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Vous ne le connaissez pas, Raffaele Cantone est pourtant l’un des hommes les plus importants en Europe
©Reuters

Illustre inconnu

Ce magistrat italien de 51 ans a été nommé président de l'autorité nationale de lutte anticorruption à la fin de l'année 2014. Il joue un rôle central dans les révélations qui déstabilisent actuellement le gouvernement Renzi. S'il parvient à mener sa mission, c'est tout le continent qui pourrait en ressentir les effets.

Giorgio Pedronetto

Giorgio Pedronetto

Giorgio Pedronetto, diplômé en Sciences Politiques (Université de Turin), a d’abord travaillé pour différents organismes parapublics italiens et français avant de rejoindre le secteur financier où il s’occupe de marketing. Historien passionné et très attentif aux évolutions politiques, il rédige depuis environ trois ans un blog d’opinion : « Un regard un peu conservateur ».

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Fabrice Rizzoli

Fabrice Rizzoli

Fabrice Rizzoli (né en 1971) est co-fondateur et président de l'association Crim'HALT qui veut impliquer la société civile contre la criminalité. Il enseigne dans divers établissements universitaires. Docteur en science politique à l’université de Paris I (Panthéon-Sorbonne), il est spécialiste de la criminalité organisée et des mafias italiennes et coopère avec le Centre Français de Recherche sur le renseignement. Il a été chercheur à l'Observatoire géopolitique des drogues (OGD), chargé de mission à l'observatoire milanais sur la criminalité organisée (Omicron) dans le cadre du projet de recherche « Falcone » piloté par la Commission européenne. Ensuite, il a été officier de protection au ministère des Affaires étrangères (Direction des Français à l'étranger et des étrangers en France), puis à la Commission de recours des réfugiés (OFPRA). Il intervient régulièrement comme consultant et conférencier sur ces thèmes. Il anime le site mafias.fr (analyse au quotidien d'un phénomène complexe). Il a écrit La mafia de A à Z (aux éditions Tim Buctu), qui regroupe 162 définitions mafieuses, de A comme "Accumulation du capital" à Z comme "Zoomafia". Il est également co-fondateur du Salon "Des Livres et l'Alerte".

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Atlantico : Une nouvelle affaire de corruption a récemment alimenté la presse italienne. Une cinquantaine de personnes font l'objet d'une enquête pour corruption, et seraient impliquées dans une affaire de faux appels d'offre. Alors que Matteo Renzi a nommé en grande pompe Raffaele Cantone en décembre dernier, que peut-on dire de son action depuis ce jour, qu'a-t-il entreprit ?

Fabrice Rizzoli : Il faut noter que l’Administration anti-corruption italienne (ANAC) n'est pas un organe judicaire mais une autorité administrative comme l'OLAF. Vous ne devez pas vous attendre à des arrestations spectaculaires ! En revanche, ses missions, la lutte pour des marchés publics sains et la lutte contre la corruption comme un phénomène culturel, sont trés utiles.

En France, c'est le préfet, nommé par l'exécutif, qui vérifie a posteriori les marchés publics c'est-à-dire les marchés des élus souvent proches de l'éxécutif... En Italie, on voit la corruption parce que les procureurs sont nommés par le CSM. Ils sont indépendants pas comme en France pusiqu'ils sont nommés par le ministre de la justice... En Italie, on voit la corruption parce qu'il y a l'obligation de l'action pénale alors qu'en France il y a le principe d'opportunité des poursuites... En Italie, c'est un juge du siège qui décide si on fait un procès aprés une enquête d'un procureur indépendant..

En France c'est un seul homme nommé par l'exécutif qui enquête et qui décide de poursuivre les amis du ministre. Par contre, il est vrai que la corruption, en Italie comme en France, bénéficie d'une grande impunité. Les corrupteurs ne vont pas en prison.
En Italie, sur 60 000 détenus, Il y a une centaine de personnes détenues pour des fais d'atteinte à la probité (dénomination plus précise que le mot corruption).

Giorgio Pedronetto : Je crois, et à regret, qu’un certain système soit bien plus enraciné de ce qu’on voudrait croire. Il y a d’un côté la corruption « manifeste », qui se matérialise par une conséquente enveloppe remplie de billets de banque (d’où les termes devenus presque synonyme de corruption : la « bustarella », petite enveloppe, et la « mazzetta », liasse de billets) glissée discrètement pour obtenir un avantage commercial au détriment des concurrents plus compétitifs (et donc in fine avec un coût supplémentaire pour les contribuables) ;  de l’autre côté nous avons l’échange de faveurs, le « do ut des » typique d’une société basée sur les relations familiales et interpersonnelles.  C’est un héritage du monde antique (les « clientes » des patriciens romains), des structures féodales qui ont perduré dans des régions d’Italie pendant des siècles du fait de l’absence d’un état fort et structuré, capable d’instiller le sens de la chose publique dans la population.

La corruption aurait coûté 300 milliards d’euros en 20 ans… ? Je ne connais pas la méthodologie de Confindustria (le Medef italien), il doit s’agir d’une élaboration à partir des données historiques… Quant à l’enjeu économique actuel, il pourrait être égal à la somme de tous les marchés publics : Expo de Milan, Mose (système de protection de Venise contre les marées), lignes ferroviaires 

Raffaele Cantone avait d'ailleurs fait parler de lui lorsqu'il avait déclaré que "la corruption en Italie [était] un fait culturel". Plus globalement, en quoi son approche de la corruption en Italie est-elle pertinente ?

Fabrice Rizzoli : Vous noterez que M. Cantone est un magistrat antimafia et qu'en Italie, on a compris que la lutte contre la mafia était culturelle puisque l'on transforme les villas des mafieux en centre culturelLa corruption est toujours un fait culturel. Si vous acceptez un coup de pouce d'un mafieux pour un permis de construire vous acceptez de vivre dans un monde où la frontière entre la conduite légitime et le passe-droit n'existe plus.

Giorgio Pedronetto : Les effets d’annonce en grand pompe sont la spécialité de Monsieur Renzi. Raffaele Cantone est sans doute un homme de bien, un « galantuomo » comme l’Italie en sait produire. Hélas, ces « héros bourgeois », terme qui indique des individus représentatifs d’une société cultivée et respectueuse du droit et des institutions, ont souvent la vie difficile, notamment dès qu’ils risquent d’atteindre la vérité. Je citerai ici l’avocat Giorgio Ambrosoli (liquidateur des banques de Michele Sindona) et le commissaire Luigi Calabresi (enquêteur sur les premières trames terroristes)… Les deux furent assassinés. Certes, les temps ont changé et Raffaele Cantone ne court pas ce genre de risque, mais il devra se garder de l’arme toujours utilisé face à un incorruptible : la calomnie, les rumeurs, la « machine à fange ».

Quant à l’Autorità Nazionale Anti-Corruzione, l’organisme qu’il pilote, il est de création assez récente et la mise en œuvre et le déploiement des procédures visant à instaurer plus de transparence des marchés publics vont prendre du temps, avec le risque d’enlisement de toute réforme qui, en Italie, est toujours possible. 

L'allergie de la population contre la corruption se déveloperait-t-elle contre la corruption en Italie ?

Fabrice Rizzoli : Je pense en effet, que les Italiens sont plus attentifs et moins fatalistes qu'avant contrairement à ce que déclare le Point. C'est pourquoi nous proposons, en France et Italie que les biens saisis aux corrompus soient redistribués socialement. Les maisons de Berlusconi en Sardaigne et celle de Jérôme Cahuzac en Corse doivent devenir des écoles hôtelières ! C'est ainsi qu'on lutte contre un phénomène culturel.

Giorgio Pedronetto : Nous quittons le terrain politico-économique pour aborder la sociologie. Je serai optimiste et pessimiste à la fois : les italiens rejettent la corruption, surtout en temps de difficultés économiques et d’alourdissement de la pression fiscale. En revanche, combien de ceux qui s’indignent et protestent ne seraient-ils pas prêts à demander ou accepter une faveur ou à recommander un ami ? Certes, cela sans malice aucune, sans volonté de réaliser un acte illégal, mais dans l’esprit de rendre service à un proche... Cette attitude a permis de créer des chefs-d’œuvre cinématographiques (il suffira de penser à certaines interprétations du grand Alberto Sordi), elle est considérée comme un pêché, mais un pêché qu’on sait pardonner.

Et puis, pourquoi parle-t-on autant de la corruption en Italie ? D’autres pays n’en sont pas exempts : la France a connu les affaires Bygmalion, Cahuzac, Elf… La différence est, encore une fois, profondément sociologique. Alors que l’italien n’a aucune crainte de se critiquer, de se moquer de soi-même, de montrer et tourner en dérision ses propres défauts (de la Commedia dell’Arte au Neo-realismo…), d’autres peuples, héritiers d’une histoire moins chaotique, ont plutôt tendance à occulter leurs vices…

Pour finir, pour répondre à la question « les italiens en ont-ils enfin marre de la corruption ? » je ne peux que donner rendez-vous à mon interviewer dans 20 ans, pour faire un bilan des œuvres de Mr Cantone.

En quoi la corruption est-elle un enjeu crucial pour l'Italie ? Selon un rapport de décembre du Centre d'étude Cofindustria, elle aurait coûtée 300 milliards d'euros ces 20 dernières années... Quels en sont les enjeux économiques concrètement ?

Fabrice Rizzoli : Concrètement, un entrepreneur honnête qui paie 50% d'impôts et n'a pas recours à la corruption, est démotivé et il ne reste plus que des corrompus. En effet, le gouvernement Berlusconi de 2001 a mis en place une amnistie fiscale pour les entrepreneurs qui ont placé leur capitaux à l'étranger qui reviennent sur le marché avec une amende de 10%!

En outre, avec la corruption les prix des travaux augmentent et sont souvent de mauvaise qualité. Enfin, c'est la démocratie qui est attaquée car le citoyens ne croient plus en l'état de droit.

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