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Un manifestant tient une pancarte lors d'un rassemblement contre l'invasion russe de l'Ukraine, le 26 février 2022 à Francfort-sur-le-Main, dans l'ouest de l'Allemagne.
Un manifestant tient une pancarte lors d'un rassemblement contre l'invasion russe de l'Ukraine, le 26 février 2022 à Francfort-sur-le-Main, dans l'ouest de l'Allemagne.
©YANN SCHREIBER/AFP

Riposte européenne

Le gel des avoirs de la Banque centrale russe serait potentiellement plus dommageable que le blocage du système SWIFT.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Atlantico : Aujourd’hui, les démocraties occidentales sont en grande majorité d’accord sur un point : l’incursion russe en Ukraine doit engendrer des coûts économiques à l’encontre de la Russie. Quelles sont les sanctions qui ont été mises en place et y en a-t-il certaines plus fortes que d’autres ? Quelle est la portée actuelle des sanctions ? Le rouble en pâtit-il ?

Jean-Paul Betbeze : Une dégradation morale : la sanction première de la Russie est sa mise au ban des nations. En effet, même si ceci paraît théorique et abstrait, cela importe dans les rapports économiques et financiers, qui ont toujours une base humaine. Depuis l’attaque russe de l’Ukraine, la Russie vit un isolement moral et politique quasi complet. La Biélorussie semble seule à le soutenir (pas le choix) et les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) prennent au mieux leurs distances avec elle. Comment croire la Russie, la respecter, voire la fréquenter ? En trois jours, elle a perdu la crédibilité qu’elle avait commencé à gagner en déconstruisant l’URSS.

Une perte, plus symbolique qu’économique, d’activitéavec Aeroflot : c’est l’interdiction des liaisons aériennes non-russes avec la Russie, ce à quoi la Russie riposte, bien sûr. Aeroflot a plus à perdre qu’Air France ou Lufthansa par exemple, avec les vastes réseaux mondiaux de ces derniers.

Une perte économique réelle, avec l’arrêt des exportations versl’Europe d’acier, de nickel, de blé. Toute sanction, quelle qu’elle soit, fait deux victimes : la première c’est l’acheteur, qui ne reçoit pas les produits qu’il attend et plus encore le vendeur, qui voit son chiffre d’affaires bloqué, plus les stocks qu’il doit conserver et financer. Ceci explique les difficultés qu’il y a eu à décider de ces sanctions en Europe. Par exemple l’Italie a été très réticente pour le blé russe sachant qu’elle en a besoin pour ses pâtes alimentaires. Pour l’acier et le nickel, les industriels ont des stocks et peuvent avoir recours à d’autres producteurs, même si rien n’est simple. Au total, c’est la Russie qui perd le plus.

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Un gain avec le pétrole et surtout le gaz, mais attention. C’est là le cas le plus compliqué : la Russie gagne énormément d’argent avec son pétrole et surtout son gaz aux prix records actuels, sachant que l’Allemagne et l’Italie notamment ne peuvent s’en passer. L’arme du gaz est l’arme majeure que joue la Russie, en se disant qu’elle fera plus de mal à l’Allemagne ou à l’Italie qu’à elle-même. Elle a en réserve à la Banque centrale et chez Gazprom suffisamment de trésorerie… et le gaz ou le pétrole qui restent dans le sol ne lui posent pas de problème particulier ! Pendant des mois il faudra trouver d’autres fournisseurs, remplir les stocks et… penser au nucléaire.

Un risque majeur, bancaire et financier, avec la coupure, même partielle, du système financier russe de SWIFT qui gère les transactions mondiales, notamment en dollars et en euros. C’est l’arme nucléaire qui a été beaucoup agitée par les Etats-Unis. Couper la Russie de SWIFT c’est la couper de toutes ses rentrées d’argent et mettre en difficulté les trésoreries de ses entreprises et de ses banques. C’est pour cela que les Etats-Unis et l’Europe ont beaucoup hésité entre coupures partielles et coupure totale.

La Russie peut-elle tenir économiquement face à la « bombe nucléaire des sanctions » ?

Non, car le temps joue contre elle. La Russie n’attaque pas seulement l’Ukraine : celle-ci est rejointe par toutes les démocraties et par beaucoup de pays, même peu développés. Au total, elle se trouve face à une part importante de l’économie mondiale : pas prévu !

Toutes ces sanctions, venant de tous les pays, jouent ensemble. Elles ont un effet multiplicateur contre la Russie, économique bien sûr, financier et politique plus encore. Dans ce contexte, la Russie ne pourra pas tenir longtemps, la preuve, c’est qu’elle cherche déjà à discuter. Elle s’attendait à une victoire rapide, pas à la résistance et à l’unité qu’elle rencontre. Ajoutons ici que la guerre cyber, pour laquelle elle était supposée être experte, a rencontré… d’autres experts, l’Ukraine et le monde entier se sont coalisés contre elle (Anonymous).

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Le bank run est le risque majeur du système bancaire russe : le cas où les déposants des banques, inquiets, demandent le solde de leur compte, en billets, sachant que les banques n’ont jamais la liquidité suffisante pour les satisfaire. C’est la fermeture, sous l’effet de cette panique. D’ores et déjà on en voit les signes, non pas en Russie mais à la périphérie, sur des banques russes petites. Ainsi, le 28 février 2022, la BCE annonce qu’elle « juge que Sberbank Europe AG et ses filiales en Croatie et en Slovénie présentent une défaillance avérée ou prévisible ». Sberbank Europe AG, dont le siège social est en Autriche et qui est une filiale à 100% de Sherbank of Russia, majoritairement détenue par la Fédération de Russie souffre en effet, pour citer la BCE, « de sorties au titre des dépôts en raison de l’impact des tensions géopolitiques ». L’histoire n’est pas finie, car ceci impliquera sans doute des pertes pour des déposants qui ont plus de 100 000€ dans ces banques et le message va se répandre sur les filiales de ce groupe et sur des banques russes en Europe, pensons à Chypre.

A partir de ce bank run hors Russie en Europe, on peut penser que le processus risque de se poursuivre. Ceci d’autant plus que l’arrêt dit partiel de SWIFT va faire monter l’inquiétude des entrepreneurs et des banques au sein même de la Russie : ils s’interrogeront sur la qualité de leurs correspondants. Ils ne savent pas s’ils sont contraints ou pas dans leurs liquidités par l’arrêt de SWIFT, ce qui les conduira à garder le plus de trésorerie possible chez eux, et, pour les banques, à faire des crédits plus limités.

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Le bank run est une bombe à fragmentation qui, si elle n’est pas arrêtée au plus tôt par la Banque centrale, qui distribuera des liquidités, aura des effets dramatiques. En outre, ces liquidités feront baisser le rouble qui n’en a pas vraiment besoin, sachant que le 28 février il en fallait 108 pour un dollar contre 73 le 16. Donc la bourse est sous pression, passant de l’indice 3600 le 16 février à 2000 le 24 pour remonter à 2470 le 25, sous les rumeurs de pourparlers. A long terme, sans composants, c’est toute la croissance qui est en jeu. Rien n’est donc achevé.

Quel poids les sanctions actuelles auront-elles sur notre économie ? Est-ce d’ampleur comparable à ce que va vivre la Russie ?

Evidemment, la Russie va plus souffrir que la France. La Russie, on l’a oublié, a un PIB de 1500 Mde$ contre 1900 pour l’Italie et 2750 pour la France. La Russie est un pays moyen qui s’est lancé dans une aventure… pour des raisons non économiques.

Les premiers à payer sont les russes eux-mêmes, sachant que ce sera plus visible pour les milliardaires. Selon Forbes les 116 milliardaires russes auraient perdu l’équivalent de 126 milliards de dollars entre le 16 et le 24 février… Ce ne sont que des évaluations monétaires et boursières, reste à voir ce qui va se passer en matière juridique.

En France, cette guerre d’Ukraine est un réveil pour comprendre à quel point il faut développer nos capacités militaires, dans un contexte européen, notre autonomie énergétique, autrement dit nucléaire, et sécuriser partout, par des alliances sûres, nos capacités de production et d’exportation. Au-delà d’un coût à court terme, la France et l’Europe devront donc investir et former plus pour répondre à ce type de risques.

Au total il n’est pas sûr que ceci affecte notre croissance à moyen terme, au contraire, mais ceci passera par plus d’investissement, de formation, de dette et de maturité.

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