Vers un accord historique entre Arabie saoudite et Israël (et à quel prix…?) <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Des fans de football dans les tribunes d'un stade sous une grande bannière représentant le roi saoudien Salman bin Abdulaziz et son fils le prince héritier Mohammed ben Salmane lors d'un match entre la Palestine et l'Arabie saoudite, en octobre 2019.
Des fans de football dans les tribunes d'un stade sous une grande bannière représentant le roi saoudien Salman bin Abdulaziz  et son fils le prince héritier Mohammed ben Salmane lors d'un match entre la Palestine et l'Arabie saoudite, en octobre 2019.
©AHMAD GHARABLI / AFP

Diplomatie

L’Arabie saoudite pourrait bientôt normaliser ses relations avec l’Etat Hébreu. Les Américains se donnent jusqu’à la fin de l’année, avant d’être rattrapés par la campagne présidentielle de 2024, pour faire avancer ce dossier.

Dov Zerah

Dov Zerah

Ancien élève de l’École nationale d’administration (ENA), Dov ZERAH a été directeur des Monnaies et médailles. Ancien directeur général de l'Agence française de développement (AFD), il a également été président de Proparco, filiale de l’AFD spécialisée dans le financement du secteur privé et censeur d'OSEO.

Auteur de sept livres et de très nombreux articles, Dov ZERAH a enseigné à l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po), à l’ENA, ainsi qu’à l’École des hautes études commerciales de Paris (HEC). Conseiller municipal de Neuilly-sur-Seine de 2008 à 2014, et à nouveau depuis 2020. Administrateur du Consistoire de Paris de 1998 à 2006 et de 2010 à 2018, il en a été le président en 2010.

Voir la bio »

Atlantico :Depuis des années, Israël et l’Arabie saoudite s’entretiennent en secret, laissant planer un certain flou sur la nature de leurs relations. Mais comme d’autres pays du monde arabe, l’Arabie saoudite pourrait bientôt normaliser ses relations avec l’État Hébreu. Est-on vraiment proche d'une officialisation ?

Dov Zerah : Cela fait bientôt trois ans que la perspective d’une normalisation est évoquée. Il est peu vraisemblable que les Émirats arabes unis (EAU) et Bahreïn aient signé les Accords d’Abraham sans accord implicite de l’Arabie saoudite. Elle ne s’est pas jointe car le Roi, SALMAN bin Abdelaziz, était réticent, voire opposé à une telle normalisation sans solution pour les Palestiniens.

Il semble que les lignes aient dernièrement bougé. Mardi, pour la première fois, à l’occasion des championnats du monde des jeux vidéo à Ryad, l’Hatikvah, l’hymne national israélien a été interprété et des drapeaux à l’étoile de David ont été brandis par des membres de la délégation israélienne. Au-delà de l’intérêt intrinsèque de ce rapprochement entre les deux pays, l’Arabie saoudite a besoin d’équilibrer une récente initiative problématique prise par le prince héritier, Mohamad ben SALMAN (MBS).

Sous l’égide des Chinois, les Iraniens et les Saoudiens, après des années d’attaques directes ou indirectes, ont renoué leurs relations diplomatiques ; ce rapprochement a plusieurs significations :

-Compte tenu de leurs relations avec les Iraniens, les Américains n’auraient pas été en mesure d’orchestrer ces retrouvailles. Mais, rien ne nécessitait aux deux parties, et surtout pas aux Saoudiens, de prendre la Chine comme parrain. C’est un indiscutable signe de perte d’influence de l’Oncle Sam au Proche Orient et notamment en Arabie saoudite, son 1er allié dans la région depuis 1943.

-Après huit ans de guerre civile au Yémen et près de 500 000 morts, les Saoudiens soldent leur intervention chez leur voisin. L’impétueux successeur, MBS, a conduit son pays dans une impasse au Yémen, tout comme en Syrie avec ses infructueuses tentatives d’influence. Malgré les milliers de milliards de dollars d’achats de matériels en tous genres, l’armée saoudienne n’est pas en mesure de défendre son pays, ni de s’imposer chez des voisins, sans occulter les crimes de guerre commis au Yémen.

-MBS n’a pas apprécié les propos du candidat Joe BIDEN qualifiant son pays « de paria » à cause de l’assassinat du journaliste américano-saoudien Jamal KHASOGGI ; sa réaction a été de facto de se mettre sous la protection de son puissant voisin et de la Chine.

Mais, il n’est pas sûr que le fougueux héritier ait fait le bon choix. Pour le pétrole et les pétrodollars, les États-Unis et plus généralement l’Occident ont accepté de nombreux travers saoudiens, les effets collatéraux du radicalisme wahhabite, source d’inspiration de Ben LADEN et d’Al Qu’Aïda, les violations des droits de l’homme, l’assassinat sauvage de Jamal KHASOGGI par les nervis de MBS…

En se rapprochant d’Israël, MBS chercherait peut-être un nouveau soutien pour contrebalancer l’encombrant voisin chiite ; dans le même temps, il renouerait avec les Etats-Unis, retour à une sorte de normalité facilitée par les efforts de Joe BIDEN de revenir sur sa déclaration.

L’Arabie saoudite ferait ainsi un exercice d’équilibriste tant entre les deux puissances régionales que les deux super puissances mondiales.

Alors que l’Arabie Saoudite souhaite trouver une solution à la question palestinienne, acquérir des armes et un soutien américain à un programme nucléaire civil, à quel prix cet accord pourrait-il se faire ?

Certes, MBS souhaiterait obtenir un soutien américain à un programme nucléaire civil ainsi que de nouveaux armements dont l’utilité est problématique compte tenu des résultats. Mais depuis plusieurs années.

MBS, tout comme les EAU et Bahreïn, souhaite accéder à la modernité de « la start up nation ». Dans le cadre d’une « Vision 2030 », le prince héritier a engagé une modernisation sociétale et un développement économique tous azimuts avec des projets pharaoniques. MBS souhaite que les Israéliens l’aident à concrétiser son projet.

La conclusion d’un accord israélo-saoudien s’inscrit également dans le cadre d’une stratégie de Joe Biden. Quels pourraient être les enjeux de cet accord pour les États-Unis ?

Depuis le début des années soixante-dix, les Américains cherchent à trouver une solution au problème israélo-arabe, et sont apparus comme les seuls « faiseurs de paix ». Il y a eu Henry KISSINGER avec « la politique des petits pas » qui a produit en 1974 les deux accords de désengagement entre Israël d’une part et l’Égypte et la Syrie d’autre part. Ce fut ensuite le tour de Jimmy CARTER qui a parrainé l’accord de paix entre l’État juif et l’Égypte. Avec « ses paramètres », Bill CLINTON, parrain des Accords d’Oslo et du traité de paix entre la Jordanie et Israël, a failli arriver à un accord fin 2000. Donald TRUMP a promu les Accords d’Abraham… Joe BIDEN s’inscrit dans cette lignée et veut un succès, pour sa page dans l’histoire, sans sous-estimer l’impact sur la future campagne électorale présidentielle.

Alors que Israël est empêtré dans une polémique suite à une opération menée par l'armée israélienne dans le camp de Jénine, éloignant un peu plus tout espoir d'apaisement dans la région, le moment choisi pour la signature d’un accord israélo-saoudien est-il le plus opportun ?

Le Roi, Salman bin Abdelaziz est réticent, voire opposé à une normalisation. Rappelons qu’il avait fait adopter en 2022 par la Ligue arabe une proposition de de paix principalement basée sur un retrait israélien de tous les territoires occupés depuis la guerre des six jours et la création d’un État palestinien sur ces territoires, hors le plateau du Golan.

Mais, les Saoudiens savent que cette solution n’est plus réaliste ne serait-ce que parce que les Américains ont accepté le maintien de trois grands blocs d’implantations, dans le cadre d’un échange de lettres entre le Président BUSH Jr et Ariel SHARON à l’occasion du retrait unilatéral de Gaza.

Par ailleurs, le prince héritier MBS, a eu l’occasion de manifester à Mahmoud ABBAS son insatisfaction, son impatience, face à l’immobilisme du leadership palestinien. La signature des Accords d’Abraham et leur déclinaison à d’autres pays démontrent la solitude des Palestiniens ; la faiblesse des réactions arabes aux opérations sécuritaires israéliennes atteste d’une lassitude, voire d’un abandon, de la cause palestinienne par de plus en plus de pays arabes.

Enfin, n’oublions pas la problématique des lieux saints auxquels la famille royale saoudienne, en concurrence avec la famille royale hachémite, est très sensible. Peut-être qu’à défaut de trouver la solution miracle au problème palestinien, une formule sur les lieux saints, avec l’accord du Roi Abdallah, pourrait constituer un geste appréciable.

Ne sous-estimons pas le risque d’une réaction irrédentiste des Palestiniens. Rejoindre les Accords d’Abraham alors que Jérusalem, tant au gouvernement qu’au parlement, est dirigé par une coalition avec des extrémistes n’est pas le moment le plus opportun. Mais, MBS doit vite contrebalancer l’accord avec les Iraniens sous l’égide chinoise.

La reconnaissance d’Israël par l’Arabie Saoudite pourrait-elle convaincre d’autres États de la région à en faire de même ? Surtout, un accord israélo-saoudien pourrait-il transformer durablement la région ?

Après l’Égypte, la Jordanie, Bahreïn, les EAU, le Maroc et le Soudan, l’Arabie saoudite serait le septième pays de la ligue arabe à mettre fin à l’état de belligérance avec l’État juif. Après avoir accueilli Benjamin NETANYAOU, ouvert son espace aérien aux avions frappés de l’étoile de David, mis fin au boycott économique…, Oman a beaucoup progressé sur la voie de la normalisation, mais celle-ci reste encore conditionnée à des avancées vis-à-vis des Palestiniens.

Qu’en sera-t-il des quatorze autres membres de la Ligue qui n’ont aucune relation avec Israël : Algérie (dont l’opposition à Israël semble irréductible, malgré de nombreux contacts secrets), les îles Comores, Djibouti, Irak (dont la situation intérieure et l’influence pesante de l’Iran ne permettent aucune initiative de cette nature), Koweït (qui serait selon les autorités « le dernier pays à normaliser ses relations avec Israël »), Liban (après avoir signé un accord sur la frontière maritime, le pays au Cèdre ne pourra aller plus loin ne serait-ce à cause de l’influence du Hezbollah sur le pays), Libye (comme pour l’Irak, la situation intérieure ne permet aucune initiative de cette nature), Mauritanie, Qatar (soutien des frères musulmans et du Hamas, il n’envisage aucune normalisation mais les liens avec Israël sont très importants et permettent la survie de la bande de Gaza, Somalie, Syrie (les autorités sont plus préoccupés par la restauration du pays que par des initiatives diplomatiques), Tunisie (dont les déclarations caricaturales du président Kaïs SAÏED ne laissent présager aucune évolution) et Yémen (bloqué par la présence iranienne), sans qu’il soit nécessaire d’insister sur la position de la Palestine.

Quel que soit le prochain candidat à la normalisation avec Jérusalem, tout accord avec la Mecque constituerait un symbole très fort et une inflexion radicale, comme la paix entre l’Égypte et Israël, entre la ligue arabe et Israël.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !