Vladimir Poutine aurait-il vraiment eu intérêt à empoisonner Alexeï Navalny ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Alexeï Navalny opposition Vladimir Poutine empoisonnement
Alexeï Navalny opposition Vladimir Poutine empoisonnement
©Mladen ANTONOV / AFP

Opposition

L'opposant russe Alexeï Navalny a été hospitalisé en Allemagne après l'autorisation de son transfert médical. Selon son entourage, il a été victime d'un "empoisonnement".

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Alexeï Navalny, le personnage considéré - surtout en Occident car il n'est pas si populaire que cela en Russie - comme l’opposant "numéro un" au président Vladimir Poutine est depuis le 20 août entre la vie et la mort. Ses proches affirment qu’il a "peut-être" été empoisonné. Les regards se tournent immédiatement vers Poutine, ancien officier du KGB et qui ne semble jamais reculer devant aucune méthode pour faire triompher ses idées et ce qu’il pense être l’intérêt de la Russie. Ainsi, des dizaines d’ennemis de la "Sainte Russie" ont disparu dans des conditions tragiques et la liste est trop longue pour tenir dans cet article.

Navalny était passager dans un vol parti de Tomsk, une ville de Sibérie, pour rejoindre Moscou quand il a apparemment fait un malaise d’origine inconnue. Le vol a atterri en urgence à Omsk où il a été transporté, visiblement inconscient, vers l’hôpital de la ville. Il y a été placé en soins intensifs sous respirateur artificiel. Sa porte-parole, Kira Iarmich a précisé : "Nous supposons qu’Alexeï a été empoisonné avec quelque chose de mélangé dans son thé. C’est la seule chose qu’il ait bue depuis le matin. Les médecins disent que la toxine a été absorbée plus rapidement par le liquide chaud". Elle a ajouté : "Nous avons exigé que la police vienne à l’hôpital".

Dans une interview à Novaïa Gazeta, l’un des médecins traitants d’Alexeï Navalny, Iaroslav Achikhmin, a demandé le 20 août son évacuation d’Omsk. Anastasia Vassilieva, la médecin personnelle d’Alexeï Navalny, arrivée également sur place, a lancé publiquement un appel aux autorités pour favoriser son départ à l’étranger, en vue d’être soigné dans un établissement spécialisé et surtout, indépendant.

Plus tôt dans la journée, le porte-parole de Vladimir Poutine, Dmitri Peskov, avait déclaré que le Kremlin répondrait favorablement à une telle demande malgré les interdictions de déplacements mises en place en raison du coronavirus. Il semblerait que ce sont les responsables de l’hôpital qui ont refusé durant quelques heures le transport pour des raisons de sécurité pour le patient (selon l’expression consacrée, il était "intransportable"). Un examen médical approfondi par une équipe médicale neutre permettra aussi de savoir avec certitude s’il y a eu empoisonnement. La France et l’Allemagne ont proposé d’accueillir le malade et l’ONG allemande "Cinema for Peace" a même affrété un avion médicalisé le 21 août pour le transporter. Selon son président, l'hôpital berlinois de la Charité était prêt à accueillir Alexeï Navalny. Des médecins allemands qui ont fait le déplacement d'Omsk ont pu visiter le patient et ont obtenu son transfert.

Son proche lieutenant, Leonid Volkov, a confirmé au journal  le Monde qu’une plainte avait été déposée au Comité d’enquête à Moscou, pour des faits d’empoisonnement. La police et des membres du Comité d’enquête chargé des affaires criminelles, sont arrivés à l’hôpital d’Omsk, a annoncé Mme Iarmich mais aucune instruction n’a été ouverte car il n’y a, pour l’instant, pas d’élément tangible permettant de qualifier cette affaire en empoisonnement volontaire. Les premiers communiqués officiels font état de "déséquilibre glucidique" (en clair, une forte baisse du niveau de glycémie dans le sang, mais l’auteur n’est pas médecin), ce qui reste tout de même extrêmement vague. Une substance suspecte a été retrouvée sur ses vêtements et ses doigts. Il s’agirait d’un produit utilisé dans le nettoyage des surfaces des lieux publics (comme les aéroports) très fréquentés en raison de l’épidémie de coronavirus.

Lors de son point presse du 20 août, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a souhaité à Alexeï Navalny de se rétablir, "comme à n’importe quel citoyen".

Navalny est considéré comme un des opposants les plus farouche au président Poutine. Il ne semble pas que le président russe lui accorde cette importance car il connaît bien le curriculum de cet individu qui démontre qu’il est un "ultranationaliste financé par les autorités américaines" via des fondations bien connues (en particulier par la National Endowment for Democracy, NED et l’Université Yale dans la cadre du programme des "jeunes leaders émergents" dont le but est de développer un réseau de futurs responsables en contact avec Yale et engagés pour faire du monde "un meilleur endroit" c-à-d "à l'américaine"). Au risque d’en décevoir quelques-uns, il convient de constater que Navalny n’est pas très "tendance". Ainsi, en 2014, il a affirmé que "le problème de l'immigration illégale en Russie est cent fois plus important que celui de l'Ukraine". Il a ajouté qu'il ne rendrait pas la Crimée à l'Ukraine s'il en avait le pouvoir… Son "Fonds de lutte contre la corruption" (FBK) a tout de même été déclaré comme "agent étranger" à l’image de ce qui se passe aux États-Unis. Il est vraisemblable que ces investigations portaient sur les nerfs de quelques oligarques ayant leurs entrées au Kremlin.

Depuis le meurtre de Boris Nemtsov en 2015, Navalny dont les publications anticorruption sont très partagées sur le net, a déjà subi plusieurs agressions physiques. Cet avocat a eu notamment le visage aspergé par un produit désinfectant en 2017 ce qui, dans le monde criminel, peut être considéré comme un "avertissement". Lors d’une de ses dernières détentions à l’été 2019, il a accusé le pouvoir de l’avoir empoisonné après l’apparition inexpliquée de gonflements des paupières et de multiples abcès… Aucune explication n’a été donnée mais ce phénomène arrive parfois après un séjour en milieu confiné peu aseptisé.

Navalny et ses partisans sont régulièrement l’objet de pressions policières. Il a lui-même été incarcéré à plusieurs reprises ces dernières années pour avoir organisé des manifestations jugées illégales. La Cour européenne des Droits de l’homme a qualifié deux de ses placements en détention (de 2012 et 2014) comme motivés politiquement.

Cela dit, il a beaucoup d’ennemis et pas seulement au Kremlin. Devenu l’enquêteur en chef sur la corruption en Fédération de Russie, il s’est vite retrouvé confronté à de nombreux adversaires dont certains ont - au minimum - des liens avec les mafias locales omniprésentes et ces dernières ne font généralement pas dans la dentelle. L’une des plus puissante est liée au président tchétchène Ramzan Kadirov qui, lui aussi, ne s’embarrasse pas de principes pour éliminer les gêneurs. La seule différence réside dans le fait que ses tueurs n'utilisent généralement pas le poison mais le plomb, la méthode étant jugée plus efficace. De plus Kadirov n’a jamais demandé le feu vert du Kremlin pour régler ses comptes (il est toutefois possible que le Kremlin ait apprécié certaines de ses initiatives ; en tous cas, il ne lui n’en a pas été fait le grief officiellement). Bien qu’il l’ai toujours démenti, l’assassinat par balles de Boris Nemtsov le 27 février 2015 à proximité du Kremlin est attribué à ses hommes. Cinq ont été arrêtés et purgent une peine allant de 11 à 20 ans de prison. De sérieux doutes subsistent quant aux commanditaires de celui d’Anna Politkovskaïa assassinée également par balles le 7 octobre 2006 à Moscou. La piste mène aussi vers Kadirov mais sans preuves recevables. Là aussi, des exécutants tchétchènes ont été impliqués….

Il existe aussi une véritable paranoïa dans l’entourage du président Poutine et il n’est pas certain qu’il est en mesure de contrôler l’action de certains de ses proches qui se considèrent comme les derniers défenseurs de la présidence russe.

Enfin, quand l’opposant numéro "dit" numéro un au président Poutine a démontré qu’il n’intéressait presque personne dans le pays et pour ses "sponsors" - il devient encore plus utile mort que vivant car il est alors le symbole de la "barbarie" du Kremlin. Aujourd’hui, c’est encore plus vrai dans le contexte post-électoral biélorusse catastrophique. Il est aisé de voir que certains souhaiteraient discréditer la Russie pour qu’elle sorte du "jeu"...

Pour terminer, il ne faut tout de même pas exclure un problème de santé naturel exploité à bon escient par son entourage. La rumeur court que, l’air de rien, le président Poutine a une peur bleue (ce qui ne lui ressemble pas) que Navalny ne décède et qu’il fait tout pour le garder en bonne santé. Il sait que tout "accident fatal" qui lui arriverait se retournerait automatiquement contre lui et pourrait être un élément déclencheur à des troubles sociaux d’importance qui couvent depuis des années. Il a donc intérêt à ce que son transfert vers l’Allemagne se passe au mieux et ce sont les médecins allemands qui en ont pris la pleine et entière responsabilité. L'avion a atterri à l'aéroport berlinois de Tegel le 22 dans la matinée.  Ensuite, la médecine étant une science inexacte, il est peu probable que des certitudes ressortent des analyses qui vont être pratiquées. Certains spécialistes affirmeront que son mal était "naturel", d’autres trouveront qu’il a été "provoqué" par un produit spécialement concocté dans des laboratoires russes qui s’est dissout avant prélèvement (et que c'est pour cette raison que l'autorisation de transfert a volontairement tardé). Dans l'opinion internationale, cela n'aura pas d'impact particulier, les pro-Russes et les anti-Russes ne changeront pas d'opinion. Les autres, ils continueront à regarder le foot à la télé et, sur le fond, ce sont eux qui ont raison...

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