#VALP: Marine Le Pen et Gérald Darmanin, grands enjeux, petit débat<!-- --> | Atlantico.fr
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Vous avez la parole Gérald Darmanin Marine Le Pen projet de loi séparatisme débat France 2
Vous avez la parole Gérald Darmanin Marine Le Pen projet de loi séparatisme débat France 2
©STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Tout ça pour ça

Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, était l'invité de l'émission de France 2 "Vous avez la parole" jeudi soir à l'occasion des débats à l'Assemblée nationale sur le projet de loi "confortant le respect des principes de la République". Il a débattu avec Marine Le Pen.

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Atlantico.fr : Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin et la présidente du Rassemblement national débattaient jeudi soir sur France 2. L’une des deux figures s'est-elle démarquée ? Gérald Darmanin est-il parvenu à dissiper les doutes de ceux qui pensent que les mots ne sont pas suivis d'actes ?

Arnaud Benedetti : Ce débat a d’abord été survendu par la chaîne, et par une bonne partie des commentateurs politiques. La scénarisation  du duel, très années 1980, avait au demeurant quelque chose de suranné, voire de "ringard". Ce qu’a laissé surtout filtré l’exercice, c’est le décalage entre ce que fut la politique dans son excellence rhétorique il y a plusieurs décennies et ce qu’elle est devenue aujourd’hui. La politique a toujours brillé par les mots, à défaut d’être efficace ou juste ou encore visionnaire.
Aujourd’hui qu’elle apparaît trop souvent impuissante à nombre de nos concitoyens, elle est de surcroît vidée de ce qui faisait son excellence. Marine Le Pen n’est pas parvenue totalement à dissiper le débat raté de 2017. Gérald Darmanin, plus fluide dans son argumentation, n’est pas parvenue à dissiper le jeu de rôle auquel l’assigne son positionnement dans la majorité. Marine Le Pen était comme tétanisée par l’idée de ne rien faire qui puisse démentir son recentrage accéléré tant du point de vue de la forme que du fond ; quant à Gerald Darmanin, tout à sa volonté d’incarner son rôle droitier du macronisme, il est apparu surtout comme l’acteur d’un remake sans surprise : celui du sarkozysme, ce modèle de "professionnalisme" de la politique pour toute une génération de jeunes gens de droite dont la profondeur historique ne va pas au-delà de... 2007. Insuffisance d’un côté, insincérité de l’autre avec parfois une pointe d’arrogance pour le second sont les deux pôles d’une confrontation qui ne restera pas dans les annales... 

Alors que tous les deux veulent affirmer des positions de fermeté, Gérald Darmanin a critiqué la mollesse de Marine Le Pen en affirmant être plus "dur" qu’elle sur l’islamisme. Il a aussi indiqué que islamisme et islam étaient bien liés, contrairement à ce qu’il avait eu tendance à affirmer une semaine plus tôt sur Europe 1. Quel intérêt a-t-il à cette stratégie ? Ne risque-t-il pas d’y laisser l’argument de supériorité morale qu’Emmanuel Macron a toujours brandi face au RN? 

Sur la distance, Marine Le Pen pourrait tirer en effet profit de cette stratégie sans éclat. Elle fait d’abord le pari de sa banalisation, quitte à être médiocre, face à une macronie dont le coefficient de rejet, notamment à gauche n’a cessé de s’accroître au cours du mandat. Tout l’enjeu pour la leader du RN est de neutraliser ses points d’image les plus négatifs pour qu’une partie de l’électorat de gauche, celui du "barrage républicain", préfère par abstention sa candidature à celle du sortant. Il s’agit de démobiliser le potentiel de l’anti-lepenisme historique pour créer les conditions d’une victoire. De ce point de vue, la stratégie de l’affadissement, de la "normalisation" du programme facilite ce parti pris. Au demeurant, le ministre de l’Intérieur a implicitement reconnu que le RN était désormais un parti républicain, démonétisant la ressource "morale" dont le macronisme se voulait porteur en 2017. Darmanin a voulu taper fort sur l’incompétence présumée de son interlocutrice, un peu comme dans les années 70 la droite giscardienne le faisait pour dénoncer la faiblesse économique de François Mitterrand. Outre que la macronie sur le sujet de la compétence doit porter le fardeau de sa gestion très chaotique de la crise sanitaire, ce procès en incompétence porte de moins en moins, notamment lorsqu’il est instruit par une majorité sortante qui sera nécessairement amenée à s’expliquer sur son bilan, le "passif" que François Mitterand en son temps opposa à Valéry Giscard d’Estaing. Darmanin est l’arme prédestinée de Macron pour conquérir l’électorat des classes moyennes et populaires. Mais on ne gagne pas un électorat en le sous-traitant. Darmanin avec son style, s’ il capitalise, ce qui reste à démontrer, le fait exclusivement à son profit. 

Marine Le Pen a de son côté affirmé qu’elle aurait pu signer le livre sur le séparatisme de Gérald Darmanin. Au-delà des mots, les deux personnalités ont-elles effectivement tenu des discours similaires malgré leur opposition sur le texte de loi ? Y-a-t-il eu des différences majeures sur le fond du débat ? 

Elle s’est voulue mesurée, modérée, présentable, constructive. Toute à son entreprise d’indifférenciation, elle polit sa personnalité, faisant confiance à sa marque héritée de l’histoire pour incarner l’idée de rupture à laquelle une grande partie de son électorat est acquise. Elle se dissocie personnellement de cette marque, lui déléguant la fonctionnalité de réceptacle des colères, tout en se construisant une image personnelle loin des aspérités dont elle est soupçonnée d’être l’héritière. C’est un exercice complexe que d’être et de ne plus être, mais c’est par cette "porte étroite" qu’elle entend se présidentialiser, au risque de perdre en attractivité charismatique ce qu’elle espère engranger en acceptabilité. Elle donne des gages à un système que toute l’histoire de son mouvement a combattu, elle montre patte blanche en quelque sorte avec le risque de ne plus avoir de patte le moment venu pour certains de ses électeurs. La dédiabolisation a son revers : elle rompt le charme de la transgression, et l’un des moteurs de la dynamique historique du lepenisme c’est aussi d’être transgressif. Assumera-t-elle cette stratégie immunitaire jusqu’au bout ? Si oui, c’est qu’elle vise une élection par défaut, un peu comme Hollande en 2012.
Sur le fond du débat, l’un et l’autre étaient en terme de postures quelque peu à front renversé - ce que n’a pas manqué de faire observer le ministre. La réalité qui s’est imposée peut-être c’est que ces deux offres politiques dominantes sur la scène nationale apparaissent fortement contraintes dans la réponse qu’elles entendent apporter à la menace islamiste. Le débat aura surtout démontré que le projet de loi du gouvernement posait plus de difficultés qu’il ne fournissait de solutions, contribuant à détricoter l’apaisement avec les religions que la pratique de la loi de 1905 avait installé dans le pays. 

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