Wokisme et Black lives matter : à qui profite l’antiracisme ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des manifestants lors d'un rassemblement aux Etats-Unis dans le cadre du mouvement Black Lives Matter.
Des manifestants lors d'un rassemblement aux Etats-Unis dans le cadre du mouvement Black Lives Matter.
©GEORGE FREY / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Bonnes feuilles

Sylvie Perez publie « En finir avec le wokisme Chronique de la contre-offensive anglo-saxonne » aux éditions du Cerf. Le wokisme est né sur les campus américains. Il a gagné l'Angleterre et le continent européen. Son berceau deviendra-t-il son tombeau ? L'heure est à la contre-offensive. Et dans le monde anglo-saxon, la résistance s'organise. Extrait 2/2.

Sylvie Perez

Sylvie Perez

Sylvie Perez est journaliste. Elle a travaillé dans la presse écrite et à la radio. Sylvie Perez a publié plusieurs essais, romans et livres d'entretiens, et traduit de l'anglais l'œuvre théâtrale d'Agatha Christie. En 2023, elle publie « En finir avec le wokisme Chronique de la contre-offensive anglo-saxonne » aux éditions du Cerf.

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Le mouvement Black Lives Matter voit le jour en 2013 sous l’impulsion de trois femmes : Alicia Garza, Patrisse Cullors, Opal Tometi. Elles protestent contre l’acquittement, au motif de la légitime défense, de George Zimmerman, agent de sécurité en Floride, responsable de la mort Trayvon Martin, un jeune de 17 ans. Elles lancent le hashtag #BlackLivesMatter. Année après année, BLM va orchestrer des marches toujours plus amples contre le racisme et les violences policières. Le mouvement de protestation culmine en 2020 après l’arrestation fatale de George Floyd à Minneapolis.

Il convient de s’interroger sur la portée des mobilisations monstres orchestrées par ce mouvement social, un des plus influents de ces cinquante dernières années. L’écho gigantesque recueilli par ses actions a généré un volume non moins gigantesque de commentaires à propos du racisme systémique de la police américaine. Cet impact médiatique a aussi eu l’effet salutaire de susciter un examen à la loupe de la situation. Depuis le 1er janvier 2015, le Washington Post documente la réalité des violences policières dans une banque de données en libre accès, mise à jour en permanence, qui recense tous les cas de civils tués par balle par un policier en exercice. On y trouve, détaillés : date et lieu exact de l’arrestation, nom de la victime, son sexe, son âge, son état mental, sa « race » (H pour Hispanic, B pour Black, W pour White et, beaucoup plus rarement, A pour Asian, N pour Native American), si l’interpellé était armé, s’il a tenté de fuir.

Les chiffres sont à peu près stables depuis 2015. Aux États-Unis, sur une population de 330 millions d’habitants, ont lieu chaque année 10 millions d’arrestations. 1000 personnes sont tuées par la police lors de ces arrestations, dont 250 Noirs. En d’autres termes, 25 % des personnes tuées par la police sont noires – un chiffre supérieur à la proportion de 13 % de Noirs dans la population américaine. BLM voit là l’illustration du racisme systémique de la police. C’est ignorer que les Noirs (13 % de la population globale, donc) sont responsables de 50 % des 17000 homicides annuels commis aux États-Unis. Selon le même principe, les Noirs tués par la police sont pour la plupart des hommes, non pas du fait de la misandrie de la police, mais parce que la plupart des interpellés sont des hommes.

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Si les Noirs sont responsables de 50 % des 17000 homicides annuels aux États-Unis, notons que leurs victimes sont en majorité afro-américaines. Pour un Noir tué par la police, 25 Noirs sont abattus par leurs «frères de couleur». Seulement ces 25 vies noires sacrifiées (parmi lesquelles des enfants noirs victimes de balles perdues), du fait qu’elles ne peuvent être attribuées au racisme, n’intéressent pas BLM dont la motivation affichée est pourtant de sauver des vies noires.

Le mouvement BLM a-t-il contribué à sauver des vies noires ? Quatre universitaires, Wilfred Reilly de l’Université d’État du Kentucky, Robert Maranto, Patrick Wolf et Mattie Harris de l’Université d’Arkansas ont étudié la question et dressent un bilan désastreux de l’activisme de BLM. Selon leurs travaux, l’influence politique du mouvement a conduit les dirigeants politiques à répondre à leurs demandes de couper les budgets de police de façon drastique dans une vingtaine de villes, entre autres à San Francisco, Portland, Chicago, New York, Los Angeles, Minneapolis, Philadelphie. Cette réduction des moyens des forces de l’ordre a occasionné une flambée des homicides, laquelle a frappé prioritairement les populations noires. «Defund the police ! » (« définancez la police»), le slogan lancé par BLM, a été fatal à la communauté noire. En 2020, le nombre d’homicides aux États-Unis augmentait de 30 %. Or 55 % des victimes d’homicides sont noires, 90 % d’entre elles étant abattues par des Noirs36. Wilfred Reilly évalue à 2 874 le nombre de victimes noires supplémentaires à travers le pays en 2020 du fait de la réduction des effectifs de police. Moins de patrouilles et moins d’arrestations ont fait exploser la criminalité. On note une recrudescence des meurtres de 58 % en 2020 à New York, 65 % à Chicago.

Du reste, à Minneapolis, la ville où est mort George Floyd, plus d’un an après le drame, un sondage montrait que les trois quarts de la population noire étaient défavorables aux coupes budgétaires visant les services de police. À vrai dire, depuis les années 1960, la population noire s’est toujours prononcée en ce sens. Résumons-nous : les mobilisations emmenées par BLM n’ont eu aucun effet sur les bavures policières (le nombre de victimes noires abattues par la police est stable et s’établit autour de 250 par an depuis 2015) mais elles ont aggravé l’insécurité, une insécurité dont les Noirs payent le plus lourd tribut.

La police tue, répètent les leaders de BLM. On a vu des policiers noirs essuyer les insultes de «traîtres à la race» ou de «nègres de maison » et se faire cracher au visage par de jeunes wokes convaincus de combattre le racisme. Après la mort de George Floyd, et les violences qui ont accompagné les manifestations BLM de l’été 2020, de guerre lasse, trois chefs de police ont démissionné : Carmen Best à Seattle, Renée Hall à Dallas, Danielle Outlaw à Portland. Dans ces trois villes, elles étaient les premières femmes noires nommées à la tête des forces de l’ordre.

Quid du bilan philanthropique de BLM? L’organisation semble plus efficace dans l’agit-prop que dans l’action humanitaire. En novembre 2020, dix antennes de BLM aux États-Unis publiaient une lettre ouverte pour contester le leadership de Patrisse Cullors et l’opacité des comptes, et incitaient les donateurs à verser l’argent directement aux branches locales du mouvement. Fin mai 2021, Cullors, directrice exécutive de la Black Lives Matter Global Network Foundation, donnait sa démission. Amazon, qui proposait à ses clients de reverser une partie de ses bénéfices à des œuvres de leur choix (sur sa plateforme Amazon Smile), a retiré BLM de la liste, faute de transparence. Aux dernières nouvelles, cinq États américains ont supprimé au mouvement son statut d’œuvre de charité et lui interdisent de recevoir des dons. Il incombera aux nouveaux directeurs de faire la lumière sur la caisse noire de BLM.

Le New York Post et le New York Magazine se sont penchés sur l’allocation des quatre-vingts millions de dollars de dons perçus par l’association en 2020-2021. 32 millions ont été investis en Bourse. 6 millions de dollars ont été dépensés pour l’achat d’une villa à Los Angeles que Patrisse Cullors a utilisée par deux fois à des fins personnelles, pour fêter l’anniversaire de son jeune fils puis pour fêter l’élection du Président Biden. BLM a par ailleurs versé 840000 dollars au frère de Cullors (un artiste graffeur) pour «services de sécurité», et 970000 dollars à l’ex-compagnon et père du fils de Cullors pour «organisation d’événements». Patrisse Cullors, mariée en 2016 à Janaya Khan, une femme devenue non-binaire, n’a pas ménagé son aide à l’idéologie transgenre, supervisant des versements de BLM à douze associations transgenres à hauteur de 2,6 millions de dollars. Une cause étrangère aux problèmes majeurs des Noirs américains. Du reste, des familles de victimes reprochent à BLM de s’enrichir sur le dos de leurs enfants tués par la police et disent n’avoir perçu aucune aide, ni pour les funérailles, ni pour les frais juridiques de réouverture d’enquête, ni pour soutenir leurs fondations familiales. Tandis que la notoriété de Patrisse Cullors lui aura offert des contrats d’édition (son dernier livre est un Guide du parfait abolitionniste) ainsi qu’un deal audiovisuel avec Warner Bros. Selon le New York Post, Patrisse Cullors n’ayant produit aucun des programmes promis à ses producteurs, Warner Bros n’a pas renouvelé le contrat après l’échéance de deux ans.

L’antiracisme peut rapporter gros. Ayant relevé l’ampleur des mobilisations BLM, et en ayant déduit que les clients en quête de vertu ne sont pas difficiles à rallier aux grandes causes, les professionnels de l’antiracisme ont perfectionné leurs méthodes pour détrousser les bonnes âmes. Il se trouve des gourous de la théorie critique raciale pour assumer ouvertement de s’en prendre aux Blancs sans se soucier d’améliorer en quoi que ce soit le sort de la population noire. Les Américaines Regina Jackson et Saira Rao – l’une travaille dans l’immobilier, l’autre fut avocate – ont décidé de devenir des consultantes antiracistes, et mis au point l’organisme Race2dinner, quelque chose entre l’événementiel, la filière Tupperware et la thérapie de groupe. Leur cœur de cible : des femmes blanches progressistes de la haute société désireuses de s’indigner contre le racisme. Race2dinner réunit des groupes de huit femmes blanches à dîner, l’une des huit femmes est chargée de préparer le repas pour dix (les huit participantes plus les deux conférencières). Jackson et Rao facturent la soirée quatre-cents dollars par tête. «Notre vision : la libération », clament-elles sur leur site qui promet d’affranchir les femmes blanches du suprémacisme blanc et du patriarcat. Pendant le dîner, Jackson et Rao aident leurs clientes à prendre conscience de leur contribution au système d’oppression, à verbaliser les pensées racistes qu’elles portent au fond d’elles-mêmes, à expier leurs fautes (selon un reportage du quotidien britannique Guardian, on trouve même des femmes ayant adopté des enfants noirs pour se prêter à ce genre de séance d’aveu de racisme). Jackson et Rao s’enorgueillissent de faire pleurer leurs clientes et demandent que soit prévue une salle dédiée aux pleurnicheries – pas question de supporter le spectacle de ces bourreaux en larmes… Depuis le printemps 2019, les deux conférencières parcourent les États-Unis à l’appel de martyres de gauche prêtes à payer cher pour se morigéner. Cette clientèle s’offre au prix fort le frisson de la flagellation. Selon l’antiracisme contemporain, ne pas être raciste ne suffit pas, il faut être antiraciste. Comment ? «Différents rôles peuvent échoir aux Blancs, dit Regina Jackson. Ils peuvent devenir des alliés, ou des défenseurs, ou d’authentiques activistes et ils peuvent aussi donner de l’argent. Si vous ne voulez endosser aucun de ces rôles, foutez le camp ! ».

Extrait du livre de Sylvie Perez, « En finir avec le wokisme Chronique de la contre-offensive anglo-saxonne », publié aux éditions du Cerf

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