Vente d’avions Rafale au Qatar : pourquoi l’enjeu de la transaction dépasse largement les avions<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Rafale joyau de l'armée française
Le Rafale joyau de l'armée française
©Reuters

Dessous des cartes

Derrière le contrat annoncé pour la vente de 24 avions Rafale au Qatar se cache un besoin militaire et géopolitique de l'acheteur mais aussi un intérêt économique du vendeur. Un accord gagnant-gagnant qui cache des réalités insoupçonnées.

Jean-Bernard Pinatel

Jean-Bernard Pinatel

Général (2S) et dirigeant d'entreprise, Jean-Bernard Pinatel est un expert reconnu des questions géopolitiques et d'intelligence économique.

Il est l'auteur de Carnet de Guerres et de crises, paru aux éditions Lavauzelle en 2014. En mai 2017, il a publié le livre Histoire de l'Islam radical et de ceux qui s'en servent, (éditions Lavauzelle). 

Il anime aussi le blog : www.geopolitique-géostratégie.fr

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Roland Lombardi

Roland Lombardi

Roland Lombardi est consultant et Directeur général du CEMO – Centre des Études du Moyen-Orient. Docteur en Histoire, géopolitologue, il est spécialiste du Moyen-Orient, des relations internationales et des questions de sécurité et de défense.

Il est chargé de cours au DEMO – Département des Études du Moyen-Orient – d’Aix Marseille Université et enseigne la géopolitique à la Business School de La Rochelle.

Il est le rédacteur en chef du webmedia Le Dialogue. Il est régulièrement sollicité par les médias du Moyen-Orient. Il est également chroniqueur international pour Al Ain.

Il est l’auteur de nombreux articles académiques de référence notamment :

« Israël et la nouvelle donne géopolitique au Moyen-Orient : quelles nouvelles menaces et quelles perspectives ? » in Enjeux géostratégiques au Moyen-Orient, Études Internationales, HEI - Université de Laval (Canada), VOLUME XLVII, Nos 2-3, Avril 2017, « Crise du Qatar : et si les véritables raisons étaient ailleurs ? », Les Cahiers de l'Orient, vol. 128, no. 4, 2017, « L'Égypte de Sissi : recul ou reconquête régionale ? » (p.158), in La Méditerranée stratégique – Laboratoire de la mondialisation, Revue de la Défense Nationale, Été 2019, n°822 sous la direction de Pascal Ausseur et Pierre Razoux, « Ambitions égyptiennes et israéliennes en Méditerranée orientale », Revue Conflits, N° 31, janvier-février 2021 et « Les errances de la politique de la France en Libye », Confluences Méditerranée, vol. 118, no. 3, 2021, pp. 89-104.

Il est l'auteur d'Israël au secours de l'Algérie française, l'État hébreu et la guerre d'Algérie : 1954-1962 (Éditions Prolégomènes, 2009, réédité en 2015, 146 p.).

Co-auteur de La guerre d'Algérie revisitée. Nouvelles générations, nouveaux regards. Sous la direction d'Aïssa Kadri, Moula Bouaziz et Tramor Quemeneur, aux éditions Karthala, Février 2015, Gaz naturel, la nouvelle donne, Frédéric Encel (dir.), Paris, PUF, Février 2016, Grands reporters, au cœur des conflits, avec Emmanuel Razavi, Bold, 2021 et La géopolitique au défi de l’islamisme, Éric Denécé et Alexandre Del Valle (dir.), Ellipses, Février 2022.

Il a dirigé, pour la revue Orients Stratégiques, l’ouvrage collectif : Le Golfe persique, Nœud gordien d’une zone en conflictualité permanente, aux éditions L’Harmattan, janvier 2020. 

Ses derniers ouvrages : Les Trente Honteuses, la fin de l'influence française dans le monde arabo-musulman (VA Éditions, Janvier 2020) - Préface d'Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement et de sécurité de la DGSE, Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020), Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021), Abdel Fattah al-Sissi, le Bonaparte égyptien ? (VA Éditions, 2023)

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Atlantico : Après l’Egypte, qui a commandé 24 Rafale en février, et l’Inde, qui en a commandé 34 en avril, le Qatar a décidé d’acheter 24 appareils pour un montant de 6,3 milliards d’euros. Le Qatar investit-il que pour des raisons techniques ? Est-ce réellement le meilleur avion de combat ?

Jean-Bernard Pinatel : Situons le Rafale parmi ses concurrents actuels ou en devenir. Il appartient à la génération 4++ ou 4,5 des avions de combat, mise en service au début du XXIème siècle. Les avions de cette génération sont supérieurs en performances à la quatrième génération (celle des mirages 2000, du Tornado et des F-14, F-15, F-16) et ont des capacités proches de celles de la cinquième génération[1] en devenir et dont le fleuron sera le F-35 américain qui ne sera mis en service qu’à partir de 2016 et on sait que les américains équipent d’abord leur armée en premier et hésitent à exporter un matériel nouveauSur le plan technique le Rafale est donc aujourd’hui un des meilleurs avions multi-rôle dans le monde.

Pour le Qatar, il possède sur ses concurrents deux autres avantages.

Le Qatar est un client habituel de la France et de Dassault. Son armée de l’Air est équipée de 15 Mirage 2000. L’armée de l’air française va retirer ce type d’avion du service à partir de 2018. Il y a donc bien au Qatar un besoin de modernisation de son armée de l’air. Par ailleurs, les pilotes qataris ont été engagés en Libye aux cotés des Rafales français et ont pu mesurer concrètement sur le terrain ses performances.

Roland Lombardi : Même s'il est déjà "ancien" (sa confection initiale date des années 1990-2000) le Rafale reste à la pointe de la technologie et est toujours considérés par les spécialistes comme un des meilleurs avions de combat actuels. Il est important de rappeler que notamment lors des derniers exercices militaires aériens comme le Red Flag aux États-Unis et qui opposent entre eux des appareils des nations alliées, le Rafale a toujours tenu la dragée haute à des chasseurs ultra-modernes comme le F22 Raptor américain. Polyvalent, il a par ailleurs démontré son efficacité ces dernières années, en situation réelle, en Afghanistan, en Libye, au Mali et aujourd'hui en Irak. Son prix reste d'ailleurs très élevé mais à présent quasi égal à celui des avions de chasse de nouvelle génération comme par exemple encore les F35 et F22 américains. Alors pour un prix similaire, le Rafale permet aux pays qui en deviennent acquéreurs de diversifier aussi leurs fournisseurs.

Pourquoi acheter ces avions de combat à la France en particulier, il a un concurrent européen l’eurofighter de même catégorie? Y-a-t-il des raisons géopolitiques ou diplomatiques ?

Jean-Bernard Pinatel : Il y a toujours ce type de raison derrière le choix d’acheter un système d’armes. La France apparaît comme un allié fiable et offrant au moins autant de garanties que les Etats-Unis.

En effet, la péninsule arabique est aujourd’hui très déstabilisée et tous les régimes sunnites sont inquiets. Ils sont menacés à leurs frontières et n’ont pas confiance dans une grande partie de leurs habitants.  Les qataris comme les saoudiens ont joué en 2011 les apprentis sorciers. Ils ont appuyé et financé les révolutionnaires syriens en sous-estimant, comme François Hollande d’ailleurs, la capacité de résistance du régime syrien. Trois ans plus tard, les révolutionnaires ont été tués ou se sont ralliés à l’Etat Islamique (Daech) qui occupe désormais le Nord de la Syrie et 4 gouvernorats irakiens dont celui d’Al-Anbar qui possède  420 km de frontière avec l’Arabie Saoudite. Ces monarchies sont fragiles. La population d’origine étrangère qui habite dans ces pays est très nombreuse. Ainsi 50% des habitants du Qatar sont des étrangers[2]. Les chiites de Bahrein et d’Arabie Saoudite s’agitent. Les Huttis, affiliés au chiites, et qui représentent 40% de la population yéménite se sont emparés de tout l’Ouest du Yémen et de ses principales villes  Yémen et leur zone d’implantation traditionnelle au Nord Yémen déborde sur l’Arabie saoudite.

Par ailleurs, les saoudiens comme les qataris craignent un lâchage américain. Les Etats-Unis vont devenir prochainement autonomes en pétrole et gaz grâce au pétrole et gaz de schiste. Ils viennent de signer un accord préliminaire sur le nucléaire iranien.  Les monarchies du Golfe n’ont pas oublié qu’avant la chute du Shah, les Etats-Unis étaient le premier partenaire  de l’Iran. Or la France est le seul pays européen qui a encore une armée opérationnelle et qui n’hésite pas à s’engager en méditerranée, au Sahel et au Moyen-Orient.

Roland Lombardi : Les ventes d'armes entre États ont toujours une connotation politique voire géopolitique. L'acquisition des Rafale a aussi une dimension à la fois symbolique et surtout politique comme lorsque l’Égypte de Sissi a signé avec la France il y a quelques mois un contrat de 5 milliards d'euros d'armes et d'équipements dont les fameux 24 Rafale.

Ainsi, Sissi, en bon pragmatique et sachant que la diplomatie française est écartelée entre les grands principes et le grand business, avait choisi l'avion français, à la surprise de tous et en un temps record, pour "acheter" en quelque sorte le silence et pourquoi pas l'appui (ou du moins la collaboration) de Paris dans ses affaires intérieures (terrorisme). En effet, le président égyptien possédait déjà le soutien diplomatique des quatre membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU à savoir les USA, la Russie, la Chine et le Royaume Uni. Sissi a donc eu du nez : Avec le très bon contrat signé avec la France, les accusations et les condamnations officielles de certains responsables français, toujours enclins aux grandes déclarations iréniques sur les Droits de l'homme (notamment sur la répression brutale du nouveau régime égyptien envers les Frères musulmans et les opposants politiques issus du printemps du Nil) se sont depuis faites beaucoup plus rares...
Pour le Qatar dont la stratégie régionale est un fiasco depuis quatre ans, il s'agit aussi de revenir en odeur de sainteté auprès de Paris.
En effet, après les attentats de janvier dernier, les questions notamment sur le financement occulte du terrorisme par Doha, de nombreuses voix en France se sont lever pour remettre en cause les relations jugées trop étroites et trop dangereuses pour certains, entre Paris et Doha.
D'autant plus que depuis l'arrivée en 2012 de Hollande et des socialistes au pouvoir, ces derniers ont dès lors été de plus en plus réservés quant à la politique catastrophique du Qatar (soutien des Frères musulmans en Égypte et des milices djihadistes au Mali mais aussi en Syrie, en Irak et en Libye...). Aussi, la France s'était quelque peu détournée de son "allié" devenu encombrant et considéré comme peu fiable, pour alors se tourner de plus en plus vers l'Arabie saoudite (et de l’Égypte avec justement la vente du Rafale), grand rival de ce même Qatar... 

Le problème de la France, et ce qui est très grave de par sa propre géopolitique, c'est qu'elle n'a pas de politique claire et sérieuse en Méditerranée et encore moins au Moyen-Orient, à l'inverse par exemple de la Russie (ce qui d'ailleurs ne l'empêche pas elle aussi de faire de bonnes affaires). Avec une diplomatie de l'émotionnel, négligeant les intérêts sécuritaires de la France dans la région, nous avons eu les erreurs d'analyses et de positions désastreuses sur les évènements qui ont touché le monde arabe depuis quatre ans.
Avec cette vente des Rafale au Qatar et cette "diplomatie économique", le risque est alors de voir encore les dirigeants français fermer les yeux sur certains dossiers cruciaux et sensibles auxquels la France est confrontée comme en premier lieu le financement du terrorisme international ou encorele financement de certaines associations douteuses et d'obscurs organismes présents sur le territoire français...

Quel intérêt a le Qatar à s'équiper d'avions Rafale ? Compte-t-il vraiment les utiliser ? Doit-il répondre à une menace ?

Roland Lombardi : Bien sûr le Qatar envisage l'achat des Rafale pour renouveler ses avions de combat vieillissants notamment sa dizaine de Mirage 2000, surtout que les tensions régionales sont de plus en plus fortes. Il lui faut aussi "impressionner" ses principaux rivaux dans la zone, à savoir l'Arabie saoudite mais aussi et surtout l'Iran qui est, après Israël, la seconde puissance conventionnelle de la région et qui est très proche géographiquement du petit émirat.
Le Qatar utilisera peut-être ces appareils dans de futures coalitions sunnites (comme au Yémen aujourd'hui) mais il semble évident qu'il ne se hasardera jamais à utiliser seul la force. Les Rafale qataris seront plus dissuasifs qu'autre chose... mais honnêtement ce ne seront pas les 24 Rafale qataris qui empêcheront un éventuel raid aérien ou des missiles iraniens de frapper Doha...

D’autres accords peuvent-ils se cacher derrière ce contrat ?

Jean-Bernard Pinatel : Je n’en sais rien mais les qataris en achetant des Rafales obligent en quelque sorte la France. S’ils étaient directement menacés, à défaut d’accord de défense écrit, nous aurions une obligation morale d’aller les aider.

Roland Lombardi : Oui, bien sûr. Il y a d'abord la formation d'une trentaine de pilotes et d'une centaine de mécaniciens qataris dont le coût ne fait pas partie des 6,3 milliards d'euros du contrat. Il y a aussi tout l'armement du Rafale comme le futur missile air-air Météor...Mais on parle aussi de futurs achats par l'émirat d'hélicoptères de combat et de transport, de véhicules blindés Aravis ou encore des corvettes Gowind... Enfin, le missilier MBDA a de bonnes chances d'équiper les forces armées qataris dans le domaine de la défense anti-aérienne.

[1] Interfaces homme-machine, informatisation presque totale, conçus pour les opérations en réseau, ils ont des caractéristiques destinées à réduire leur signature radar, sont presque tous multi rôles et multi missions, par tout temps, de jour comme de nuit. Les Sukhoi SU-33 et SU-35 (Russe), le F-18 Super Hornet (de l’US Navy), l’Eurofighter-Typhoon répondent à ces spécifications.

[2] 18% d’indiens ; 18% de Pakistanais ; 10% d’Iraniens, etc..

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