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La centrale nucléaire de Chinon, le 8 juillet 2020 à Avoine, dans le centre de la France.
La centrale nucléaire de Chinon, le 8 juillet 2020 à Avoine, dans le centre de la France.
©GUILLAUME SOUVANT / AFP

Bonnes feuilles

Philippe Charlez publie « L'Utopie de la croissance verte : Les lois de la thermodynamique sociale » aux éditions Jacques-Marie Laffont. Dans un monde au sein duquel la démographie continue de croître, ni la décroissance économique ni la croissance 100 % verte n’apparaissent comme des solutions crédibles. Extrait 1/2.

Philippe Charlez

Philippe Charlez

Philippe Charlez est ingénieur des Mines de l'École Polytechnique de Mons (Belgique) et Docteur en Physique de l'Institut de Physique du Globe de Paris.

Expert internationalement reconnu en énergie, Charlez est l'auteur de plusieurs ouvrages sur la transition énergétique dont « Croissance, énergie, climat. Dépasser la quadrature du cercle » paru en Octobre 2017 aux Editions De Boek supérieur et « L’utopie de la croissance verte. Les lois de la thermodynamique sociale » paru en octobre 2021 aux Editions JM Laffont.

Philippe Charlez enseigne à Science Po, Dauphine, l’INSEAD, Mines Paris Tech, l’ISSEP et le Centre International de Formation Européenne. Il est éditorialiste régulier pour Valeurs Actuelles, Contrepoints, Atlantico, Causeur et Opinion Internationale.

Il est l’expert en Questions Energétiques de l’Institut Sapiens.

Pour plus d'informations sur l’auteur consultez www.philippecharlez.com et https://www.youtube.com/energychallenge  

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Renoncer à des siècles de civilisation pour retourner au statut de chasseur-cueilleur n’est une solution ni crédible, ni souhaitable pour le genre humain. Mais il ne faut pas pour autant ignorer certaines alertes lancées par les décroissantistes. Ainsi en est-il des « 7 R » de Serge Latouche. Si les trois premiers, « révolution radicale redistributrice », ne sont pas recevables, les quatre autres, « relocaliser, réduire, recycler et réutiliser », s’avèrent tout à fait pertinents. En fait, la question de fond n’est pas de sortir de la société de croissance, mais bien d’améliorer significativement les échanges entropiques avec l’environnement en optimisant les ressources en entrée et en réduisant les déchets en sortie. Sans pour autant viser l’impossible chimère isentropique de Georgescu, il s’agit de rendre la croissance « durable » et son double impact sur l’environnement « soutenable ». Durabilité et soutenabilité impliquent d’imposer à l’épure de la croissance des contraintes dictées par l’état actuel de nos techniques et de nos organisations sociales. Appelé « développement durable », ce concept a été proposé en 1987 par la commission des Nations unies présidée par la Norvégienne Gro Harlem Brundtland et détaillé dans le document Notre avenir à tous.

Le développement durable implique de gérer trois « capitaux » complémentaires non substituables : l’économique, le sociétal et l’environnemental. Alors que l’économie classique décorrèle la croissance de l’environnement, le développement durable contraint la sphère économique par les sphères environnementale et sociétale : un véritable « mariage de raison » entre Malthus et Schumpeter. Mais le développement durable n’est pas seulement contraint par les trois thématiques économie/société/environnement : il a aussi une double dimension spatiale et temporelle.

D’une part, il vise à limiter la croissance des pays jouissant déjà d’un niveau élevé de consommation pour laisser davantage d’espace aux pays émergents souffrant d’un manque de consommation. Tel a été l’effet de la mondialisation de l’économie : au cours des vingt dernières années, alors que le PIB des pays de l’OCDE doublait, celui des pays émergents était multiplié par 5,6. En 2000, le PIB de l’OCDE représentait 82 % de la richesse mondiale. En 2019, ce pourcentage était tombé à 61 %.

D’autre part, le développement durable ambitionne de prévenir la surconsommation du présent pour laisser davantage de possibilités aux générations futures. Bien que violemment rejeté par la plupart des décroissantistes, le développement durable répond pourtant en partie à leur double objectif de lutte des classes : réduire la pauvreté du présent tout en préservant le monde de nos enfants. Inscrite dans ce concept, la transition énergétique s’appuie sur trois piliers en parfaite bijection avec les trois capitaux du développement durable (figure 13).

Le pilier environnemental est bien entendu la réponse au réchauffement climatique. Il requiert une réduction impérative et rapide de notre consommation d’énergie en général, et de celle des combustibles fossiles en particulier. Le second pilier est politique et sociétal : sécuriser l’approvisionnement énergétique de chacun, et notamment du 1,3 milliard d’individus n’ayant pas accès à l’électricité. Le troisième est économique et concerne la compétitivité des entreprises qui, suivant les secteurs d’activité, est largement conditionnée par les prix de l’énergie.

Comme le répète très justement Patrick Pouyanné, président du groupe TotalEnergies, « l’énergie doit en même temps être propre, disponible et abordable ».

En Europe, le développement durable est devenu le fil rouge des producteurs et des consommateurs. Les producteurs en ont fait une stratégie économique et commerciale à travers les labels verts, bio, éthiques ou équitables. Les consommateurs ont quant à eux transformé leurs achats en véritable acte écologique, voire, pour certains, en acte politique. Sans remettre en cause la légitimité du capitalisme libéral, la consommation devient synonyme d’adhésion à un certain nombre de valeurs environnementales. Ce néocapitalisme à « visage humain » vise à concilier croissance économique, développement et respect des limites de la biosphère. La société de croissance ne peut plus désormais fonctionner sur la seule accumulation de richesses au détriment des conditions sociales, de l’environnement et de la santé.

Cette vision n’est en rien partagée par les décroissantistes, qui considèrent le développement durable comme un simple « marketing vert » légitimant la pérennité d’une société capitaliste axée sur le matériel et le consumérisme. Selon eux, « toute démarche véritablement équitable et écologique est incompatible avec la société capitaliste ».

Ce positionnement prend donc davantage racine dans une détestation de la société de croissance et de son « démon capitaliste » que dans un combat contre le réchauffement climatique. Toutes les enquêtes le prouvent : la filiation primaire des décroissantistes est le marxisme, et non l’écologisme. Ce positionnement du « pour ou contre » le développement durable augure dans le futur un nouveau débat gauche-droite se substituant au débat classique entre libéraux et socialistes.

Si le développement durable a fait son chemin dans les pays de l’OCDE, le concept reste malheureusement lettre morte dans de nombreux pays émergents, où l’éducation énergétique est souvent déficiente. Ainsi, en 2019, la France et les Émirats arabes unis (Abu Dhabi et Dubaï) possédaient un PIB/habitant similaire (40 000 $/an) et rejetaient dans l’atmosphère des quantités de dioxyde de carbone identiques (figure 14, gauche). Mais les Émiratis (9,7 millions) sont… sept fois moins nombreux que les Français. En conséquence, les indicateurs Émiratis ont de quoi affoler : une intensité énergétique 3,5 fois plus élevée, et un mégawattheure deux fois plus carboné.

Le citoyen d’Abu Dhabi ou de Dubaï consomme annuellement trois fois plus d’énergie que le Français, et émet six fois plus de CO2 (figure 14, gauche).

Les objectifs du développement durable s’intègrent parfaitement dans notre modèle de société de croissance : la production de richesses est contrainte en entrée par la réduction de l’intensité énergétique et en sortie par la réduction de l’intensité carbone. Il serait souhaitable de les intégrer comme paramètres supplémentaires dans l’indice de développement humain : le développement ne doit plus seulement s’apprécier en termes de production de richesses, d’allongement de l’espérance de vie et de durée d’éducation ; il doit aussi s’évaluer à travers les capacités des sociétés humaines à optimiser la consommation d’énergie et à minimiser les émissions de déchets. Tel est le premier défi de la décennie qui commence.

Mais ce changement de paradigme entre développement et développement durable demande également à l’humanité d’opérer un tournant majeur quant à la nature des relations internationales. Entre l’accès aux ressources délimité par des frontières et les émissions de CO2 n’en possédant malheureusement pas, le développement durable invite à fortement renforcer l’effectivité de la coopération internationale et du multilatéralisme. Ce second défi est probablement le plus complexe à réaliser.

Extrait du livre de Philippe Charlez, « L'Utopie de la croissance verte : Les lois de la thermodynamique sociale », publié aux éditions Jacques-Marie Laffont

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