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Le combat perdu de Wikileaks, victime de la vengeance des États
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Une année de déchéance

Il y a un an jour pour jour éclatait l'affaire dite du "cablegate" de Wikileaks. Aujourd'hui, son fondateur Julian Assange va être extradé en Suède dans le cadre d'enquêtes pour agressions sexuelles et viol et le site a suspendu ses publications après le gel de ses comptes bancaires. Retour sur une année mouvementée...

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe, docteur d’État, hdr., est directeur de recherche à l’IRIS, spécialisé dans la communication, la cyberstratégie et l’intelligence économique, derniers livres : « L’art de la guerre idéologique » (le Cerf 2021) et  « Fake news Manip, infox et infodémie en 2021 » (VA éditeurs 2020).

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Il y a un an jour pour jour éclatait l'affaire dite du "cablegate" de Wikileaks : 250 000 câbles diplomatiques américains mis en ligne, opération relayée par cinq grands quotidiens européens. Ce n'était pas le coup d'essai du site de Julian Assange qui fonctionnait depuis fin 2006. Il avait déjà révélé force scandales - détournements de fonds au Kenya, scandales bancaires, manipulation de données par la Climatic Research Unit pour soutenir la thèse du réchauffement climatique, exactions de diverses dictatures... En 2010, Wikileaks a déjà publié, outre la vidéo d'une bavure de l'US Air Force tuant des photographes par erreur, des milliers de documents militaires secrets américains sur l'Afghanistan et l'Irak.

Le secret au cœur de l'État

Même si les documents militaires ou diplomatiques n'apprennent finalement pas grand chose dont les spécialistes ne se soient doutés, ne font pas tomber de gouvernements, ni ne provoquent de grands procès pour crimes de guerre, l'ampleur du phénomène lui donne un écho planétaire en 2010.

C'est le principe même du secret, inhérent à la diplomatie et au fonctionnement même de l'État qui est menacé. Plus nous entrons dans une société dite de l'information, plus il y a de données confidentielles et précieuses, plus les documents classifiés se multiplient. Mais ici intervient une autre logique : plus une grosse machine - État ou entreprise - a de secrets, plus elle doit les confier à des mémoires informatiques, à des mots de passe et à des gens accrédités, plus il y a de failles. Les chances s'élèvent que, parmi ces gens, il s'en trouvent qui aient vocation à jouer les "whistleblowers" (les membres d'une organisation qui "sifflent la faute" et révèlent les scandales).

Et comme Wikileaks qui ne publie que des documents authentiques leur donne toute facilité pour les déposer numériquement et anonymement… Toute organisation peut donc craindre de voir jeter sur la place publique et les fautes passées qu'elle tente de couvrir et les plans pour le futur qu'elle souhaiterait dissimuler.

Le péril est d'autant plus redoutable qu'Assange et ses amis ne militent pas pour un système politique, mais pour la transparence en tant que telle (au nom d'une vague idéologie du contre-pouvoir qui veut que ceux qui sont chargés du Bien Commun ne puissent plus comploter ou détourner le pouvoir si le citoyen sait tout ce qu'ils font). L'exemple devient contagieux. Voici qu'apparaissent des Open Leaks, des French Leaks, Cryptome.org et autres sites destinés à recueillir les révélations de citoyens.

La riposte étatique 

Pourtant, un an plus tard, Julian Assange en est réduit aux derniers recours juridiques afin de retarder une extradition vers la Suède pour des faits qui n'ont en principe rien à voir avec ses révélations, et il annonce la suspension de la publication des documents, étranglé par le gel des comptes  Visa, MasterCard, Western Union et PayPal, qui permettaient à son organisation de recevoir des dons. Des ennuis qui font suite à la suite de dissensions internes, suspensions de noms de domaine, attaques par déni de service, problèmes d'hébergement informatique, procès divers qui s'abattent sur Wikileaks. 

Tout cela n'est sans doute pas la preuve d'un complot, mais tant de réactions - notamment celles des acteurs économiques qui devraient en principe ne connaître que des rapports contractuels et privés - ne sont pas non plus spontanés.

Wikileaks dont toute la force reposait sur les failles adverses - la complexité des machines à secret - découvre à son tour qu'il est fragile parce que dépendant de dispositifs techniques et économiques. Leçon à méditer pour ceux qui croient que les technologies numériques sont forcément au service du faible ou du citoyen parce qu'accessibles à tous et de partout : l'État se venge par des méthodes indirectes et la compétition reste ouverte.

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