Vente des "bijoux de famille" immobiliers : les Espagnols sont-ils en mode rationalisation de leur patrimoine ou en mode panique financière ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L'Espagne s'enfonce chaque jour un peu plus dans la récession, avec plus de 200 000 expulsions immobilières en 2012.
L'Espagne s'enfonce chaque jour un peu plus dans la récession, avec plus de 200 000 expulsions immobilières en 2012.
©Reuters

Tout doit disparaître

L'Etat espagnol a décidé de se séparer d'un quart de son patrimoine national pour tenter de résorber son déficit béant.

Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Bœuf est administrateur général. Auteur de nombreux ouvrages, son dernier livre : les très riches heures des territoires (2019), aux éditions Population et avenir. Il est actuellement directeur général des services du conseil départemental de la Drôme (26)

 

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Dire que l'Espagne est en difficulté financière relève de l’euphémisme. Gravement touchée par les conséquences de la crise financière de 2008 à laquelle s’est ajoutée la crise immobilière, l’Espagne s’enfonce chaque jour un peu plus dans la récession, avec plus de 200 000 expulsions immobilières en 2012.

La folie des grandeurs

Il est vrai qu’un vent de folie immobilière a soufflé sur l’Espagne de la fin des années 1990 à la crise de 2008. Les mises en chantier annuelles de logement faisaient tout bonnement partie des plus importantes de l’Union européenne. L’économie du BTP tournait à plein et les investisseurs – tant nationaux que les touristes – achetaient massivement et s’endettaient tout autant. Le retournement consécutif à la crise financière de 2008 a été brutal et le réveil particulièrement douloureux. Aujourd’hui, il n’est plus question de simples ajustements conjoncturels avec un déficit budgétaire annuel de plus de 70 milliards d’euros, soit près de 8% de son PIB. L’Espagne doit impérativement trouver des solutions draconiennes pour le réduire et permettre de stabiliser dans un premier temps, puis de réduire sa dette publique qui représente plus de 90 % de son PIB.

L’auberge espagnole

Parmi les solutions préconisées par le gouvernement Rajoy, figure la mise en vente d’une partie du patrimoine public. Ce dernier est significatif puisqu’il représente près de 16 000 biens immobiliers actuellement propriété de l'Etat espagnol. Mais cet ensemble est très hétéroclite puisqu’il comporte des parcs naturels, des palais, des édifices historiques, mais également des terrains industriels, des lotissements non achevés, des milliers d’hectares de terres et des quartiers entiers. Jusqu’ici, le gouvernement espagnol ne souhaitait pas toucher à cet ensemble très disparate. Mais aujourd'hui, les grandes difficultés budgétaires sont telles que l’Etat espagnol en est réduit non seulement à opérer des coupes drastiques dans les dépenses de santé ou d'éducation mais à tailler dans son patrimoine. Au total, près du tiers des biens de l'Etat pourraient être mis en vente et leur vente pourrait rapporter 40 milliards d'euros en trois ans. Mais il s’agit selon les économistes d’une estimation très optimiste ; et ce pour deux raisons : d’une part, les experts gouvernementaux ont vraisemblablement surévalué le chiffre global et d’autre part, c’est une évidence, les prix sont dramatiquement orientés à la baisse.

L'Espagne au bord de la crise de nerfs

Cette solution annoncée à grands renforts de publicité ne saurait permettre de résoudre la situation budgétaire. Tout d’abord, avec un PIB représentant un peu plus de 1.000 milliards d’euros, la vente au prix le plus optimiste étalée sur 3 ans ne rapporterait que l’équivalent de 1,5 point de PIB, soit près de six fois moins que le montant nécessaire pour le résorber.

Ensuite, cette question va rouvir le débat sur le dilemme entre les ressources à trouver et la protection de l'environnement, avec en toile de fond la polémique de la loi sur le littoral. Cette dernière, déjà très peu respectée va être encore assouplie alors que le gouvernement vient de renoncer à faire détruire les plus de 100.000 logements illégaux au regard de la loi sur le littoral.

Enfin, il n’est pas à exclure un réveil des consciences espagnoles de ce qui peut apparaître comme un bradage des « bijoux de la couronne ». L’acquisition de parcs de grande surface fait peut être saliver les investisseurs étrangers russes ou allemands, mais à quel prix… En France, le gouvernement avait dû renoncer à la vente de l’hôtel de la Marine, lieu symbolique donnant sur la place de la Concorde, devant le tollé provoqué par l’abandon d’un monument ô combien symbolique de l’imaginaire national. Il est bien loin le temps de l’édit de Moulins sur l’inaliénabilité du royaume…

En définitive, cette mesure peut s’avérer cependant salutaire. Mais pour être pleinement efficace, elle doit être certainement revue quant à son périmètre afin de ne pas mettre en péril l’environnement du littoral espagnol et, surtout, combinée à d'autres efforts de redressement des comptes publics. Si jusqu’ici le Fonds monétaire international (FMI) réaffirme à satiété n'avoir aucun projet d'assistance financière pour l'Espagne, il n’en appelle pas moins le gouvernement espagnol à poursuivre ses efforts de redressement des comptes publics et de l'économie. Comme toujours en politique, les mesures symboliques sont nécessaires pour rétablir la confiance. Mais elles ne doivent pas se retourner contre celui qui les prend au risque de saper encore un peu plus la confiance des citoyens en leur gouvernement.

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