exemple beaucoup moins attractif fiscalement que Zoug. 

Néanmoins, il est clair que le monde des affaires aime la confidentialité, et à cet égard le bitcoin présente une certaine attractivité. il ne faut pas non plus la surestimer, certains spécialistes considèrent que celle-ci est insuffisante et ils lui préfèrent Dash (ex Darkcoin) considéré comme beaucoup plus anonyme. La force du Bitcoin réside plutôt dans le fait qu'il constitue la première capitalisation boursière (terme utilisé pour exprimer la valeur de marché des crypto-devises en circulation) et la plus acceptée dans le monde, tant  comme moyen de paiement direct, que sur les plateformes d'échange contre les devises officielles (à court légal) comme le dollar, l'euro ou le franc suisse par exemple.   

L'examen ci-dessous des 6 premières capitalisations mondiales au 11 octobre 2017 montre que la confidentialité n'est pas le seul critère puisque Dash la plus confidentielle n'est que 6e :  

La capitalisation boursière des 1157 cryptodevises mondiales qui atteint 154 milliards de dollars à ce jour commence à être très conséquente et inquiète d'autant plus  les autorités monétaires  

  1. En août dernier, des cyber-extorqueurs ont fait appels à Shafe shift, un bureau de change numérique basé à Zoug, pour blanchir une bonne quantité d'argent. Certains s'inquiètent de ces transactions trop secrète et leur utilisation possible à des fins criminelles. Quelles sont les mesures que peuvent prendre la ville de Zoug et les autorités pour prévenir de ces risques ?

La Cybercriminalité est en forte expansion et ses revenus illicites explosent du fait notamment de ces trois types principaux le déni de service (ou DDoS), le vol sur des comptes bancaires d'entreprises (CATO) et enfin l'infection d'ordinateur suivi d'une encryption des données restituée contre rançon (CryptoLocker). Les sommes en jeu sont considérables le Cybergang Carbanak a dérobé en une seule opération 1 milliard de dollars à une grande banque internationale .... 

Compte tenu des sommes considérables en jeu il parait difficile de croire que tout sera recyclé en bitcoin, à l'inverse à l'évidence une partie le sera en Bitcoin et en autres cryptodevises. 

L'utilisation du bitcoin par les criminels n'est pas nouvelle, souvenons nous de la fermeture du site Silkroad par le FBI. 

La ville de Zoug et plus généralement les régulateurs du monde devront faire face à ce qui ressemble à un défi qui semble assez largement insoluble. 

Le prix Nobel d'économie Milton Friedman qui avait imaginé de manière prémonitoire les cryptodevises avant leur avènement déclarait aux Etats-Unis dans dans un un entretien télévisé en 1999 : « Je pense qu’Internet sera l’un des vecteurs principaux de la réduction du rôle de l’État. La seule chose manquante, mais qui sera bientôt développée, c’est une e-monnaie sûre, une méthode sur Internet pour transférer des fonds de A à B sans que A ne connaisse B ou que B ne connaisse A … Bien sûr, cela a son coté négatif. Je pense aux gangsters, les individus qui sont engagés dans des activités criminelles, auront aussi une façon plus aisée de conduire leurs affaires. »

Les propos  de Milton Friedman prononcés il y a bientôt vingt ans restent d'une actualité surprenante !      

  1. La Chine a réprimé les échanges crypto-monnaie en septembre, la Securities and Exchange Commission des États-Unis a déclaré en juillet que les ventes de certaines nouvelles monnaies numériques seraient soumises à des règles et la Russie a déclaré hier qu'autoriser le bitcoin était un risque à ne pas prendre.  Est-ce que la suisse et Zoug peuvent se transformer en nouveau paradis fiscale de la monnaie numérique ? 

Il convient à présent de clarifier deux types de moyens paiements qui n'ont rien à voir :

- les monnaies locales complémentaires (MLC) ont vocation à des monnaies d'appoint (Exemple : l'Eusko en France) et ne gênent pas vraiment les autorités monétaires car elles ne remettent pas en cause le droit régalien de "battre monnaie" 

- les cryptodevises (bitcoin et autres) sont des monnaie alternatives, et donc en théorie des monnaies de remplacement, ce qui déplaît à des degrés divers à tous les instituts d'émission du monde car elles viennent contester d'une certaine façon, leur monopole d'émission de la monnaie banque centrale. Les cryptodevises sont en fait des monnaies privées imparfaites qui n'ont pas de cours légal et n'offrent aucun recours à leurs détenteurs. Si leur valeur venait à s'effondrer en l'absence de banque centrale et donc de prêteur en dernier ressort, c'est à dire de garant du système, les détenteurs ne pourraient que constater leurs pertes. 

Néanmoins, l'hypocrisie est de mise puisque de nombreux Etats considèrent que les cryptodevises sont des actifs, ce qui rend possible leur fiscalisation ... 

Je n'emploierai pas l'expression de paradis fiscal mais plutôt celle de moins disant en matière de régulation ce qui permettra de récupérer davantage de business.  Les suisses sont des gens pragmatiques et intelligents qui savent anticiper les évolutions ce qui est une qualité incontestable dans le monde des affaires.  

Soulignons aussi que croire que seuls les criminels détiennent des bitcoin est une vision fausse, ainsi par exemple, lorsque Google avait acheté des bitcoin sur le marché l'impact de ses acquisitions avait été tel qu'il avait fait monter le cours de celui-ci.   

Notons enfin, que les dictatures qui n'aiment pas la liberté que procure internet, n'aiment guère les bitcoin.     

La Chine qui a interdit le bitcoin vient de supprimer la liberté de l'anonymat sur internet, ce qui témoigne au demeurant d'un grande cohérence. 

Pour conclure, on peut méditer sur la belle formule de Jacques Attali dans son ouvrage Les Trois Mondes, qui s'applique assez bien aux cryptodevises : "La monnaie n'est qu'un parasite dans le fonctionnement de l'économie de marché. Un parasite dangereux, à domestiquer, parce qu'on ne peut pas l'éliminer". 

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