Vers une suppression des notes à l'école : 10 ans après l’avoir fait, les Suisses, eux, le regrettent<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Conseil supérieur des programmes a récemment préconisé la suppression des notes et des moyennes.
Le Conseil supérieur des programmes a récemment préconisé la suppression des notes et des moyennes.
©Reuters

Contre-exemple

Le Conseil supérieur des programmes a récemment préconisé la suppression des notes et des moyennes, qui selon lui s'apparentent à des calculs artificiels. Dans les années 2000 pourtant, la Suisse, après une dizaine d'années de suppression des notes à l'école, avait rétro-pédalé sur la question en les rétablissant.

Pierre Duriot

Pierre Duriot

Pierre Duriot est enseignant du primaire. Il s’est intéressé à la posture des enfants face au métier d’élève, a travaillé à la fois sur la prévention de la difficulté scolaire à l’école maternelle et sur les questions d’éducation, directement avec les familles. Pierre Duriot est Porte parole national du parti gaulliste : Rassemblement du Peuple Français.

Il est l'auteur de Ne portez pas son cartable (L'Harmattan, 2012) et de Comment l’éducation change la société (L’harmattan, 2013). Il a publié en septembre Haro sur un prof, du côté obscur de l'éducation (Godefroy de Bouillon, 2015).

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Atlantico : Que peut nous enseigner cette expérience suisse sur les limites d'un enseignement sans l'évaluation des enfants par les notes ?

Pierre Duriot : Il faut, pour répondre à la question des notes, se pencher sur les dispositions affectives de nos jeunes élèves modernes, ceux-là même qui peinent à quitter leurs téléphones portables, qui échangent du matin au soir des dizaines de textos, ou bavardent de manière labile, qui peinent en fait à se passer du lien et de la relation, à exister seul et en autonomie. Or l'apprentissage nécessite un fonctionnement sur l'intellect, une capacité à l'autonomie, à se passer du lien affectif. Mais il n'est pas effectif chez tous les élèves, même pas forcément chez la majorité. Le fonctionnement affectif prime, la question de l'amour et du lien est omniprésente et la relation se résume souvent à un j'aime/j'aime pas purement pulsionnel. La relation au travail, aux profs peut parfois tourner au lien, quand l'élève tente de casser la distance d'avec son enseignant, en étant "ami Facebook". Quand le prof tutoie, pour les plus grands élèves, ne maintient pas cette barrière asymétrique et générationnelle que nécessite la transmission des savoirs.

Cet ensemble de dispositions aboutit au fait que ce qui devrait être la simple évaluation d'un travail à un instant T sur une copie, est ressenti comme une atteinte à la personne, un déclassement, un désamour, quand la note ne flatte pas l'ego. Et l'élève est effectivement dans l'angoisse de l'évaluation : l'incapacité à l'autonomie est bien sûr une fragilité. Quand le jeune est dans cette disposition devenue fréquente, aucune note, aucune forme d'évaluation n'est vraiment possible. Il faut bien dire qu'une dictée est bourrée de fautes quand elle est bourrée de fautes, même si cela ne fait pas plaisir. La recherche d'un autre système de notation s'apparente plus souvent à une tentative d'évitement du déplaisir qu'à l'évaluation sereine d'un travail.

Nous avons des cas très concrets dans l'histoire récente, qui corroborent la description faite des dispositions des candidats, les mêmes que les lycéens. Ce papier rose du permis de conduire, jadis délivré par l'inspecteur dès la fin du parcours est depuis quelques années envoyé par courrier. Les manifestations de déplaisir en cas d'échec se traduisaient de plus en plus fréquemment par des agressions des inspecteurs du permis. On a alors différé la manifestation du déplaisir pour la reporter non plus sur le fonctionnaire, mais sur l'entourage du recalé à la réception de la mauvaise nouvelle.

L'école ne peut procéder de la même manière avec ses notes et un système de notation, quel qu'il soit, sera mal perçu tant que l'échec au devoir sera vécu comme un échec intime de la personne. La solution facile consiste à créer une forme d'illusion en surnotant ou en ne notant pas, ce qui se pratique d'ailleurs régulièrement de manière totalement démagogique.

Avec les préconisations actuelles, on est bien dans la tentative d'évitement du conflit que peut générer la mauvaise note, non seulement avec l'élève, mais également avec ses parents. La limite de la suppression de ces notes est la perte de repère. Quand on passe de 0 à 20 à un code à trois couleurs, le rouge correspond-t-il à 02/20 ou à 09/20 ? Le vert est-il synonyme de 19/20 ou de 14/20 ? Les élèves ne sont pas fous, savent bien qui est le meilleur d'entre eux et la perte de l'étalonnage signifie autant l'illusion des derniers sur la réelle valeur de leur travail, que le découragement des meilleurs par leur inclusion dans une masse "verte", satisfaisante.

Ce n'est donc pas le système 00/20 qui est en cause, mais la manière dont les élèves le vivent et leurs parents avec. Le système d'évaluation doit ou devrait permettre de cibler les points forts et les points faibles, afin de permettre à l'élève et au professeur de prendre en charge les items échoués pour les faire remonter. C'est là le vrai sens de l'évaluation. Si l'on reprend l'exemple de la dictée, l'évaluation notée peut aussi et doit, par exemple, mettre en exergue une faiblesse sur le participe passé et induire un travail sur cette thématique particulière... sauf si l'élève refuse de s'entendre signifier son échec sur le participe passé, ou si le professeur n'entame pas le travail de remédiation nécessaire.

On peut retourner un système de notation dans tous les sens, une faute restera une faute et vouloir en atténuer la perception en changeant de thermomètre débouche fréquemment sur l'illusion.

Le rétablissement des notes en Suisse a été notamment souhaité par les parents et les enseignants. En quoi les notes sont-elles importantes pour ces derniers ?

Tout cela est très paradoxal chez les parents, donc chez les électeurs. Quoiqu'ils en disent, ils tiennent aux notes, surtout quand elles sont bonnes. Ne nous voilons pas la face, ce ne sont pas les notes qui dérangent, ce sont les mauvaises notes. La note sur 20 est un repère initiatique, symbolique, qui parle aux parents qui les ont eux-mêmes vécues dans un temps ancien qui était forcément le bon temps. Le prof a ses barèmes et la note lui permet plus d'objectivité, également, pour lui aussi, moins d'affects.

Le système de notation ne doit pas être changé mais utilisé, être suivi d'un travail de remédiation, d'exercices de stimulation, d'une vraie pédagogie, non pas de la réussite, mais du traitement de l'erreur en vue de son dépassement. Cela est long, difficile, nécessite une vraie connaissance des rouages de l'apprentissage, un retour à la pédagogie, à l'effort, à la compréhension. Pour cela il faut se sortir des sentiments liés à la note, sortir du dogme de la sacro-sainte "pédagogie de la réussite" ou "mise en situation de réussite" qui crée de l'illusion et nivelle vers le bas. A-t-on déjà vu une personne sensée, même douée, tout réussir du premier coup et apprendre un métier ou un sport sans jamais le moindre échec ? La progression résulte toujours du traitement rationnel d'une erreur reconnue et acceptée comme non-dramatique. Mais quand cette erreur n'est pas traitée, pas suivie d'effet, laissée en seule digestion à l'élève et à ses parents, l'erreur devient l'élève lui-même avec les dégâts que l'on connaît sur une motivation parfois bien fragile.

Le système de notation actuel dénigre-t-il vraiment l'évaluation des compétences comme précisé par le Conseil supérieur des programmes ?

Pas du tout ! Aucun professeur digne de ce nom n'assène une bonne ou une mauvaise note sans explication personnalisée à l'élève. Il peut peut-être exister de moins bons, voire de mauvais professeurs, mais gageons qu'ils ne sont pas légion. Un élève recevant une mauvaise note ne peut ignorer quelles en sont les causes : son manque de travail, son absentéisme, son attitude en cours ou la manière d'organiser ses tâches... la plupart des profs sont très explicites sur l'ensemble de ces items et ne prennent pas plaisir, ni à mettre des mauvaises notes, ni à plomber le moral de leurs élèves. Encore une fois, il faut sortir des affects, entrer dans l'échange, accepter de s'être trompé, avoir le courage et l'envie d'y remédier.

Quelles sont les autres expériences qui pourraient nous permettre d'avoir une meilleure approche sur la question ?

Les expériences ont été nombreuses et pour certaines très concluantes, à savoir, le travail en petits groupes, des techniques d'enseignement spécialisées, la remédiation cognitive, les approches et la pédagogie différenciées, l'étalement du programme sur une année supplémentaire, un travail psychoaffectif préalable pour replacer l'enfant dans une posture compatible avec le travail, les expérimentations du type "La main à la pâte", les stages intensifs délocalisés... Les formes de remédiation sont connues, mais elles coûtent cher et nécessitent des personnels bien formés. Pour autant l'évolution des savoirs nécessaires au fonctionnement de la société, l'évolution également de la posture des élèves et la fin du cautionnement mutuel entre les parents et les profs ont objectivement changé à la fois les conditions de travail et une révision, en premier lieu, de la formation des enseignants s'impose. La voie choisie est celle d'un recrutement des professeurs des écoles à un niveau plus élevé, alors même que c'est une formation pédagogique pratique qui est nécessaire. Chez les professeurs du secondaire, la formation est également courte, quand on n'envoie pas directement des vacataires sans aucune formation au devant de publics d'élèves très difficiles. Quand certains collègues peinent à établir des conditions d'enseignement, voire craignent pour leur sécurité, dans les cas les plus extrêmes, la question de la notation devient secondaire. Il y a peut-être plus urgent à traiter en matière de politique éducative.

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