Y a-t-il un lien entre délinquance et familles monoparentales ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Il y a un certain discours "décadentiste" en France qui consiste à dire que "tout fout le camp".
Il y a un certain discours "décadentiste" en France qui consiste à dire que "tout fout le camp".
©Reuters

Idée reçue ?

L'opinion est souvent tentée d'expliquer la montée de l'insécurité et de la délinquance par l'éclatement de la famille dite "traditionnelle" et l'absence d'autorité. Un point de vue sur lequel s'accordent la plupart des chercheurs qui ont travaillé sur ce sujet.

Laurent Mucchielli

Laurent Mucchielli

Laurent Mucchielli est un sociologue spécialisée sur l’analyse de l'évolution de la délinquance, de la violence et des politiques de sécurité.

Il est l'auteur de "L'invention de la violence. Des peurs, des chiffres, des faits" chez Fayard.

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Atlantico : Selon certaines statistiques, les enfants de familles monoparentales auraient davantage de chances de tomber dans la criminalité que ceux issus de familles classiques. Qu'en est-il en réalité ?

Laurent Mucchielli : Premièrement, d’un point de vue purement statistique, lorsque l’on réalise une étude on peut trouver tout un tas de variables qui peuvent être des trompe-l’œil sur le plan de l’analyse. Pour utiliser des termes spécifiques, il existe une différence entre ce que l’on appelle une corrélation statistique et une explication concrète. Je m’explique : imaginons que lors d’une étude sur les personnes atteintes de cancer on se rende compte que la majorité d’entre eux sont locataires plutôt que propriétaires. Cette information collectée, on pourrait être tenté de dire que le fait d’être propriétaire diminue les chances de développer cette maladie, ce qui se révèle être bien sûr une aberration sur le plan de l’explication. La propension à attraper le cancer ne saurait évidemment se mesurer sur de tels critères.

La relation entre famille monoparentales et criminalité relève donc d’un effet de loupe. Il est vrai effectivement de remarquer que, lorsqu'on observe les populations qui ont affaire à la justice, on trouve davantage de personnes issues de ces milieux familiaux. Cela s’explique cependant de manière bien plus efficace lorsqu'on se rend compte qu’il y a moins de familles monoparentales dans les milieux favorisés que dans les milieux populaires. C’est ici l’origine sociale davantage que l’origine familiale qui se trouve être déterminante dans le développement de la délinquance et de la criminalité.

Ces impressions ne révèlent-elles pas une inquiétude croissante face à la déstructuration de la famille ?

Effectivement. Il y a un certain discours "décadentiste" en France qui consiste à dire que "tout fout le camp" et que les valeurs qui cimentaient autrefois la société sont en train de disparaître. La vision de la famille et du mariage n’échappe pas à ce genre de constat très en prise sur l’opinion publique. Il est certes bien certain que la famille ainsi que la relation parent-enfant ont évolué, mais de nombreux travaux tendent à démontrer que cela débouche davantage sur de nouvelles structures que sur une explosion de la famille en tant que lien. Les valeurs et l’entraide familiales existent bel et bien, mais les modifications profondes qu’elles subissent déclenchent en effet une certaine appréhension d’une bonne partie de la population.

On évoque ainsi beaucoup la fin de l’autorité et d’aucuns font trop rapidement le lien avec le développement de la délinquance. Ce n’est pourtant pas l’émergence d’un nouveau rapport entre l’enfant et ses parents qui est ici un facteur clé, mais bien l’absence de relations, phénomène qui encore une fois peut toucher les familles qui ne sont ni séparées, ni divorcées. L’absence du père est bien un problème qui influence directement l’enfant, il serait absurde de le nier, mais ce n’est pas un cas qui se cantonne aux familles monoparentales et il est loin d’être directement déclencheur de comportements criminels, l’entrée en jeu d’autres causes étant ici nécessaire.

Quelles sont donc les causes principales du développement de la criminalité ?

Il existe trois « gros » facteurs, qui d’ailleurs s’imbriquent les uns dans les autres, sur le plan statistique : le premier facteur de délinquance est comme nous l’avons déjà évoqué l’existence d’un conflit parental accompagné de violences conjugales ou de maltraitance sur les enfants. Cela crée un syndrome de reproduction des pratiques violentes qui transforme très souvent les victimes en agresseurs.

Vient ensuite un facteur qui n’est pas directement familial, bien que cela soit parfois lié, à savoir l’échec scolaire qui s’accompagne d’une marginalisation influant directement sur la tentation de se comporter en sociopathe. Ce critère d’éloignement des normes sociales joue d’ailleurs autant sur l’entrée dans la délinquance que dans sa sortie : un repris de justice sera moins tenté de récidiver s’il possède une activité et un salaire qui lui permettent de s’occuper, de s’intégrer et de se structurer.

Le troisième facteur, et non des moindres, est la précarité socio-économique qui pèse à la fois sur la construction d’une vision de la société (l’enfant sera moins tenté de travailler pour s’en sortir s’il constate que, comme ses parents, il a de fortes chances de vivre sur un maigre salaire).

L’impact des familles monoparentales intervient par contre loin derrière et ne peut être considéré que comme très secondaire dans le déclenchement de la délinquance juvénile et plus tard de la criminalité aggravée. Il s’agit d’un phénomène choquant pour l’opinion mais moins destructeur qu’on le pense sur le plan social.

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