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Vers une réconciliation de l'Iran et de l'Arabie saoudite ? Ces forces musulmanes qui permettraient d'accélérer la lutte contre l’État islamique
©english.al-akhbar.com

L'union fait la force

Le président iranien Hassan Rohani a déclaré mardi 23 septembre que les relations entre l’Iran et l’Arabie Saoudite méritaient "de se réchauffer" afin de stopper la progression du califat islamique.

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani est avocat et essayiste, spécialiste du Moyen-Orient. Il tient par ailleurs un blog www.amir-aslani.com, et alimente régulièrement son compte Twitter: @a_amir_aslani.

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Atlantico : Lors de son discours à l'occasion de l'Assemblée générale des Nations unies mercredi 24 septembre, le président des Etats-Unis, Barack Obama, a appellé les pays musulmans à surmonter leurs divisions, notamment entre chiites et sunnites, afin de lutter ensemble contre l'Etat islamique. Dans quelle mesure une alliance entre les pays musulmans pourrait rendre la lutte contre le Califat plus efficace ? 

Ardavan Amir-Aslani :Je pense qu’il convient d’emblée d’évacuer la notion qui consiste à limiter l’irruption du fait islamiste à un conflit exclusivement entre chiites et sunnites. S’il est vrai qu’au Moyen-Orient les extrémistes sunnites de cette caricature d’Etat Islamique vouent une haine véritable à l’encontre des chiites, perçues, par ailleurs, comme une excroissance de l’iranité, il n’en est pas ainsi ailleurs. Prenez le cas par exemple de l’islamisme dans l’Afrique subsaharienne, du Mali au Boko Haram du Nigéria, sans oublier de faire mention des islamistes d’Abu Sayef au Mindanao aux Philippines ou leurs acolytes du sud de la Thaïlande. Il n’y a pas de chiites dans ces pays-là et pourtant l’islamisme est bel et bien présent dans sa forme la plus exécrable. L’islamisme est en fait un phénomène qui a une vie propre, indépendamment du conflit sunnite/chiite. Il est principalement la conséquence de l’extrême frustration des peuples arabo-musulmans.

En ce qui concerne les Kurdes, la question religieuse est absente du paradigme. Les Kurdes sont aussi bien chiites que sunnites. Ce qui les oppose en particulier au prétendu Etat Islamique c’est qu’ils sont issus d’une minorité ethnique dans des pays à majorité arabe ou turcophone. Les Kurdes sont indo-européens et appartiennent au monde iranien et donc de la sorte minoritaire en Iraq et en Syrie mais aussi en Turquie.

>>> A lire également : Pourquoi la guerre contre le califat islamique ne pourra jamais être gagnée sans une implication beaucoup plus lourde des pays musulmans (et une prise de parole des musulmans occidentaux)

Par ailleurs, les combattants du prétendu Etat Islamique sont pour la plupart d’entre eux, étrangers aux pays où ils agissent, d’où l’absence de toute forme de compassion à l’encontre des populations locales auxquelles ils font subir les sévices que l’on connait. Ainsi à mon sens, le problème ne doit pas être perçu comme simplement l’émergence d’un islamisme autochtone mais d’un islamisme importé de l’étranger. L’idéologie venant de l’Arabie Saoudite wahhabite et le financement et les armes des autres pays arabe du golfe persique. De la sorte, il faudra bien accompagner les populations martyrisées pour leur permettre de s’organiser dans leur combat. L’aide occidentale est une nécessité; les populations locales étant démunies face à la terreur barbare des islamistes.

Les divisions qui traversent les pays du Moyen-Orient se font aussi bien selon des logiques tribales que religieuses, entre chiites et sunnites. Comment faire en sorte d'unir des forces aux intérêts parfois contradictoires pour lutter contre l'EI ?

Je pense que les intérêts ne sont pas aussi contradictoires que cela. Incontestablement, les Iraniens et les chiites en général ont un intérêt existentiel à combattre le prétendu Etat Islamique qui les considère comme des hérétiques. Rappelons que les combattants islamistes perçoivent une prime de 1000 dollars par chiite tué. En ce qui concerne les pays arabes sunnites, ils commencent à percevoir le danger qui les menace. Après avoir créé, armé, financé et fourni l’ossature idéologique dans le wahhâbisme primaire, au prétendu Etat Islamique, ils craignent maintenant un retour de bâton. A l’instar de ce qui s’est passé dans les années 80 en Afghanistan où des Saoudiens de retour chez eux après la guerre contre les soviets ont pris les armes contre ce qu’ils percevaient comme le régime corrompu des Saouds, ils voient d’un mauvais œil le "jour d’après" où ses islamistes rentreraient chez eux. Les Saoudiens, par exemple, craignent tellement la contagion qu’ils ont appelés à la rescousse l’armée égyptienne pour garder leurs frontières avec l’Iraq, tellement ils ont peu confiance dans leur propre armée qui est susceptible de partager les mêmes valeurs que les combattants du prétendu Etat Islamique. Ainsi, certes pour des raisons différentes, une alliance de raison peut se dessiner. 

Alors que cinq pays arabes sunnites, l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis, le Qatar, la Jordanie et le Bahreïn, participent à des frappes aériennes contre l’Etat islamique, comment expliquer que l’Iran, un pays chiite, soit pour sa part exclu du processus ? En quoi la lutte contre l'EI serait renforcée si l'Iran y était associé ? 

Il n’y a rien de plus grotesque que d’exclure l’Iran de cette coalition. En fait, pour moi, cette coalition est celle des repentis, des pays qui ont concouru à l’émergence de l’Etat Islamique et qui maintenant veulent détruire le Frankenstein qu’ils ont créés avant qu’il revienne les hanter. Tous les pays arabes du Golfe persique que vous citez ont d’une manière ou d’une autre fournie une assistance au prétendu Etat Islamique sans même parler de la Turquie. Soit en fournissant des armes, soit un apportant leur concours financiers soit en fournissant leur approbation médiatique. D’ailleurs le chef de l’Etat-major Américain et le secrétaire d’Etat John Kerry l’ont rappelé lors du sommet de Djeddah il y a deux semaines. D’après eux les deux critères du succès contre les islamistes sont l’arrêt du financement de ces derniers par les pays arabes du golfe persique et la condamnation de leur idéologie par leurs chaines de propagandes que sont Al-Jazeera du Qatar et Al-Arabia de l’Arabe Saoudite.

Les bombardements aériens ne règleront pas le problème. Ce n’est pas en lançant des missiles "cruise" sur des pick ups que l’on gagne une guerre. Il faudra bien déployer des combattants sur le terrain. Les seules victoires contre le prétendu Etat Islamique sont dues aux iraniens et leurs alliés miliciens chiites. C’est ainsi qu’a été bloquée l’avancé des islamistes vers Bagdad et que des villes comme Amerli et Suleiman Beg ont pu être libérées. L’Iran est le seul Etat digne de ce nom dans la région et dispose de l’ensemble de l’arsenal nécessaire, tant humain que matériel, pour anéantir le prétendu Etat islamique. C’est le pays qui exerce le plus d’influence sur Bagdad et Damas qui sont ses alliés. C’est le pays qui a formé les groupes des miliciens iraquiens qui ont bloqués et repoussés les Islamistes de la ville iraquienne de Samara et ailleurs. C’est aussi le seul pays qui a un intérêt existentiel à agir puisque les iraniens considèrent l’Etat islamique comme une menace réelle susceptible de mettre en danger leurs frontières. Inviter les fournisseurs d’armes et transitaires des islamistes que sont la Turquie et les Saoudiens à participer à la coalition et ne pas inviter l’Iran relève d’une comédie tragique. 

Alors que le président iranien Hassan Rohani a déclaré mardi 23 septembre que les relations entre l’Iran et l’Arabie Saoudite "méritent de se réchauffer", à quelles conditions un rapprochement entre les deux pays permettrait d'accélérer la lutte contre l'EI ? 

Comme je l’ai dit, les Saoudiens voient maintenant le danger du retour des islamistes chez eux. Ils sont donc motivés de détruire leur propre création. Par ailleurs, les Saoudiens constatent, comme vous et moi, qu’ils sont encerclés par l’arc chiite, Bagdad, Damas, Beyrouth et maintenant le Yémen depuis la victoire des Houthis chiites. Les dés sont jetés. Ce n’est d’ailleurs qu’après la chute de Sana ; la capitale du Yémen, que le ministre Saoudien des Affaires étrangères, Saoud Al-Fayçal, a demandé à voir son homologue iranien, Javad Zarif, à New York il y a deux jours.

Pour venir à bout de l'Etat islamique et d'autres mouvances djihadistes, faut-il que les musulmans à travers le monde reconnaissent que les agissements de l'Etat islamique relèvent dans une certaine mesure d'une dérive de l'islam ?

Il est vrai que ce que l’on voit en Iraq et en Syrie ne peut être que l’œuvre d’esprits dégénérés. Comment expliquer autrement, 10 000 morts civiles en Iraq, des viols collectifs, la traite des femmes sur la place publique et les décapitations en masse. On vit aujourd’hui au Moyen-Orient Arabe, ce qu’il y a des siècles, la France a vécu la nuit de la Saint Barthélemy. Il est encore difficile de pardonner ce qui a eu lieu au 16e siècle en France, imaginez donc la barbarie du prétendu Etat Islamique en 2014 ! Il va donc bien évidemment sans dire que l’interprétation faite par le prétendu Etat Islamique des principes de l’Islam est une interprétation pour le moins primaire. S’il est vrai que l’Islam s’est étendu à travers le monde par la force de l’épée et la conquête militaire, cette religion a aussi connu sa renaissance. Le rayonnement de l’Islam Andalou au 15e siècle en est la parfaite illustration. Or, la tragédie de l’Islam à l’inverse du christianisme est que cette religion connait son Moyen-Age après sa Renaissance. 

En France, comment faire en sorte de venir à bout des crispations identitaires ? Au Moyen-Orient cette-fois, comment surmonter les divisions religieuses et tribales afin de lutter de manière la plus efficace et la plus durable possible contre l'EI ? 

En France, l’Islam a remplacé la France comme l’élément identitaire d’une certaine jeunesse musulmane désœuvrée. Cette même jeunesse qui a fourni les 1200 combattants français du djihad. L’Islam est devenu une nationalité pour elle. Beaucoup de ces jeunes tiennent un titre de gloire dans les faits de guerre des combattants islamistes en Iraq. Ils manifestent dans les rues de Paris avec le drapeau du prétendu Etat Islamique. Ils se consolent de leurs frustrations dans les éclats militaires islamistes au Moyen-Orient. Il est regrettable que la France ait échoué dans leur incorporation dans la société civile laïque. A mon sens, l’espoir ne réside que dans l’éducation et l’accès au travail, critères essentiels de l’intégration. Je pense, qu’outre les facteurs de progrès que sont l’éducation et l’accès au monde du travail, le salut viendra par la femme musulmane, mère de demain, qui voulant s’émanciper des tutelles religieuses, optera pour la voie de l’ascension sociale par le biais du savoir. Tant en France qu’à l’étranger. Prenez l’exemple iranien où plus de 60% de la population universitaire est féminine.

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