Vanessa, Justin, Miley, Jean-Jacques et les Beatles, même combat : pourquoi aimons-nous tant détester les stars que nous finissons par vénérer ? Part. 1 : les mécanismes psychologiques à l’œuvre<!-- --> | Atlantico.fr
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Miley Cyrus.
Miley Cyrus.
©REUTERS/Steve Marcus

Je t'aime, moi non plus

Les stars, on les aime ou on les déteste, parfois les deux à la fois. La différence entre les deux phénomènes est parfois ténue et la chose est bien loin d'être nouvelle.

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet est psychiatre, ancien Chef de Clinique à l’Hôpital Sainte-Anne et Directeur d’enseignement à l’Université Paris V.

Ses recherches portent essentiellement sur l'attention, la douleur, et dernièrement, la différence des sexes.

Ses travaux l'ont mené à écrire deux livres (L'attention, PUF; Sex aequo, le quiproquo des sexes, Albin Michel) et de nombreux articles dans des revues scientifiques. En 2018, il a publié le livre L'amour à l'épreuve du temps (Albin-Michel).

 

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Atlantico : En 1963, un sondage réalisé parmi les auditeurs de la BBC rapporte que 31 % des spectateurs d'un concert des Beatles leur auraient mis un C s'ils avaient dû évaluer la représentation. Pis, des fans de pop s'étaient plaint à l'époque que "leur chant était bruyant, dur, peu mélodieux, et que leur choix de musique manquait de variété ". Comment expliquer que les Beatles soit un groupe vénéré aujourd'hui alors que leur succès à l'époque était relatif ?

Jean-Paul Mialet: N’allons pas si vite. Leur succès s’est vite avéré complet et la Beatlemania a commencé à envahir la Grande-Bretagne dès la fin de l’année 1963, avant de se répandre sur la planète entre 1963 et 1970. Je suis surpris qu’à cette époque, il y ait eu encore tant de critiques. Mais il est clair que dans ses débuts, un groupe appelé à la célébrité doit s’attendre à des difficultés. Car pour être célèbre, il faut apporter quelque chose de nouveau, et la nouveauté est toujours au départ, mal acceptée.

>>> Lire la partie 2 de la série : comment se forment nos goûts <<<

Vanessa Paradis dans les années 1990, Miley Cyrus ou Justin Bieber aujourd'hui, toutes ces stars ont comme point commun d'avoir transgressé les codes en arrivant sur le devant de la scène. Pourquoi détestons-nous à ce point ce qui change ? Comment expliquer alors que nous finissions par les vénérer ? Est-ce parce qu'on juge - par habitude - trop vite ou est-ce vraiment ces stars qui nous convainquent ?

Puisque tous ces chanteurs sont aujourd’hui des stars, nous ne détestons pas véritablement la nouveauté et même nous la désirons. Le changement nous réveille. Mais, là où tout se complique, c’est que nous aimons également dormir. Ou plutôt, nos goûts se sont faits à un certain type de production musicale (et plus généralement artistique). Les véritables innovations, celles qui rompent avec les codes établis, sont rares et dérangeantes au début. Puis, elles forment un goût nouveau qui se nourrit des productions de ceux qui suivent, avant une nouvelle innovation. Dans les sciences, on parlerait de « changement de paradigme ». La grande célébrité, celle qui qualifie une forme de génie, n’appartient qu’à ceux qui ont été radicalement innovant, et non simplement marginalement. Innovant ne veut dire provocant mais créatif, c’est-à-dire neuf, jamais réalisé jusque-là (De ce point de vue, les Fab Four ont fait preuve d’une inspiration exceptionnelle, ouvrant la porte à de nombreux courants musicaux qui s’exprimeront ultérieurement.) Or, la création est le fait des dieux : les modestes humains se bornent à vivre dans le monde que leur ont fabriqué les dieux. Voilà pourquoi nous vénérons ce qui nous créent un univers nouveau. Je ne crois pas qu’il soit question d’être convaincu par des stars qui seraient des produits du hasard, ou de simples produits de marketing. Ceux que nous vénérons durablement sont des étoiles qui ont changé notre ciel. Ils nous enchantent car ils élargissent notre espace de jeu. Nous sentons que notre imagination est naine par rapport à la leur et n’aurait jamais pu inventer de nouvelles règles de jeu comme ils l’ont fait.

La passion que l'on ressent pour les stars – de la haine à l'amour et inversement – est-elle le signe d'une identification à elles ? Les comportements que nous adoptons envers les stars sont-ils représentatifs de nos réactions en société ? Peut-on détester ou vénérer une star comme on le ferait avec l'un de nos proches ou l'un de nos "ennemis" ?

Il faudrait sans doute apporter ici un éclaircissement. On n’est pas star qu’à cause d’une œuvre. Les Beatles étaient un groupe rock de génie ; John, Ringo, Paul et Georges furent des stars. La star est une personne humaine divinisée. Une étoile qui brille dans notre ciel pas nécessairement en raison de son génie mais parce qu’il nous faut des étoiles pour échapper à notre condition et rêver à une autre vie : elle a une existence que nous idéalisons et nous lui attribuons toutes les libertés que nous n’avons pas. Ce n’est pas simplement quelqu’un qui chante mieux que nous ou dont le physique est plus attirant : c’est quelqu’un qui possède tout ce dont nous rêvons. Donc oui, nous identifions à la star, ou plutôt nous faisons de la star celle qui est parvenue à accomplir tous nos rêves, celle qui a su transformer son existence en une vie de rêve qui nous fascine… Cet accomplissement, ce saut hors de l’ordinaire provoque notre admiration. Il peut même être à l’origine d’une forme d’amour passionnel car il y a des résidus de l’enfance dans ce besoin de vénérer plus grand que soi en lui attribuant tous les pouvoirs. Hélas, quand les dieux nous déçoivent nous les faisons choir de notre ciel pour les envoyer en enfer : à la divinisation succède la diabolisation. Une chanteuse célèbre de comptines enfantines en a fait l’amère expérience. Nos réactions en société sont en principe moins passionnelles. Pas de doute, nos amis, nos collègues de bureau sont des humains comme les autres ; ils vivent à peu près la même vie que nous et ne nous font pas rêver. Les relations amoureuses, toutefois, ne sont jamais ordinaires ; nos partenaires affectifs n’échappent pas à une forme d’idéalisation qui peut se retourner en détestation. Enfin, certains tempéraments, peut être en raison de cicatrices de l’enfance, éprouvent le besoin de vénérer les uns et de détester les autres, ceux qu’ils ne vénèrent pas, sans parvenir à établir des relations de plain-pied, loin de l’admiration et de la détestation.

Propos recueillis par Marianne Murat

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