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Marissa Mayer, PDG de Yahoo !
Marissa Mayer, PDG de Yahoo !
©Reuters

Ingénieux

La PDG de Yahoo! Marissa Mayer a présenté au CES 2014 la nouvelle version de sa plateforme Smart TV : une télé connectée avec une chaîne-application développée par le groupe et qui recommande aux utilisateurs des programmes personnalisés.

Olivier Ezratty

Olivier Ezratty

Spécialiste des médias numériques, Olivier Ezratty conseille les entreprises des métiers de l’image (TV, cinéma, vidéo, photo) pour l’élaboration de leurs stratégies d’innovation dans les dimensions marketing et technologiques. Il intervient aussi bien auprès de grandes entreprises qu'auprès de start-ups et de fonds d’investissements.

Dans son blog Opinions Libres, il décode les mouvements des acteurs de l’industrie des médias numériques et publie notamment son rapport annuel de visite du Consumer Electronics Show (CES) de Las Vegas.

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Atlantico : Internet est désormais partout ou presque… Et quand il est "presque partout", on réfléchit justement à l'insérer dans les supports oubliés jusque-là (automobile connectée, maison connectée, etc.). Dans quelles circonstances privilégions-nous d'autres supports internet à la télé et dans quelle mesure cela [l'utilisation d'autres supports internet] se fait-il au détriment de la télé ?

Olivier Ezratty : Il ne faut pas opposer Internet et la TV. Internet, c’est un tuyau qui alimente nos écrans. Et la TV en fait partie maintenant comme les autres écrans.

Plus du tiers des foyers français ont une TV connectée à Internet dans le cadre des offres triple play des opérateurs télécoms. Un abonné Canal+ peut aussi connecter sa set-top-box pour récupérer des contenus à la demande. Et une TV connectée est connectable à Internet pour récupérer tout un tas de contenus, y compris des jeux ou des contenus à la demande des chaines de TV (replay TV).

Ce qui change dans le « poste de TV », c’est que la part des contenus issus d’Internet augmente au détriment de ce qui vient des chaines TV qui émettent en direct, notamment via la TNT. L’enjeu pour les chaines TV est de continuer à capter leurs audiences. Elles y arrivent plutôt bien puisque la TV sert encore en grande majorité à regarder des chaines TV en direct (plus de 80% du temps passé devant la TV en France). Mais les usages dépendent des classes d’âge. Plus on va vers les jeunes, plus la consommation est non linéaire et passe par Internet, notamment sur YouTube. Plus on va vers les seniors, plus la consommation de TV est traditionnelle.

Les chaines TV utilisent maintenant les réseaux sociaux (encore… Internet) pour préserver l’attention de leurs audiences. Ceci se fait dans le cadre maintenant très courant de la consommation télévisuelle en mode « multi-écrans ». Le contenu passe sur la TV et le second écran, tablette ou smartphone, sert à tout le reste : échange avec ses amis, télécommande de la TV ou de la box, recommandation de contenus, informations sur les programmes, voire publicité interactive contextuelle et T-commerce (achat en ligne lié à ce que l’on regarde). Les applications second-écran savent reconnaitre le contenu que l’on regarde à la TV et afficher des contenus personnalisés en conséquence. D’ailleurs, les applications mobiles second-écran des grandes chaines (TF1, M6) proposent déjà cela.

Même si la télévision reste l'écran préféré des Français, elle pâtit de cette montée en puissance du tout-internet. C'est pourquoi la PDG de Yahoo!, Marissa Mayer, a présenté au CES 2014 la nouvelle version de sa plateforme Smart TV : une télé connectée avec une chaîne-application développée par le groupe et qui recommande aux utilisateurs des programmes personnalisés. En effet, Yahoo! mise sur les programmes sur-mesure pour révolutionner la télé. L'intrusion d'internet dans la télé est-ce un lifting nécessaire pour prévenir sa mort ? Concrètement, comment cette intrusion d'internet peut-elle sauver la télé ?

Quand vous dites « sauver la télé », vous pensez sans doutes aux chaines de télévision et pas à l’écran lui-même, qui permet de regarder toutes sortes de contenus et même de jouer avec sa console de jeu. A contrario, les chaines de TV peuvent être regardées en direct sur PC/Mac ou sur tablette comme le font souvent les plus jeunes. Il y a un découplage de plus en plus fort entre la TV « chaines » et la TV « écran ».

Les chaines TV préfèreraient conserver une relation étroite avec leur audience aussi longtemps que cela sera possible et avec leurs propres applications plutôt que de laisser un tier « horizontaliser le march » en proposant des contenus couvrant toutes les chaines. C’est d’ailleurs l’objet d’une relation quelque peu tendue en France entre les chaines et les opérateurs télécoms pour leurs box TV.

Ce que fait Yahoo n’a pour autant rien de très nouveau. Google essaye de faire plus ou moins cela avec Google TV depuis 2010 (rebaptisé Android TV). Les solutions dites « over the top » comme Apple TV ou Roku (aux USA) permettent de consommer de la vidéo à la demande sans passer par les chaines TV, et notamment par le fameux service de vidéo à la demande par abonnement Netflix qui équipe plus du tiers  des foyers américains. Les opérateurs télécoms, du câble et du satellite ont aussi des set-top-boxes qui offrent des fonctions permettant de choisir son contenu en direct ou à la demande. Yahoo Smart TV est plutôt une simple application comme une autre, qui semble être disponible sur TV Samsung et Vizio aux USA pour commencer.

Mais si la Yahoo! Smart TV conserve la linéarité de l'offre télévisuelle, elle touche au lien spectateur-programme : tout le monde ne regardera pas les mêmes programmes. Par ailleurs, la télévision n'est déjà plus un élément fédérateur de la famille et de la société comme cela était le cas lorsque la France n'avait qu'une seule chaîne TV avant que l'offre ne soit davantage diversifiée… Autrement dit, plus il y a de choix de programmes, plus la télé perd de son sens. En quoi peut-on y voir l'arrêt de mort de la télé ?

La France était jusqu’aux années 1990 une exception dans le monde, avec un nombre de chaines TV très limité, et qui plus est exclusivement issues du service public (jusqu’à l’arrivée de Canal+ en 1984). Mais dans les autres pays comme le Royaume-Uni ou les USA et même l’Allemagne, le choix a été plus large bien avant. Et les chaines TV ne sont pas mortes pour autant. Pourquoi vouloir la mort d’un média parce qu’il y a plus de concurrence ? Maintenant, quel que soit le moyen de réception (Internet, satellite, etc), le choix de chaines est énorme. Sur un bouquet de chaines d’un opérateur télécom français, on dispose facilement de plus de 100 chaines TV. Elles sont cependant d’intérêt variable et les grandes chaines, même si leur audience a baissé, captent encore le deux tiers des audiences avec des programmes grand public. Elles attirent le spectateur avec des créations originales qui passent pour la première fois à la TV, avec des émissions en direct, des reportages, de la TV réalité en liaison avec les réseaux sociaux. Elles se sont renouvelées pour tenir compte des évolutions des modes de consommation. A contrario, le passage de films dans les grandes chaines de TV n’est plus aussi stratégique que par le passé car il existe plein d’autres moyens de les consommer. Et les petites chaines manquent de moyens pour la plupart. Le paysage de la TNT est éloquent : les petites chaines programment beaucoup de rediffusion même si on y trouve quelques émissions de plateau comme les talk-shows sur D8.

Les chaines TV vont souffrir des différentes formes de concurrence issues de l’Internet et des médias alternatifs mais elles ne vont pas mourir pour autant. Elles s’adaptent plus ou moins bien selon les cas. Et il faut aussi distinguer leur modèle économique : le payant pour Canal+, les chaines gratuites financées par la publicité et les chaines publiques financées par la redevance et par la publicité avec une proportion qui dépend des pays.  La concurrence prend une forme différente dans les trois cas : la TV payante style Canal+ est concurrencée par la TV gratuite et par la vidéo à la demande. Aux USA son homologue HBO est sérieusement concurrencé par Netflix. Et les câblo-opérateurs perdent un demi-million d’abonnés par an. Les clients remplacent leur abonnement au câble par un abonnement Internet et un abonnement à Netflix éventuellement complété de HBO Go ou Hulu (pour les séries TV). Ils gagnent surtout 40% dans l’addition au passage ! La publicité a la TV a pour l’instant bien résisté à « Internet ». C’est surtout la presse écrite qui a souffert. L’enjeu pour les chaines TV est de transformer leurs modèles publicitaires pour intégrer les modèles de l’Internet avec des publicités ciblées, une mesure de l’efficacité, un suivi du cycle de vente et une meilleure intégration avec les autres supports publicitaires. Tout ceci est rendu possible par les TV connectées et les seconds écrans. Bref, les chaines TV sont ou rentrent dans l’Internet. Pour ce qui est de la TV publique, elle est protégée sur une moitié de ses ressources et sur l’autre moitié, elle doit faire comme les chaines gratuites : s’adapter.

Pensez-vous que la télé "traditionnelle" est vraiment vouée à l'échec si internet ne vient pas à sa rescousse ?

La TV et l’Internet sont des objets « flous » qui se croisent. La TV est déjà sur Internet ! Dans certains cas, Internet aide les chaines TV comme avec les réseaux sociaux qui donnent de la valeur aux programmes diffusés en direct. Dans d’autre, elle ne les aide pas, quand il détourne l’attention des téléspectateurs des chaines TV. Mais il existe une grande loi universelle qui protègera encore quelques temps la TV : le besoin de se détendre et de décrocher. Quand on rentre du travail et que l’on est fatigué, parfois à cause d’Internet (emails, bureautique, stress numérique…), et que l’on a terminé les tâches quotidiennes (devoirs aux enfants, formalités administratives, achats en ligne, etc), la TV classique reste un bon moyen de se reposer les neurones !

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