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"C’est la quantité des dopants
qui produit la mort,
pas le dopage en lui-même"
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Il va y avoir du sport

Dans une tribune publiée dans Le Monde, Yannick Noah dénonce l'hégémonie espagnole sur le sport international. Selon lui, nos voisins ibériques useraient et abuseraient de produits dopants. Sa solution : légaliser le dopage et remettre tout le monde à zéro.

Christophe Brissonneau

Christophe Brissonneau

Christophe Brissonneau est professeur de sociologie à l'Université Paris Descartes et chercheur au Centre de Recherche Sens, Ethique, Société (CNRS). Ses recherches sont orientées vers le sport et le dopage.

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Atlantico : Yannick Noah a pointé du doigt ce samedi dans Le Monde les bons résultats du sport espagnol qui seraient dus, selon lui, à une pratique généralisée du dopage dans le pays. Partagez-vous cette analyse ?

Christophe Brissonneau : Ce qui est décrit en Espagne se passe dans bien d’autres pays. Il y a là-bas un système sportif structuré qui est le modèle de ce qui existe dans les autres pays où il y a des affaires de dopage. Oui, il y a du dopage en Espagne. Dire qu’il y en a plus, dire qu’il existe des structures ou des microstructures de dopage, on peut s’en douter mais on ne peut pas l’affirmer.

Il ne faut pas plus pointer du doigt l’Espagne qu’un autre pays. Il me semble assez inconcevable qu’il y ait dans un pays comme l’Espagne des systèmes structurés de dopage. Il peut éventuellement y avoir des microstructures. Il y a aussi surement une législation espagnole par rapport aux drogues en général qui expliquerait qu’il y ait peut-être un laxisme au niveau des drogues dopantes. La législation est très serrée en Allemagne et en France, alors qu’elle est plus souple en Espagne.

Pourquoi ne pas reconnaitre à un individu la liberté de se doper ? Ne sommes-nous pas libres de disposer de notre corps comme bon nous semble ?

La déviance n’est pas le fruit d’un acte individuel mais le résultat d’un processus collectif. Il est difficile de parler de "liberté" concernant la question du dopage. Que cela soit en France, où le système est inspiré des pays de l’Est, ou aux États-Unis, pays très libéral, on s’aperçoit dans les deux cas qu’il y a des affaires de dopage et que le sportif, même s’il est quand même acteur de ce qu’il fait, est dans un système qui le pousse à toujours aller plus loin, à repousser ses limites. La question des drogues s’impose presque comme une normalité. Il n’y pas réellement de choix. Le choix est conduit par la réalité du système sportif.

D’ailleurs, dans beaucoup de domaine, la déviance est toujours le fruit d’un processus collectif. Quand un sportif prend la décision de prendre un produit interdit à 22 ans, il faut remonter dix ans avant pour voir comment il est arrivé à normaliser la pratique. Le système sportif, qui coûte des millions et des millions, est là pour produire des champions. Dans la devise olympique, il n’y a pas marqué "santé". D’ailleurs, n’y a-t-il pas écrit sous la flamme "Citius, Altius, Fortius"  (plus haut, plus loin, plus fort) ?

A quoi correspond un système sportif libéral comme il existe aux États-Unis ?

Nous avons le choix entre un système libéral et un système avec un Etat interventionniste qui ferait attention à la santé des sportifs. Dans tous les cas, le dopage est quelque chose, par nature même, de mauvais pour la santé et pour la morale. Il est difficile d’y être  favorable.

Le modèle libéral est caractérisé par certains sports US comme le football américain. Ces types de sport sont très réticents à appliquer les règles de l’Agence mondiale anti-dopage. On sait que pour le football américain, la politique est plutôt "drugs free".

Certains médecins évoquent principalement la notion de quantité. Le dopage, est-ce prendre un stéroïde anabolisant ou dix par jour ? Si vous prenez un produit, vous serez considéré comme dopé, sans que cela abime forcément votre santé. C’est la quantité qui produirait des morts, des sportifs hyper excités, des comportements complètement fous. Ce n’est pas le dopage en lui-même qui provoque les graves problèmes de santé.

Il y a différents types de discours. Il existe les médecins qui sont en dehors du sport et qui disent : "On donne à des gens qui sont en état de très grande fatigue profonde des micros doses d’hormones stéroïdes. Pourquoi ne le ferions-nous pas avec des sportifs ?" Des médecins, qui sont assez proches du haut niveau sportif, considèrent le sport de haut niveau comme une pratique pathologique. Pour eux, il vaut mieux encadrer le dopage, pour arriver, à termes, à obtenir plus de médailles. Il y a enfin les médecins qui ont émergé après l’affaire Festina, comme le Dr William Lowenstein ou le Dr Mustapha Ben Slimane. Pour eux, la lutte anti dopage est un échec, plutôt que de laisser des gens faire n’importe quoi, il vaudrait mieux tout encadrer médicalement.

Depuis les années 1970, un certain nombre de  médecins prônent ce type de discours. Ces médecins qui s’exprimaient jusqu’au début des années 2000, ne s’expriment plus car ils seraient complétement bannis par le discours médiatique. L’affaire Festina a clairement marqué un tournant. C’est elle qui est en partie responsable de la création de l’Agence mondiale anti-dopage (AMA), qui a depuis imposé ses vues aux Etats et aux fédérations sportives. La période fin 1999 - début 2000 a été une période où l’on ne pouvait plus dire que le sport était complétement pur. Il y a eu trop de scandales, d’argent détourné, qui ont conduit à la création d’instances de régulation dans le sport. Ce n’était pas seulement un tournant dans la lutte contre le dopage mais dans l’éthique sportive en général.

L’intervention de Yannick Noah peut-elle contribuer à offrir une fenêtre d’expression médiatique pour un débat sur le dopage ?

En France, à l’étranger, d’autres personnages reconnus se sont exprimés dans les mêmes termes que Yannick Noah. Après un temps de battage médiatique, tout est rentré dans l’ordre.  Il a fallu le scandale Festina pour changer politiquement.  Après Ben Johnson à Séoul en 1988, Festina en France en 1998, à quand un prochain grand scandale, et où ?

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