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Vrai retour de l’inflation ou pas ? Le débat pourtant essentiel que personne ne prenait la peine trancher en Europe
©Reuters

Et pendant ce temps-là...

L'inflation au sein de la zone euro a connu une baisse entre février et mars pour atteindre le niveau de 1,5%. Les chiffres de l'année 2017 ont poussé les faucons, certains membres de la BCE, a faire en sorte que les politiques non-conventionnelles prennent fin le plus rapidement possible.

Maxime Sbaihi

Maxime Sbaihi

Maxime Sbaihi est économiste, directeur général du think-tank GenerationLibre.

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Atlantico : Alors que l'inflation au sein de la zone euro était de 2% en février, celle-ci s'est affaissée pour atteindre 1.5% pour le mois de mars 2017. Alors que certaines personnalités s'étaient prononcées pour un resserrement de la politique monétaire, au regard d'une inflation à 2%, Mario Draghi s'y était opposé en évoquant un phénomène passager, ce qui a été confirmé par la suite. Comment expliquer un tel débat, faut-il y voir une opposition plus idéologique qu'économique ? Quels sont les acteurs de ce débat ?

Maxime Sbaihi : A la même période l'année dernière les chiffres de l'inflation étaient négatifs en glissement annuel et tout le monde s'inquiétait du risque de déflation. Aujourd'hui, ils sont très proches de la cible de la BCE. Pourtant, le paysage économique n'a pas radicalement changé en l'espace d'un an. Les variations mensuelles de l'inflation ont été très perturbées, je dirais même faussées, par les effets d'un pétrole peu cher. Ces effets de base sont en train de disparaître, expliquant pour beaucoup la remontée de l'inflation puis sa stabilisation autour de 1.5%. La BCE ne réagit pas à un chiffre mensuel, pas plus aujourd'hui qu'il y a un an.

Il est vrai que certains membres de la BCE ont profité des meilleurs chiffres en 2017 pour rappeler que les politiques non-conventionnelles n'étaient pas infinies. Il s'agit là surtout de faucons, appelés ainsi en raison de leur aversion personnelle à une politique monétaire accommodante. Ils portent davantage d'attention à ses coûts, les risques financiers par exemple, que ses bénéfices. Le conseil des gouverneurs de la BCE est ainsi composé de 25 membres qui ne partagent pas tous la même opinion. Il est normal qu'un meilleur profil d'inflation pousse les membres les plus critiques envers la politique actuelle à envisager un changement de cap. Cependant il faut noter que leurs commentaires restent à ce stade timides et prudents, se contentant surtout de rappeler qu'il faudra bientôt rediscuter des modalités de sorties du programme de quantitative easing. Il est beaucoup trop tôt pour crier victoire, et ils le savent.

La ligne Draghi, qui consiste à vouloir garder en place l'actuelle politique monétaire au moins jusqu’à la fin de l'année, reste majoritaire à Francfort. Draghi a d'ailleurs expliqué que l'inflation devait remplir au moins 4 critères avant de procéder à un resserrement de la politique monétaire : elle doit se stabiliser autour de 2% sur le moyen terme, y rester avec confiance, même en retirant le stimulus monétaire, et cela doit valoir pour la zone euro dans son ensemble. Actuellement, le seul le dernier critère est rempli. Il va falloir du temps pour les trois autres.

Quelles sont les conséquences réelles de cette opposition au sein de la zone euro ? En quoi l'absence de consensus sur cette question peut-elle peser sur les résultats de l'action entreprise par Mario Draghi ?

Tout président de la BCE se doit d'être avant tout un diplomate, pour ne pas dire un acrobate. La culture de la BCE c'est le consensus : les décisions y sont prises par discussion et les votes très rares. Le rôle du président est alors primordial : il doit faire en sorte de représenter la majorité tout en évitant de léser les membres qui ne sont pas d'accord avec lui. Il en va de la crédibilité de l'institution. La démission de deux membres allemands en 2011 à cause de désaccords sur la politique menée en plein crise a mis en péril l'unité de la BCE. Depuis qu'il est arrivé, Draghi a œuvré pour calmer les esprits et ses rapports avec les faucons se sont depuis normalisés. On peut même parler d'entente désormais cordiale entre lui et le puissant président de la Bundesbank Jens Weidmann. Le fait que le dernier vise probablement la succession du premier ne doit pas y être pour rien. Quoiqu'il en soit, plus la BCE se montre unie plus le message qu'elle envoie aux marchés sera efficace. Cela est d'autant plus important aujourd'hui que les investisseurs posent la question légitime de la stratégie de sortie des politiques non-conventionnelles mises en place au cours des dernières années.

Dans une interview donnée au journal Le Monde, le Chef économiste de la Banque Mondiale, Paul Romer, préconise une surchauffe économique qui pourrait se traduire par plus d'inflation. Quelle est la logique de cette proposition ? A-t-elle une chance d'être entendue par les responsables européens?

Il préconise de porter davantage les efforts sur le marché du travail, même si cela implique un regain d'inflation. L'argument n'est pas nouveau et la science économique abonde de papiers discutant cet arbitrage. Le problème c'est la baisse structurelle de la productivité, mais aussi le fait que la relation historique entre les tensions sur le marché du travail et le profil de l'inflation semble avoir changé. Il suffit de regarder l'Allemagne, au plein emploi depuis quelques temps, ou les Etats-Unis pour s'en apercevoir. L'inflation y reste historiquement faible.

Une inflation plus élevée avantage les créditeurs et permet, entre autres, d'éroder la valeur réelle de la dette. C'est un argument non-négligeable compte tenu des niveaux élevés de dette en Europe. Mais l'inflation réduit aussi le pouvoir d'achat et défavorise les épargnants. Le niveau d'inflation qu'une société est prête à accepter est donc un choix avant tout politique. La BCE elle ne fait que respecter le mandat qu'il lui a été donne par les traités : elle doit maintenir l'inflation a un niveau "proche mais inférieur à 2%". Pour qu'elle accepte une inflation durablement plus élevée il faudrait changer ce mandat, et cela requiert l'unanimité des états membres. On touche ici à des différences culturelles, et même philosophiques, fondamentales au sein de l'Europe. Bon courage pour aller expliquer à certain pays du nord de la zone euro qu'il faut accepter des prix plus élevés. L'Allemagne a une peur bleue de l'inflation pour des raisons historiques. Dans un discours de 2013, Weidmann avait cité un de ses prédécesseurs selon lequel "si vous flirtez avec l'inflation, vous finirez par vous marier avec elle".

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