Vaut-il mieux aujourd'hui naître riche ou intelligent ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Les enfants qui naissent dans des foyers riches ont plus de chances de réussir que les enfants intelligents.
Les enfants qui naissent dans des foyers riches ont plus de chances de réussir que les enfants intelligents.
©Reuters

Tu préfères quoi ?

Une étude du think tank américain "Brookings Institute" intitulée "The Glass Floor" (le plafond de verre) semble montrer que les enfants qui naissent dans des foyers riches ont plus de chances de réussir que les enfants intelligents.

Atlantico : Dans quelle mesure cette donnée est-elle applicable à la France ?

Marie Duru-Bellat : Cela dépend de comment on mesure l'intelligence car les Américains sont beaucoup plus focalisés que nous sur les tests. Néanmoins, il y a une étude intéressante évoqué par Branko Milanovic, chef-économiste à la Banque mondiale, en 2009. Environ 80% des inégalités de revenus s'expliquent, à l'échelle de la planète, par le pays d'origine et le milieu social où l'on grandit. Le reste s'explique par la chance, la conjoncture et le mérite.

Ce qu'on sait c'est que le diplôme que l'on va obtenir est statistiquement lié à l'origine sociale. On voit des inégalités sociales dès le plus jeune âge. Mais l'enfant de 4 ou 5 ans qui a du mal à apprendre à lire n'a pas moins de mérite qu'un autre. La méritocratie, telle qu'on se la représente dans les pays anglo-saxons, ne marche donc pas. Par conséquent, un pays qui donne beaucoup de poids à la réussite scolaire va entériner ces inégalités.

Nicolas Goetzmann : La recherche effectuée par le Brookings Institute est consacrée à la mobilité sociale. Elle met en évidence une mobilité sociale plutôt fluide en dehors des deux extrêmes du spectre. A savoir, la propension pour les enfants des catégories les moins favorisées à rester dans cette même catégorie, et la propension des enfants les plus favorisés à conserver le niveau de revenus de leurs parents. Ce qui peut apparaître comme nouveau dans cette étude est la volonté de déchiffrer les causes de la reproduction des hauts revenus et l’absence de « déclassement » même lorsqu’un tel phénomène pouvait paraître prévisible, c’est-à-dire lorsque les résultats des tests effectués sur ces enfants ne justifient pas la conservation des hauts revenus. L’étude ne prend pas en compte les patrimoines et ne s’attachent qu’à l’étude des revenus.

Et le Brookings met en évidence le fait qu’une importante proportion (43%) des enfants de parents à hauts revenus conserve ce même niveau alors que les tests suggéraient le déclassement. La principale cause de cette rigidité est l’obtention d’un diplôme de l’enseignement supérieur, qui devient une sorte d’assurance. Le Brookings met ici en cause la sélection des élèves, et évoque le fait que 250 000 élèves ne méritent leurs places alors que 400 000 jeunes avaient les capacités requises mais restaient à l’écart.

Le même phénomène est évidemment à l’œuvre en France, 60% des enfants d’ouvriers non qualifiés ont un diplôme inférieur au Bac ou pas de diplôme du tout, contre 13% pour les enfants de cadre. A l’inverse, 41% des enfants de cadre ont un diplôme bac +5 contre 4% pour les enfants d’ouvriers non qualifiés (données Insee). Il est important de rappeler que la France, l’Italie, et les Etats-Unis sont les moins bien notés concernant la mobilité sociale, la comparaison est alors possible.

Est-ce une nouvelle illustration de la panne de l'ascenseur social dans nos sociétés occidentales ? A quoi cela est-il dû ?

Marie Duru-Bellat : L'ascenseur social, l'idée que l'on peut monter dans la hiérarchie grâce à ses efforts, est une notion qui était vraie durant les 30 glorieuses parce qu'il y avait à l'époque un appel d'air dans les emplois qualifiés. Mais cet ascenseur suppose qu'il y ait des places au-dessus et dans le contexte actuel, ce n'est plus le cas.

Bien sûr, il y a toujours des mouvements de mobilité mais le contexte a beaucoup changé : le marché de l'emploi n'est plus le même, le rapport entre diplômé et emploi est différent. Il y avait à peine 20% de bacheliers dans les années 1970 et à ces 20% correspondaient des emplois de cadre qui était en pleine croissance. Le rapport de force numérique s'est totalement inversé.

Nicolas Goetzmann : Je ne le crois pas. Le problème du traitement de la mobilité sociale sans considération macroéconomique ne permet pas réellement de se faire une idée du niveau de vie. La mobilité sociale doit être fluide, mais l’essentiel est de permettre aux plus défavorisés d’augmenter leur niveau de vie. On ne peut pas se réjouir de voir sortir les plus pauvres de leur condition tout en constatant que d’autres prendre leur place. On ne peut que se réjouir de voir une mobilité réelle et un niveau de vie général en hausse. C’est un peu le piège de ce type d’études qui ont tendance à rater leur cible réelle ; la lutte contre la pauvreté.

La meilleure arme pour lutter contre ce phénomène c’est la croissance, cela ne fait aucun doute. La hausse des revenus des plus fragiles dépend à 75% de la croissance. La stagnation économique est ainsi un puissant mécanisme d’arrêt de l’ascenseur social, comme nous pouvons le constater aujourd’hui.

Cela remet-il en cause le fondement d'une société basée sur la méritocratie ? En juin, Ben Bernanke, président de la Réserve fédérale des États-Unis, a lui-même remis en question l'idée que la méritocratie est le système le plus juste qu'il soit...

Marie Duru-Bellat : Il y a deux problèmes. D'une part, on ne sait pas vraiment ce qu'est le mérite. D'autre part, il n'y a pas vraiment d'alternative à la méritocratie. La méritocratie, c'est pratique, c'est moderne. C'est toujours mieux que les castes. Le souci, en France, c'est que tout se joue sur les bancs de l'école. On a très peu de chances après. La formation continue est indigente. C'est ce que montre l'enquête Pisa : tant qu'on aura un niveau important d'élèves très faibles, la méritocratie ne pourra pas fonctionner car ces gens-là auront du mal à se mettre à d'autres formations. D'ailleurs, en France, les formations sont majoritairement suivies par des cadres.

A l'inverse, il y a des pays comme l'Allemagne où il existe des possibilités d'évolution liées à l'organisation même du travail. C'est l'image d'Epinal de l'ouvrier allemand qui devient ingénieur. Ce n'est pas impossible en France mais il y a plus d'obstacles.

Nicolas Goetzmann : Le discours de Princeton de Ben Bernanke avait pour but de faire prendre conscience aux étudiants qui étaient face à lui, de la chance qu’ils avaient. Leur chance d’être nés avec des capacités et d’avoir eu l’opportunité de développer ces capacités. Ce discours est en ce sens un rappel de ce qu’est la déclaration d’indépendance, « tous les hommes sont créés égaux », c’est-à-dire ce qui est le plus grand achèvement ; une construction politique dirigée vers l’égalité des droits appliquée à une réalité pourtant beaucoup moins éprise de justice.

« Mais égal dans un sens absolu ? Pensez-y. Une méritocratie est un système dans lequel les personnes les plus chanceuses, dans leur santé et dans leurs gênes, les plus chanceuses en termes de support familial, d’encouragements, et probablement, de revenus, chanceuses dans leur éducation et d’opportunités de carrière… sont les personnes qui sont le plus récompensées. Le seul moyen, même pour une méritocratie supposée, d’être éthique et juste, est que ceux qui sont les plus chanceux ont aussi la plus grande responsabilité de travailler dur, de contribuer à l’amélioration du monde, et de partager cette chance avec les autres ». Il n’y a pas grand-chose à ajouter aux mots de Bernanke.

Peut-on considérer que la France, comme d'autres sociétés occidentales, devient peu à peu une société de rentiers ?

Marie Duru-Bellat : Il y a des tendances lourdes et c'est ce qu'a très bien mis en lumière Thomas Piketty : comme la croissance devient plus faible, on ne peut plus s'enrichir comme on l'a fait durant les années 1970. Il faut donc d'autres moyens. Mais nous ne sommes pas revenus à une société de gros rentiers oisifs, qui vivent de leurs émoluments. Si rentiers il y a aujourd'hui, ce sont des rentiers moyens, qui peuvent se payer un appartement mais doivent quand même travailler.

Nicolas Goetzmann : Il y a ici une différence avec le rapport Brookings qui ne s’attachent qu’aux revenus. Car une société de rentier est une société de patrimoine et de protection du patrimoine. C’est effectivement la société dans laquelle nous sommes aujourd’hui, car, et cela est rarement perçu, une économie basée sur la stabilité des prix est une économie patrimoniale. La croissance est ici mise au second rang derrière la stabilité des prix. Nous en ressentons les effets depuis l’avènement de la grande récession de 2008, car l’ensemble du poids de la récession est porté par le marché du travail et non partagé entre le patrimoine et le travail. C’est une économie à sens unique, qui est l’exact inverse de ce que nos sociétés prônent. Elle n’a d’ailleurs que peu de justification économique, et seule l’Europe ne l’a pas encore compris. Puisque nous parlons des Etats-Unis, nous pouvons rappeler que la Réserve Fédérale américaine, se rendant compte des effets de la politique menée précédemment, a fait de l’emploi sa priorité absolue. Nous attendons toujours que la lumière arrive jusqu’à Francfort, au siège de la Banque centrale européenne. Ce qui n’arrivera que si les dirigeants européens comprennent ce qui est en train de se passer sous leurs yeux.

Le Brookings Institute met en lumière le fait que, de plus en plus, les enfants riches sont les enfants intelligents. Cette idée est-elle juste ? Comment y remédier ?   

Marie Duru-Bellat : Notre système est très rigide. Évidemment, dans les milieux aisés, on va encourager les enfants à réussir. C'est l'objectif de tous les parents : on pousse les enfants à ce qu'ils aient au moins le même niveau social que les parents, voire un tout petit peu plus. Et quand on part d'en bas, le point d'arrivée est forcément moins haut. 

Nicolas Goetzmann : C’est ce que Bernanke rappelait dans son discours en parlant des « gênes ». L’étude Brookings établit que les résultats aux tests sont supérieurs à la moyenne pour 60% des enfants issus des milieux les plus favorisés, alors qu’ils sont inférieurs à la moyenne pour 60% des classes les moins favorisées, et ce dès l’âge de 3-4 ans. Alors soit on en reste au constat et on ne fait rien, soit on met en place des politiques de haut niveau éducatif dès le bas âge pour réduire les écarts, en poussant vers le haut, et non pas en essayant d’abaisser le niveau des premiers. Car ce que nous confirme le Brookings, c’est que l’écart prend place très tôt, ensuite la tendance est stable. Il est donc primordial de prendre en compte le fait que le plus grand apport éducatif est à donner aux plus petits.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !