Vers une blitzkrieg sur les retraites : le calcul politique d’Emmanuel Macron est-il le bon ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron souhaite que la réforme des retraites passe via le projet de loi de financement de la sécurité sociale et envisage de recourir au 49.3.
Emmanuel Macron souhaite que la réforme des retraites passe via le projet de loi de financement de la sécurité sociale et envisage de recourir au 49.3.
©PASCAL ROSSIGNOL / POOL / AFP

Machiavel ou Néron ?

Lors d’un dîner de la majorité organisé à l’Elysée, Emmanuel Macron a révélé avoir décidé que la réforme des retraites passerait via le projet de loi de financement de la sécurité sociale, ce qui permettra de la faire adopter par 49.3. Objectif en creux : consolider la position du chef de l’Etat en vue d’une dissolution.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Lors d’un dîner de la majorité organisé à l’Elysée, Emmanuel Macron a révélé avoir décidé que la réforme des retraites passerait via le projet de loi de financement de la sécurité sociale, ce qui permettra de la faire adopter par 49.3, en janvier. Quel est l’intérêt politique d’une telle stratégie ? Quel est le calcul politique du président ?

Christophe Boutin : Emmanuel Macron semble avoir en effet tranché, non pas tant sur le fait d’engager la réforme des retraites - cela faisait partie de son agenda depuis le début, et il avait donc vocation à le réaliser - que sur les modalités pratiques pour faire voter le texte qui portera la retraite en France à 65 ans. Deux possibilités s’offraient en effet à lui : soit préparer un texte spécifique consacré à ce seul point ; soit intégrer la réforme des retraites dans un autre texte plus général, touchant au financement de la Sécurité sociale. 

L’intérêt de la seconde option est d’éviter d’épuiser le droit de tirage du gouvernement en matière d’utilisation de l’article 49-3. Depuis la réforme de 2008, en effet, en dehors des lois de finances et de financement de la sécurité sociale, pour lesquelles le gouvernement est libre d’utiliser quand il le veut cette procédure dont on rappellera qu’elle permet l’adoption du texte sans vote, dès lors du moins qu’il n’y a pas eu le vote d’une motion de censure pour s’y opposer, il n’y a qu’une seule possibilité par session parlementaire pour utiliser le 49-3.

C’est pourquoi d’ailleurs Emmanuel Macron avait envisagé à l’automne de glisser sa réforme des retraites dans la loi de financement de la Sécurité sociale, mais les vives critiques portant sur un tel passage en force, venant notamment du MoDem de François Bayrou, un allié important dans cette majorité relative dont le gouvernement dispose à l’Assemblée nationale, avait conduit à y renoncer. On espérait sans doute alors finir par convaincre LR de rejoindre la coalition de la Raison, et ce d’autant plus facilement que ce parti avait toujours envisagé lui aussi une réforme des retraites de ce type, sans jamais oser la mettre en œuvre. 

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Mais les choses n’en sont plus là, et c’est donc dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale rectificatif que la réforme des retraites devrait être intégré, si l’on en croit les récentes révélations. Le calendrier serait donc le suivant : présentation des orientations générales par Élisabeth Borne à la mi-décembre ; avis du Conseil d’État et passage en Conseil des ministres dans les premiers jours de janvier ; discussion en janvier à la chambre basse, en février au Sénat ; adoption avant l’été.

Même si le Premier ministre joue actuellement la carte de la concertation en recevant les principaux dirigeants syndicaux - Philippe Martinez (CGT), Laurent Berger (CFDT) François Hommeril (CFE-CGC) et Cyril Chabanier (CFTC), et même si elle recevra la semaine prochaine les représentants des différents groupes parlementaires - majorité comme opposition -, les jeux semblent faits : d’un côté, le gouvernement choisit la limite de 65 ans, se refusant à s’affaiblir en commençant à proposer 64 ans ; de l’autre, les syndicats ne veulent pas entendre parler de remise en cause des 60 ans. C’est dire les tensions qui devraient secouer le pays… et les partis politiques.

Quels impacts politiques justement peut-on attendre de ce choix ?

En ce qui concerne une part de l’opposition, aussi bien de droite avec le RN que de gauche avec LFI, les choses semblent claires : ce sera une opposition farouche, avec le dépôt de motions de censure - et Marine Le Pen a d’ores et déjà annoncé qu’elle voterait de telles motions quel que soit le parti les ayant déposées. 

Emmanuel Macron va-t-il fragiliser l’opposition de gauche, la structure de la NUPES ? Cela supposerait que les socialistes se rallient finalement à la réforme, et donc des concessions de la part d’un gouvernement qui ne semble pas prêt à en faire. Les choses sont différentes à droite, où les Républicains ont toujours été favorables à une telle réforme des retraites, même s’ils n’ont jamais osé l’engager. La question se posera pour eux, une nouvelle fois, du vote d’une motion de censure déposée contre le gouvernement, mais on n’a pas eu l’impression, lors du débat destiné à la nomination du nouveau président, que cette question des retraites était pour eux une ligne rouge, et pour cause. Il est donc permis de penser que les Républicains ne s’associeront pas à une motion de censure et que, pour faire oublier auprès de leur électorat cet accord – car ici « qui ne dit mot consent » - avec la politique menée par Emmanuel Macron, ils feront feu de tout bois au sujet du texte sur l’immigration qui arrive – et les futurs heurts avec la NUPES sur un tel sujet, qui, lui aussi inquiète les Français, détourneront l’attention de ces derniers des retraites. Voilà un texte qui tombe bien… 

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Mais les choses pourraient pourtant être différentes si la majorité composite réunie derrière Emmanuel Macron s’inquiétait du fait qu’en passant en force sur les retraites on courre le risque de braquer définitivement l’opinion contre ceux qui sont au pouvoir, ce qui obèrerait plus ou moins les chances des futurs candidats soucieux de remplacer Emmanuel Macron en 2027. On comprend dans ce cadre qu’Édouard Philippe, par exemple, se soit montrée très prudent, et François Bayrou plutôt critique, et ce d’autant plus que tout avait déjà été préparé en amont en petit comité, et qu’il ne s’agissait ici pour Emmanuel Macron que d’annoncer à ses alliés ce qui avait été décidé, et aucunement d’en négocier le contenu.

S’agit-il bien ici de tenir avec cette réforme des promesses faites à l’électorat, un argument qui peut porter ? François Bayrou rappelait, lors du dîner élyséen, que pendant la campagne des législatives la question des retraites n’avait pas véritablement été mise en avant, c’est le moins que l’on puisse dire, tant afficher la volonté de la faire passer était handicapant pour les candidats à la députation. Mais Emmanuel Macron a affirmé que lors de la campagne présidentielle il avait cette réforme dans son programme, que les Français n’avaient pas pu l’ignorer en l’élisant, et l’ineffable Aurore Bergé, jamais en retard pour apporter un soutien au puissant du moment, s’empressa d’ajouter que cela avait été assumé collectivement. 

Cette stratégie pourrait-elle consolider la position du chef de l’État en vue d’une dissolution qui est aussi dans les tuyaux ? Une dissolution, après une réforme des retraites au forceps, dans la situation politique actuelle, pourrait-elle le mettre en situation d’obtenir la majorité qui lui manque ?

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Il faudrait savoir quand et comment aurait lieu la dissolution, et, notamment si elle aurait lieu après le vote d’une motion de censure présentée pour s’opposer justement à cette réforme des retraites, ce qui changerait la perspective. 

Pour le reste, s’il y avait dissolution après une telle réforme, Emmanuel Macron, ou plutôt les membres des partis qui composent sa majorité, feraient effectivement l’objet de très vives critiques. Pour autant, il n’y aurait sans doute pas de possibilité d’alliance comme celle que l’on pourrait rencontrer derrière une motion de censure : on ne voit pas le Rassemblement national d’une part, et la NUPES, d’autre part, se partager les circonscriptions pour additionner leurs forces. Cette division de l’opposition renforcerait une majorité présidentielle unie, ou, du moins, limiterait les conséquences de l’effet négatif causé par la réforme des retraites dans une part de l’opinion. 

Par ailleurs, après les manifestations sociales qui ne manqueront pas d’avoir lieu dès qu’il sera clairement annoncé que le projet est mis en œuvre, qu’il est intégré à la loi de financement de la Sécurité sociale, et donc qu’il fera très vraisemblablement l’objet d’un article 49-3, des manifestations syndicales, mais aussi des mouvements plus ou spontanés et plus ou moins contrôlés, le tout s’ajoutant aux angoisses nées de la crise énergétique, de la crise financière ou à la menace de la crise sanitaire, une part de la population fera comme toujours en cas de stress le choix de se raccrocher au pouvoir en place, se refusant à courir l’aventure de ce chaos que l’on présentera comme inéluctable. 

Pour autant, il semble bien que les Français soient actuellement attachés à une réelle diversité au sein du parlement, et ceux qui auraient sans doute le plus à pâtir d’une telle dissolution seraient des Républicains plus que jamais pris en tenaille entre majorité présidentielle et opposition radicale. Ce peut être alors le moment pour Emmanuel Macron, en leur tendant la main, d’élargir son centre, et de faire enfin ce à quoi il aspire depuis le début : l’union des « raisonnables » contre les « populistes » de droite et de gauche.

À supposer que ce calcul (réforme des retraites + dissolution) soit juste à court terme, ne risque-t-il pas une fragilisation de la démocratie française à moyen terme ?

La fragilisation de la démocratie en France vient du décalage de plus en plus important entre les aspirations de la population et les choix fait par l’oligarchie gouvernante. Il n’y a en effet pas de possibilité pour les citoyens de peser sur ces choix en dehors des périodes électorales, soit en proposant des textes, par un référendum d’initiative citoyenne bien différent de ce référendum d’initiative partagée dont tout un chacun voit bien qu’il est absolument impossible à mettre en œuvre, soit en demandant l’abrogation d’autres textes par un référendum révocatoire. Le résultat est ce désaccord profond sur des sujets comme l’immigration, l’insécurité… ou la défense des acquis sociaux, dont les retraites.

Or l’utilisation des éléments prévus par la Constitution pour mener à bien un projet contre l’opposition parlementaire devient problématique quand cette dernière exprime finalement… le vœu de la majorité de la population. Un décalage notamment rendu possible par le mode de scrutin et l’absence d’une vraie proportionnelle – avec un point de tension tel qu’il a rendu possible pour une fois, et de manière très surprenante, le résultat des législatives de 2022.

C’est ce décalage toujours plus grand, qui aboutit logiquement à des épreuves de force toujours moins démocratiques, très loin des débats et compromis d’un vrai parlementarisme, qui fait courir ce risque d’explosion ou d’implosion que l’on évoque maintenant de plus en plus ouvertement. Mais lorsqu’il n’est pas possible de régler les conflits par la voie politique, c’est très naturellement que les citoyens se tournent vers d’autres possibilités.

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