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Voilà à quoi ressemblera le contexte économique français et ça n'est pas très encourageant pour le quinquennat Macron
©DANIEL ROLAND / AFP

Resserrement monétaire

Le remplacement prochain de Mario Draghi à la tête de la BCE n'a rien de rassurant : les Allemands veulent prendre les choses en main, et c'est peut-être à cet instant qu'on peut se rendre compte de l'impact de la présidence de l'Italien à la tête de la banque centrale...

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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L’ordre dynastique des banquiers centraux indépendants a ses raisons que la raison (fut-elle d’Etat) ignore. En 2019, Mario Draghi doit céder son trône, et les Allemands revendiquent déjà la succession, ce qui signifie que la pression se renforce pour mettre fin prématurément au Quantitative Easing (QE) et à tout ce qui pourrait ressembler à un soutien de l’économie (cette fameuse économie qui se porte comme un charme, comme chacun sait), et ce même quand ce soutien ne leur coûte rien. En plus, les américains durcissent les conditions monétaires, en l’absence même de toute inflation chez eux : pas question, pour la BCE, de passer pour une dégonflée ; si elle ne montre pas les muscles l’euro va à la parité avec le dollar (c’était encore le consensus de marché il y a très peu de temps) et, ça, c’est insupportable pour des gens très préoccupés par la disculpation du blâme, par l’orgueil et par le qu’en dira-t-on outre-Rhin. Alors ils vont durcir les conditions monétaires, whatever it takes, et peu importe si tout cela n’a aucun sens économique. Comme le disait Paul Volcker, leur mentor à tous : on n’obtient son diplôme de banquier central que le jour où l’on a monté les taux d’intérêt (rappelons qu’il s’exprimait à une époque lointaine où l’inflation sévissait…).

Pour poser un petit ordre de grandeur, retenez qu’une hausse de l’euro de 5% contre les autres monnaies coûte environ 0,2 point de pourcentage de croissance à la zone euro aussi bien l’année suivante que l’année d’après. Or il se trouve que l’euro, qui devait rejoindre la parité avec le dollar avant la fin de l’année, a été propulsé à 1,17 depuis le discours foireux de Draghi à Sintra, et ce n’est peut-être pas terminé. Dans ces conditions, tabler sur 10% de mouvement injustifié de l’euro est très gentil. Vous me direz que perdre 0,4 point de croissance annuelle n’est pas très impressionnant. C’est oublier que la zone fait (au mieux) 1,6% de croissance dans les bonnes années, et encore, avec des taux négatifs, avec 800 milliards d’achats d’actifs sur 12 mois, et avec un maximum de complaisance de la part des investisseurs. Donc, nous parlons du quart du rythme de la croissance qui se trouverait (toutes choses égales par ailleurs) amputé en 2018, et plutôt un tiers en France si on se base sur les prévisions les plus consensuelles. Même sanction en 2019. (Et je dis tout ça à condition que les taux d’intérêt ne remontent presque pas, et qu’aucun tsunami boursier ou pétrolier ou autre ne survienne). Ça fait cher payé pour un caprice d’égo, de casting et de calinothérapie avec Francfort.      

Et le petit Macron dans tout ça, le représentant en France de Benoit Coeuré ? Il ne pèse rien, parce qu’il a dès le début bien précisé qu’il n’entendait pas peser sur les gens qui prennent ce genre de décisions. Son plan ingénieux consiste à donner des gages à l’Allemagne (les « réformes structurelles ») pour, un beau jour, pouvoir peser dans des négociations sur des avancées fédéralistes (budget, euro-bonds, etc.). C’est, après tout, le rêve constant des élites françaises de droite et de gauche depuis plus de 30 ans, sous des vocables divers. Les têtes changent, les agences de com’ modifient l’enrobage, les pratiques restent. L’échec flagrant de cette « stratégie » ne les a pas conduits à une vraie remise en cause, ce qui montre que la faible circulation des élites reste un problème de fond, mais passons. Il ne faut pas leur en vouloir, ils ne savent pas ce qu’ils font (le concept de réforme en particulier n’est pas très précis chez eux, ils sous-estiment constamment les coûts et les délais, il faut dire qu’ils ne sont ni économistes ni sur la liste des perdants des réformes), et ils n’ont pas bien noté que le curseur posé par l’Allemagne se déplace sans cesse, ce qui conduit tout un pays au suivisme le plus infantile et le plus pathétique (Angela = « catch me if you can »). Mais s’il faut être indulgent avec les hommes, il faut être intraitable avec les idées. En l’occurrence, avec le mythe du structurel ou du budgétaire qui seraient plus important que le monétaire, ou la sinistre blague selon laquelle les français seraient plus « mûrs pour la réforme » que leurs décideurs, ou la farce d’un secteur privé qu’il faudrait conduire depuis l’Elysée vers le capitalisme moderne alors que tout indique que ce sont nos administrations qui auraient besoin du vent du changement. Bref.   

Donc, nous allons donner des signes de bonne volonté, sur les 3% de déficit et sur d’autres curseurs issus de la pensée magique franco-allemande. Mais on note qu’en règle générale si les mesurettes et les coups de rabot se prennent, les vraies réformes, elles, se trainent. C’est assez logique : d’abord, il n’y a pas beaucoup d’enthousiasme (promoteurs de la réforme dans un double discours, acteurs de terrain qui n’ont reçu qu’une pédagogie confuse, absence de sous dans la caisse ou de dévaluation pour lisser le choc, etc.), ensuite la fameuse « courbe en J » des réformes exerce sa loi (alors que les promoteurs ont actualisé les gains à des taux délirants auprès des électeurs), enfin la réforme est soit abandonnée, soit contrebalancée par une anti-réforme (une réglementation environnementale bienpensante, par exemple), soit amortie par toutes les petites concessions qu’il a fallu faire tout au long du processus pour acheter les médias, les syndicats, etc. Des travaux académiques et de l’expérience empirique se dégagent quelques tendances de fond si l’on souhaite réussir une réforme, tendances toutes violées par le gouvernement Macron :

1/ la théorie dite des « 100 jours » est valide. Encore un bel héritage de Milton Friedman foulé aux pieds et/ou caricaturé et/ou oublié. Si vous n’êtes pas capable de poser les bases de votre réforme au moment où vous êtes légitime et populaire, ne vous attendez pas, surtout à l’âge des nouveaux médias, à pouvoir le faire après. Cette théorie a été jugée inadéquate pour notre gouvernement actuel, peuplé de grands penseurs.

2/ il faut avoir quelque chose à proposer aux perdants de la réforme. Ce qui suppose des marges budgétaires existantes, ou une capacité à gonfler les déficits temporairement, ou une dévaluation (De Gaulle / Rueff, 1959)… ou, au moins, pas de choc monétaire hostile. C’est très précisément ce que la BCE ne nous permettra pas, pour le cas où Macron se déciderait enfin à tenter des choses pas trop homéopathiques. 

3/ le contenu de la réforme importe, son sens de la justice aussi si on veut la voir pérenne. Il faut viser la concurrence, pas renforcer encore le pouvoir de marché des insiders, des possédants, des gros diplômes. Dans un pays comme la France aujourd’hui, cela implique certes de libéraliser le marché du travail, mais de ne pas accabler les jeunes et les précaires, et de ne pas oublier la fonction publique dans le périmètre de la réforme. Idem pour les retraites. Or, d’après ce que j’ai compris, les réformes envisagées touchent surtout le secteur privé, exposé au monde, déjà très efficace et maintes fois réformé dans ce pays : elles touchent assez peu un secteur public pléthorique, protégé et fort peu efficient (si l’on excepte une technologie du coup de rabot très prisée à Bercy mais pas très efficace à long terme, la preuve).  

Tout se met rapidement et parfaitement en place pour un joyeux carnage, un échec complet, aussi pitoyable peut-être que la loi sur la « moralisation » de la vie politique. Sur les indemnités chômage par exemple, tout indique (et les échos en provenance de FO en particulier) qu’on est déjà entré dans un marécage insondable. On va beaucoup s’agiter pour des résultats lointains, hypothétiques et chers payés, qui seront pulvérisés dans leurs effets par deux ou trois réunions de la BCE ; le tout sans que pratiquement personne ne fasse le lien, donc sans sanctions et même sans comptes à rendre pour nos banquiers centraux (il parait que c’est la définition même de l’indépendance).

 J’aurais aimé une politique de « monnaie hélicoptère » (pour résoudre la crise de demande agrégée qui court depuis 2008) après une politique de la chaise vide à Francfort, couplée à un tax cut qui aurait ciblé les impôts les plus distordants, et à une politique d’offre incluant la mise en concurrence des professions jusqu’ici sanctuarisées, peu ouvertes à la mondialisation ou à la robotisation (pharmaciens, juristes, la liste est longue et je ne veux pas me fâcher avec la moitié de Paris). Notre pharaon ToutanMacron a préféré (quelle surprise, vu son CV et ses soutiens) la méthode Bercy : charges sociales versus CSG, agence de com’ sur les réformes-nécessaires-ma-bonne-dame, et courbettes à la BCE (en séminaire à sciences-po cela s’intitule la « gouvernance européenne en mutation »). C’est déjà fichu avant d’avoir commencé, et il faudra beaucoup d’ingéniosité (mais il n’en manque pas !) pour dissimuler le plus longtemps possible cet échec économique (je prévois de nombreuses mesures sociétales et constitutionnelles, peut-être des avancées cruciales dans des domaines peu consensuels comme la souffrance animale ou la lutte contre l’obésité).     

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