Voilà pourquoi la France ne sera jamais la puissance européenne qu’elle entend être si elle ne change pas d’approche stratégique<!-- --> | Atlantico.fr
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La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le président français Emmanuel Macron discutent lors d'un sommet de l'Union européenne à Bruxelles, le 25 juin 2021.
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le président français Emmanuel Macron discutent lors d'un sommet de l'Union européenne à Bruxelles, le 25 juin 2021.
©OLIVIER HOSLET / POOL / AFP

Méthode

Après l'annulation du "contrat du siècle" sur la vente de sous-marins à l'Australie, le positionnement de la France en tant que puissance à l’international est remis en question. Les autres pays de l'Union européenne peuvent-ils réellement faire confiance à la France ? Quelle stratégie devrait adopter la France afin de maintenir son statut de puissance ?

Michael Lambert

Michael Lambert

Michael Eric Lambert est analyste renseignement pour l’agence Pinkerton à Dublin et titulaire d’un doctorat en Histoire des relations internationales à Sorbonne Université en partenariat avec l’INSEAD.

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Atlantico : Au lendemain de l'annulation du "contrat du siècle", le positionnement de la France en tant que puissance à l’international est remis en question dans le débat public. Au sein même de l'Union européenne, la volonté des autorités françaises d'être une grande puissance ne joue-t-elle pas contre elle ? Quelle est l'attitude de notre pays vis-à-vis de ses alliés européens ?

Michael Lambert : La France est une puissance économique, politique et militaire de premier plan - notamment avec sa force de frappe nucléaire - mais elle ne peut se comparer aux deux géants contemporains, les États-Unis et la Chine. Pour cette raison, la France, qui reste le plus grand territoire maritime du monde avec ses 11 691 000 km², est à la fois trop grande pour l'Europe, tout en restant en retrait sur la scène internationale, ce qui explique l'ambivalence de sa relation avec ses partenaires de l'Union européenne (UE).
À cet égard, le choix de Paris de se tourner vers l'Union européenne pour ses projets futurs joue en sa défaveur, car les relations sont et resteront nécessairement asymétriques dans les années à venir, sauf éventuellement avec l'Allemagne dès lors qu'il est question d'influence économique mondiale. Ce point est important car Berlin et Paris partagent les mêmes intérêts supranationaux dans ce domaine et sont deux grandes puissances, ce qui explique la nécessité de renforcer cette coopération. Cependant, en matière diplomatique et sur le plan militaire, la France se retrouve seule, voire fragilisée par Bruxelles et les autres pays de l'Union, car disposer d'une force de frappe nucléaire implique une responsabilité morale et une présence internationale continue que les partenaires en UE ont du mal à appréhender. 

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Il en va de même pour la diplomatie, la France est présente sur plusieurs continents et notamment dans le Pacifique (Polynésie française), en Afrique (Mayotte et La Réunion), en Amérique latine (Guyane) et en Antarctique (Terre Adélie), pour ne citer que quelques exemples, et ne saurait ainsi se résumer à sa seule présence sur le continent européen.

Ceci a été particulièrement ressenti avec la perte du contrat du siècle avec l'Australie. N'importe quel autre pays en UE ne se serait pas opposé à la décision de Washington, pour la simple raison que Canberra doit effectivement se doter de sous-marins à propulsion nucléaire pour faire face aux changements militaires dans le Pacifique (influence croissante de la Chine). Pour autant, la France a raison de s'offusquer car d'une part c'est un pays directement présent dans cette région (Polynésie française), mais aussi parce qu'elle a la capacité technique de produire des sous-marins à propulsion nucléaire, et aurait pu être une alternative à l'option américano-britannique.

Dans ce contexte, Paris devrait repenser son approche vis-à-vis des Etats-Unis et tenter de réaffirmer son statut de grande puissance. Pour ce faire, Paris pourrait proposer à Washington d'être le fournisseur de sous-marins nucléaires de l'Australie (changement de contrat). En cas de refus, la France pourrait adopter une attitude plus amicale envers la Russie et la Chine, pour la simple raison qu'une puissance internationale construit ses alliances en fonction de ses enjeux nationaux et non de ceux de ses partenaires. C'est ce que les Etats-Unis viennent de faire avec l'Australie, sans se préoccuper de Paris, il n'y a donc aucune raison pour que la France ne fasse pas de même en proposant en réponse un rapprochement avec la Chine ou la Russie pour compenser cette perte financière.

La France dispose également d'un levier qu'elle a sous-estimé depuis plusieurs années, celui de la reconnaissance diplomatique. À cet égard, Paris pourrait réaffirmer son statut de grande puissance en reconnaissant des territoires comme l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud sur la base de la convention de Montevideo, dans une démarche similaire à celle de De Gaulle lorsqu'il a reconnu la République populaire de Chine en 1964 et ce malgré les pressions de Washington. Une puissance internationale innove et agit en fonction de ses intérêts, et n'a pas peur de froisser ses alliés parce qu'elle a les ambitions de son autonomie. Telle était l'approche de la diplomatie de Napoléon et de De Gaulle, l'histoire nous dira si ce sera celle de Macron.

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Les autres pays de l'Union peuvent-ils réellement faire confiance à la France, tant sur le plan psychologique que matériel ? Les pays à l'est de l'Union comprennent-ils cette attitude ? 

Au regard de la puissance militaire française contemporaine, Paris pourrait certes se substituer à l'Otan pour assurer la protection de l'Europe, mais elle ne serait pas en mesure de maintenir les mêmes standards que l'Otan. Dans ce contexte, il est plus pertinent pour les Etats membres de l’UE de rester proches de l'Alliance, pour ceux qui le souhaitent. 

Pour autant, le choix de Sarkozy de rejoindre l'Otan en 2009 soulève plusieurs questions au niveau national. Ainsi, la France gagne-t-elle à être membre de l'Alliance sur le plan diplomatique, économique et militaire, notamment à la lumière des récents événements en Australie ? Paris pourrait choisir de (re)devenir un médiateur entre l'Ouest et la Russie/Chine comme au temps de la guerre froide. Loin d'être un tabou, ce retrait de l'Otan s'inscrirait dans la philosophie militaire de l'Irlande, de la Suisse, de l'Autriche, de la Suède et de la Finlande (tous pays européens et non membres de l'Otan) pour gagner en indépendance.
Les pays d'Europe centrale et orientale auront du mal à comprendre cette approche, elle sera même perçue comme une forme de rébellion, mais encore une fois la France et ces pays ne partagent pas les mêmes enjeux. Pour les Européens de l'Est, Moscou reste la principale préoccupation, alors que c'est désormais la Chine qui est prioritaire pour les nations de dimension internationale. Cela montre, une fois de plus, les divergences d'opinion entre un pays présent sur plusieurs continents et ceux qui ont une influence régionale. 

La France va bientôt prendre la présidence tournante de l'Union européenne pour quelques mois. Est-ce le bon moment pour que le pays adapte une nouvelle stratégie ? Quelle stratégie devrait-elle adopter afin de maintenir son statut de puissance ?

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L'Union européenne est absente sur la scène internationale ou, au mieux, sa présence est limitée à l'économie. Pour survivre, Bruxelles n'a aujourd'hui que l'option suisse, c'est-à-dire commencer à repenser son approche sur un modèle politique, économique et militaire similaire à celui de Berne, qui est le seul exemple de coopération constructive entre plusieurs territoires aux religions, langues et cultures différentes.

En ce qui concerne la France, et au vu de l'état actuel de l'Union, il semble pertinent d’envisager de parler d'un retrait tout en maintenant une participation dans l'espace Schengen, ce que font la Suisse, la Norvège et l'Islande. Autrement dit, conserver les bons aspects de l'UE (circulation des biens et des personnes) tout en éliminant les mauvais (administration).  Le choix de la Grande-Bretagne de se retirer de l'UE sans participer à Schengen a été son principal défaut, la France aurait intérêt à envisager de devenir une grande Suisse en Europe, en combinant le meilleur des deux mondes, voire en suggérant que toute l'UE s'inspire du modèle suisse pour son avenir. Si l'Union européenne ne s'inspire pas de la Confédération, elle continuera à perdre en influence jusqu'à son implosion.

En proposant de changer l'UE sur la base du modèle suisse, la France fera preuve de son ouverture d'esprit et de son expertise. Il est par ailleurs fort surprenant que cette approche n'ait pas encore été évoquée par Paris, compte tenu de l'excellence diplomatique de la Suisse et de la proximité entre les deux pays. 

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