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Vers un nouveau bac plus musclé (enfin...) : petit tableau des dégâts causés depuis 30 ans par l'objectif du bac pour tous
©Reuters

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"On ira tous dans le supérieur..." chante la classe politique française depuis des années. Pourtant, rien n'a été plus inefficace et nocif que le nivellement par le bas provoqué par le bac pour tous. Emmanuel Macron l'a compris, et compte inverser la tendance.

Pierre Duriot

Pierre Duriot

Pierre Duriot est enseignant du primaire. Il s’est intéressé à la posture des enfants face au métier d’élève, a travaillé à la fois sur la prévention de la difficulté scolaire à l’école maternelle et sur les questions d’éducation, directement avec les familles. Pierre Duriot est Porte parole national du parti gaulliste : Rassemblement du Peuple Français.

Il est l'auteur de Ne portez pas son cartable (L'Harmattan, 2012) et de Comment l’éducation change la société (L’harmattan, 2013). Il a publié en septembre Haro sur un prof, du côté obscur de l'éducation (Godefroy de Bouillon, 2015).

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Atlantico : Emmanuel Macron et son ministre de l'éducation, Jean-Michel Blanquer souhaitent mettre en place une réforme du baccalauréat pour que celui ci soit plus "musclé". En 1985, Jean-Pierre Chevènement indiquait qu'il souhaitait "Amener 80 % d'une classe d'âge au niveau du baccalauréat", une philosophie qui marqué la politique menée depuis lors. Quelles ont été les conséquences d'une telle politique ? Quelles ont été les victimes d'un tel système et ou en sont elles aujourd’hui ?

Pierre Duriot : L'excellence ne se décrète pas politiquement, il faut bien se faire une raison et la seule égalité qui vaille ne peut avoir lieu que dans la médiocrité. A confondre égalité et égalitarisme, on passe d'un système éducatif censé emmener chacun à son niveau maximum, à une idée qui voudrait que l'on emmène tout le monde, sans distinction, au même niveau. L'égalité entre les petits humains est un fantasme, ils ne sont égaux, sur aucun plan, par nature, et, par nature également, ils sont inscrits dans la compétition entre eux, comme tous les petits mammifères. Dans ce contexte, le rôle de l'école devient celui, non pas de supprimer la compétition inhérente à la nature, mais de l'organiser, de la moraliser, de permettre aux moins bien armés de progresser quand même et aux perdants d'avoir tout de même un rôle honorable dans la société, si ce n'est d'être gagnants dans d'autres domaines que l'école. Il s'agit là d'une révolution idéologique. En réalité, l'obtention de ce sésame a servi d'argument électoral : votez pour nous et votre enfant aura le bac. Ce n'est pas aussi simple, les élèves ne sont pas des pièces mécaniques que l'on peut amener toutes aux mêmes dimensions. Et les victimes ont été nombreuses, en premier lieu, les élèves, souvent illusionnés sur la valeur de leur bac, à tel point que les meilleurs d'entre eux savent parfaitement que c'est la mention "bien" ou "très bien" qui leur ouvrira les portes des grandes écoles de leurs rêves et pas un simple bac. D'autres déchantent au moment de l'orientation devant les portes fermées. Au final, quand les bonnes places du supérieur sont prises par les meilleurs bacheliers, restent pas mal de filières encombrées ou déclassées, d'où on ressort avec des "pas grand chose" qui vous valent des classements verticaux auprès des employeurs. La seconde victime fut le pays lui même, avec un chômage de masse, en particulier chez les jeunes, une désaffection profonde des filières artisanales et industrielles, même si l'enseignement n'est pas seul en cause sur ces volets. On fait mine de redécouvrir aujourd'hui les bienfaits des apprentissages industriels et manuels. Le pays y a perdu son tissu industriel de PME innovantes et de pointe, une forme d'excellence du geste et du savoir faire, qui existe encore certes, mais qui n'est pas au niveau de ce qu'il devrait être dans notre pays. La France est globalement un pays marchand de technologies de moyenne gamme, ce qui est largement perfectible, même si la désaffection pour des filières professionnelles, pourtant de moyen et haut niveaux, pendant deux à trois décennies, n'est pas la seule cause. De nombreux spécialistes argumentent actuellement sur le thème de la réindustrialisation de la France, certains pensant même que c'est impossible. Nous payons aussi par le chômage, l'assistanat et le fatalisme, qui sont devenus des "cultures" bien ancrées dans certaines têtes. Enfin, le décrochage scolaire, avant le bac, même s'il revêt plusieurs aspects, résulte en partie d'erreurs d'orientation. Tout cela rejoint les notions de travail, de mérite, de formation, de tutorat, de transmission des savoirs et savoir-faire, de codes communs : tout un programme auquel il faut à nouveau préparer les mentalités.

Puisque le baccalauréat est le passeport pour des études supérieures, quels ont été les conséquences pour les différentes filières ? Quels ont été les effets de cette politique sur l'enseignement supérieur ? Ici encore, quelles en ont été les victimes ?

En réalité, ce n'est pas tant le bac qui a des conséquences sur les différentes filières. Bien évidemment, il y a les filières d'excellence et les autres, les filières qualifiantes et celles qui ne servent quasiment à rien, dans un contexte où on gagne mieux sa vie avec un CAP de pâtisserie qu'avec un doctorat en histoire de l'art. Soit on organise l'enseignement en fonction des besoins de la société, telle qu'on la propose aux jeunes qui sortent de l'école, soit les jeunes eux mêmes font ce qu'ils veulent en fonction des structures qu'on leur propose et on voit à la sortie : ce sont deux visions politiques totalement différentes, dont la première s'apparente à du formatage et la seconde à de l'irresponsabilité. On peut illustrer le phénomène avec le numerus-clausus chez les étudiants en médecine, avec la limitation du nombre de places dans les facultés régionales, tout en laissant la libre installation des médecins à la sortie, parce que l'on se refuse à assigner les sortants à résidence. A la fois, la structure d'enseignement de la médecine est insuffisante, les étudiants sont placés dans une situation de compétition peu morale, le pays a besoin d'importer des médecins étrangers et de nombreuses régions se retrouvent en état de sous-effectif chronique. On voit bien, dans ce cas de figure, que c'est l'action politique et non le bac qui est le facteur déterminant. Les victimes, sont comme à la première question, les élèves eux-même et le pays tout entier, qui paye l'idéologie, le manque d'investissement et d'organisation. Dans le cas des médecins, une obligation d'exercice sectorisé pendant un certain nombre d'années ne serait pas une aberration.

Quels sont les enjeux d'une réforme visant à muscler la baccalauréat ? Dans quelle réforme globale un tel projet pourrait s'intégrer ?

L'histoire l'a toujours montré, le bac est un sujet très glissant pour un gouvernement. Les velléités en direction d'une quelconque sélection déclenchent des hurlements du côté des syndicats étudiants, souvent très à gauche et qui n'ont aucune peine à faire descendre les lycéens dans la rue. Le bac est une institution historique, les parents et les grands parents y tiennent. Il revêt un caractère quasi initiatique et comme l'a dit le Ministre, après la suppression du service militaire, le bac reste le seul rite d'entrée dans l'âge adulte, avec si l'on peut dire, le permis de conduire. Il ne s'agit pas tant de "muscler" le bac, ce qui éventuellement ferait baisser le nombre de lauréats qui tourne actuellement autour de 55 % d'une classe d'âge. Cela serait purement élitiste et ne ferait pas vraiment avancer la machine. L'abandon de l'objectif bac en tant qu'argument électoral passe par la remise en place de filières industrielles et artisanales valorisantes, précédée d'un vrai travail de communication sur les bienfaits des formations qualifiantes, autres que les filières générales. Après tant d'années de démagogie, de traitement artificiel de la notation de l'examen, de bienveillance outrancière, qui ont permis l'obtention d'un bac largement dévalorisé, mais auquel tout le monde tient, il se profile un vrai travail sur les mentalités, afin de sortir du "passe ton bac d'abord" et de permettre la revalorisation de statuts sociaux et professionnels trop souvent perçus comme inférieurs. Mais bien sûr le système éducatif ne vit pas en autarcie, il faut l'intégrer dans le tissu industriel, l'investissement, l'aménagement du territoire et les spécificités régionales. Cela se fait, on peut citer les filières aéronautiques du Sud-Ouest ou les filières marines et halieutiques en Bretagne, mais c'est encore trop peu. Pour un ministre, c'est un chantier immense, mais c'est surtout un chantier de vingt années, avec la certitude de n'avoir pas le fruit de ses actions avant la fin de son mandat, c'est sans doute un peu là que le bât blesse. Jusqu'à présent, à vouloir des résultats rapides dans des tâches de longue haleine, le politique s'est condamné au bricolage presque inutile, souvent plus politisé que pragmatique, si ce n'est totalement contre productif.

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