Votre cœur est-il un compte à rebours ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des gens sont assis sur une structure en forme de cœur dans un champ ouvert le long des rives du fleuve Rouge à Hanoï le 13 septembre 2020.
Des gens sont assis sur une structure en forme de cœur dans un champ ouvert le long des rives du fleuve Rouge à Hanoï le 13 septembre 2020.
©MANAN VATSYAYANA / AFP

Bonnes feuilles

Théo Drieu a publié « 34 petits et grands secrets de l’univers » aux éditions Belin. Quand le monde a-t-il commencé ? D'où venons-nous ? A quelle vitesse vont nos pensées ? Comment fonctionne l'intérieur de nos têtes, des étoiles ou des planètes ? Théo Drieu lève le voile sur les mystères du cosmos, sur les lois qui gouvernent la matière, sur la vie ou sur le temps qui passe. Extrait 2/2.

Théo Drieu

Théo Drieu

Médiateur scientifique, Théo Drieu est le co-créateur de la chaine YouTube "Balade mentale" qui offre des balades parsemées de références audacieuses et d'anecdotes surprenantes (500 000 abonnés).

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Vous ne lirez jamais vraiment en silence car, continuellement, sans que vous en preniez conscience, votre cœur bat la mesure en toute discrétion. Vous n’avez peut-être pas l’impression de vivre à 100 à l’heure, vous êtes pourtant déjà à plus de 4 000 du point de vue du cœur.

Lorsque le 5 décembre 1791, après 35 ans d’activité ininterrompue à battre la mesure sans relâche, le cœur de Mozart s’arrête, il a, sur la courte vie du grand compositeur, réalisé approximativement 1 300 000 000 battements. Un nombre qui n’a strictement aucun intérêt, sauf si on le compare avec le nombre moyen de battements effectués au cours d’une vie par le cœur d’autres mammifères. Vous trouverez dans le tableau qui suit une petite sélection parfaitement arbitraire des rythmes cardiaques de différentes espèces.

À la vue de ce genre de tableau, on constate qu’on peut bien comparer le nombre de battements effectués par notre cœur à celui d’un éléphant, d’un cochon, d’un chat, d’un cheval ou d’un lapin, tous sont étrangement proches de celui du grand compositeur mort prématurément et, en ordre de grandeur, du nombre de battements effectués en moyenne durant la vie d’un être humain dans nos sociétés modernes. Comme si, malgré les grandes différences entre toutes ces espèces, il y avait une quelconque raison de voir ces métronomes embarqués se gripper après avoir passé l’ordre du milliard de battements. Pourquoi observe-t-on des moyennes aussi proches alors qu’on compare des espèces avec des espérances de vie bien différentes? Le pouls serait-il un compte à rebours qui nous serait donné au départ et qui voudrait que, pour tous, la ligne d’arrivée soit autour du milliard?

Pour en avoir le cœur net, comparons le nombre de battements réalisés sur une vie par deux mammifères que tout oppose en apparence: une baleine bleue et un hamster! La baleine bleue possède un rythme cardiaque de 15 battements par minute et peut vivre plus d’un siècle. Ce qui nous donne environ 790 000 000 pulsations cumulées. Le hamster a un palpitant qui bombe à quelque 450 battements par minute, mais ne vit que 3 ans. On obtient donc à la louche 710  000  000 pulsations cumulées. Bien que ces deux mammifères aient des rythmes sous la peau très différents, les nombres de battements effectués par leurs cœurs tout au long de leur vie sont étonnamment proches. En fait, on pourrait s’amuser à réaliser ce calcul pour n’importe quel mammifère, quels que soient son espérance de vie, sa taille ou le rythme avec lequel son cœur bat la mesure au repos, on arriverait toujours autour de l’ordre de grandeur du milliard.

Déjà, dans les années quarante, le biologiste Max Kleiber remarqua qu’il semble exister chez la majorité des vertébrés un lien entre la taille de l’animal, son espérance de vie et son métabolisme, c’est-à-dire la quantité d’énergie dont il a besoin au repos pour rester en vie. Max, qui touche là au cœur du sujet, constata que plus un animal est petit, plus il a besoin d’énergie relativement à son volume pour faire fonctionner l’ensemble de ses organes et maintenir sa température corporelle. Les petits animaux ayant besoin de plus d’énergie vivent donc à cent à l’heure, grillant ainsi, en quelque sorte, plus vite leurs cartouches et leurs calories pour rester en vie. Quand les besoins en énergie augmentent, la fréquence cardiaque suit car il faut bien faire tourner la machine. À l’inverse, les grands animaux ayant un métabolisme beaucoup plus lent, mettent plus longtemps à atteindre la zone du milliard de battements. Il existe cependant quelques contre-exemples à cette règle, et il n’est pas toujours nécessaire d’être imposant en taille pour avoir un métabolisme lent comme le prouvent la plupart des mammifères qui hibernent. Ainsi certaines espèces de chauves-souris dont la fréquence cardiaque peut passer de 45 pulsations par minute à une petite dizaine pendant l’hibernation peuvent vivre jusqu’à 40 ans, soit 70 % plus longtemps que leurs cousines qui n’hibernent pas. Et de façon générale, les mammifères hibernants vont avoir une espérance de vie plus longue qu’ils ne devraient au regard de leur poids. Ainsi, les marmottes peuvent vivre près de 20 ans, en grande partie du fait que lors de leurs phases d’hibernation ; pour ne pas brûler leur réserve d’énergie, elles sont capables de ne respirer qu’une à deux fois par minute, tout en faisant descendre leur température corporelle de 36 à 7 degrés et leur rythme cardiaque de 220 à seulement 5 pulsations par minute! Bref, encore une fois, ça marche et on observe toujours un rapport entre fréquence cardiaque et longévité, comme si les deux étaient étroitement liées. « Dis-moi ton pouls et je te dirai à peu de chose près combien tu vivras.» Sauf que l’activité du cœur ne serait qu’un marqueur parmi d’autres qui refléteraient le tempo d’une activité biologique plus globale, et la zone du milliard correspondrait donc moins à l’usure du cœur qu’à celle de l’organisme tout entier.

Et puis la loi de Kleiber n’explique pas tout. Elle fonctionne globalement très bien avec les mammifères, mais n’explicite pas les différences de longévité entre les rongeurs et les oiseaux de même poids, ou encore celle entre les grand singes – qui pour beaucoup atteignent les 1,5 milliard de battements – et d’autres mammifères, pourtant beaucoup plus lourds, qui ne les atteignent pas. À moins évidemment de mourir dans la trentaine comme Mozart, Sapiens est aussi un peu une exception dans cette histoire. En moyenne, l’homme moderne dans les pays développés ne vaut pas 1, mais 3 milliards. On pense que cette différence flagrante tient à l’amélioration de notre hygiène de vie et aux progrès de la médecine survenus au cours des derniers siècles.

Et si vous vous demandiez pourquoi, alors qu’il bat cent mille fois par jour, votre cœur reste étonnamment discret: la raison de son silence est à chercher du côté de votre cerveau qui en masque pour vous la sensation, à l’exception des efforts physiques soutenus ou des moments de grande émotion, comme lorsqu’on est excité, effrayé ou qu’on a le cœur brisé. On a ainsi pu noter que chez les couples âgés et ensemble depuis longtemps la probabilité d’avoir une crise cardiaque double pendant trente jours après la perte de l’être aimé et, dans le cas d’une rupture amoureuse douloureuse, certaines personnes peuvent être exceptionnellement frappées du symptôme dit «du cœur brisé» qui se manifeste par une sensation de poids sur la poitrine. La faute à nos défenses immunitaires qui s’emballent au point d’atteindre un niveau trois fois plus élevé que celui de quelqu’un ayant effectivement une crise cardiaque et jusqu’à trente-quatre fois plus élevé que la normale. Dans ce cas-là, le temps reste encore le meilleur des pansements, et l’on serait tenté de jalouser Rana sylvatica, une petite grenouille des bois qui, en hiver, laisse son cœur partiellement congeler, au point que celui-ci s’arrête complètement, comme mis en pause. Pour ce faire, cette grenouille possède un sang chargé de glucose qui évite la dégradation des cellules au moment de la cristallisation et de la décongélation. Ne reste alors plus qu’à attendre que ça passe, et que refonde simplement la glace.

Mais pour nous, les humains, même mus par toute la force de notre volonté, nous ne sommes pas en mesure de commander notre cœur. Il n’en fait qu’à sa tête ou plutôt marque le tempo sans avoir besoin de notre cerveau. Auto-excité, votre muscle cardiaque n’a aucunement besoin du système nerveux central pour fonctionner. Indépendant de toute volonté, il vous est impossible de le sommer de se mettre en pause. À moins que vous ne soyez un iguane des Galápagos! Cette espèce, en présence d’une menace imminente, comme la proximité d’un requin par exemple, est capable pour se faire plus discrète de tout bonnement arrêter son cœur jusqu’à ce que le danger soit passé! Et le plus long arrêt qu’on ait jamais enregistré était de 45 minutes de silence entre deux battements.

Dans votre cas, durant le temps qu’il vous a été nécessaire pour lire ce chapitre, votre pompe de vie a battu la mesure quelque 300 fois, propulsant de 4 à 5 litres de sang par minute pour alimenter vos artères. Au cours d’une vie longue de 39 ans comme celle de Chopin, ce petit muscle de 300 grammes, qui jamais ne dort, a brassé un volume de sang suffisant pour remplir de moitié l’église de la Madeleine où ont eu lieu les obsèques de l’artiste. Nul ne sait si Chopin aurait apprécié l’image, d’autant qu’on lui a retiré son cœur, selon ses instructions, pour le placer dans un flacon de cristal rempli de cognac dans un pilier de l’église de la Sainte-Croix, à Varsovie.

Et cela n'a strictement rien à voir, mais vous serez très certainement heureux de savoir que les éponges de mer sont des animaux qui n’ont littéralement pas de cœur et pas de cerveau, en fait ils n’ont même aucun organe. Et vu que cette histoire commence, tout comme les éponges, à sérieusement n’avoir ni queue ni tête, je tenais à vous rappeler que le cœur des crevettes se situe justement au niveau de leur tête, juste à côté du cerveau. On y trouve même ce qui leur fait office d’estomac, d’ovaire et de testicules. Nul ne sait si elles peuvent y ressentir un pouls mais j’aime particulièrement l’idée tout à fait anthropomorphisée qu’un chagrin d’amour puisse leur donner mal au crâne...

Extrait du livre de Théo Drieu, « 34 petits et grands secrets de l’univers », publié aux éditions Belin

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