Valls superstar au Medef ou la misère d’un monde où les entreprises en sont réduites à se réjouir des signaux du gouvernement en oubliant la logique mortifère du Pacte de responsabilité<!-- --> | Atlantico.fr
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Manuel Valls a été reçu chaleureusement par Pierre Gattaz, le président du Medef.
Manuel Valls a été reçu chaleureusement par Pierre Gattaz, le président du Medef.
©REUTERS/Benoit Tessier

Clap clap

"J'aime l'entreprise", a déclaré mercredi 27 août le Premier ministre lors de l’université d'été du Medef. Le défenseur du Pacte de responsabilité s'est vu gratifier d'une standing ovation par les patrons réunis à Jouy-en-Josas, qui semblent avoir oublié que ce n'est pas dans une logique de "donnant-donnant" entre le politique et l'économique que les investissements et l'emploi reviendront au beau fixe.

Bernard Marois

Bernard Marois

Bernard Marois est Docteur en Sciences de Gestion et professeur émérite en finance à HEC ainsi que Président du Club Finance HEC qui réunit plus de 300 professionnels de la finance.

Il est  également consultant auprès de grandes banques et d'organismes internationaux et travaille dans le domaine du "private equity" à travers un fonds d'amorçage dédié aux "start-ups".

Il a publié plus d'une vingtaine d'ouvrages dont Les meilleurs pratiques de l'entreprise et de la finance durables, à l'automne 2010.

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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : A l’occasion de l’université d’été du Medef ce mercredi 27 août Manuel Valls a été ovationné par les chefs d’entreprise présents, qui continuent de se montrer favorables au Pacte de responsabilité alors même que Michel Sapin reprochait le 18 août à ceux qui avaient bénéficié du crédit d’impôt de ne pas prendre des décisions en faveur de l’emploi. Dans quelle mesure la logique du gouvernement relativement au pacte de responsabilité est-elle mortifère ? Et en quoi le soutien renouvelé du patronat  au gouvernement témoigne-t-il de l'adhésion de ce dernier à cette logique ?

Eric Verhaeghe :  Pour simplifier le propos, je dirais que nous avons le patronat le moins libéral du monde. Alors que les entreprises ont, légalement, tous les moyens (ou en tout cas beaucoup) nécessaires pour négocier elles-mêmes des normes dérogatoires adaptées à leurs problèmes de compétitivité, le patronat français continue à attendre de l'Etat qu'il règle tous ses problèmes. Il est quand même extrêmement paradoxal d'entendre des chefs d'entreprise se plaindre autant de l'excès de réglementation (ce qui me paraît, en l'espèce, une juste plainte) tout en quémandant à tout bout de champ des réglementations nouvelles supposées apporter la croissance.

De deux choses l'une, soit on croit vraiment que l'entreprise est à l'origine de la croissance et on l'assume, soit on attend que le papa Etat règle tout et on arrête la fiction du marché. Alors que les pays qui nous servent de modèle, comme l'Allemagne, ont un patronat qui assume sa part de responsabilité en prenant l'initiative de négociations difficiles avec les partenaires sociaux - des négociations qui changent la donne, le patronat français reste convaincu que le sauveur en dernier ressort de la situation économique, ce sont les bureaux de la direction du Trésor, avec leur panoplie d'armes réglementaires. Il y a bien un sujet français... qui consiste à vouloir le beurre et l'argent du beurre.

Bernad Marois : Le patronat est très content de voir Arnaud Montebourg être remplacé par Emmanuel Macron, qui dispose d’une expérience bancaire, d’une connaissance du monde réel. Il s’agit certes d’un technocrate, mais au moins il n’est pas un homme politique classique, et sera donc plus actif pour mettre en place les réformes nécessaires.

Le patronat est aussi ravi que le pacte soit mis en place. Cependant ce dernier met du temps à être mis en œuvre, et seulement 5 à 7 milliards d’euros sur les 50 milliards prévus y ont pour l’instant contribué. De toute façon ce n’est pas tant cette somme qui compte que les réformes. On sait pertinemment que tant que les dépenses publiques représenteront 57 % du PIB l’économie aura du mal à redémarrer.

Le soutien renouvelé du gouvernement est dangereux car on sait que la création d’emplois n’est possible que si des investissements sont faits, investissements qui ne sont réalisables qu’en situation de croissance et de marges restaurées. Or on ne voit rien de tout cela. Le Pacte de responsabilité ne suffit pas : le commerce extérieur est largement déficitaire, le déficit public n’a pas diminué, et on ne peut pas s’attendre à un retournement avant un certain nombre de mois ou d’années.

Plutôt que d’adhésion, je parlerais d’un soulagement chez les patrons de voir partir l’ingérable Montebourg, qui était plutôt générateurs de difficultés pour les entreprises. Une fois terminée la réunion sympathique du Medef à Jouy-en-Josas, il faut passer aux choses sérieuses, car la logique du "donnant-donnant" et par trop malsaine, et ce n’est pas ainsi que l’on inversera la courbe du chômage.

Comment le Medef en est-il arrivé à entretenir l’illusion selon laquelle un système de contreparties avec le gouvernement pourrait permettre de relancer l’investissement et la création d’emplois ? Face à la situation économique actuelle, les chefs d’entreprise sont-ils eux-mêmes en perte de repères ?

Eric Verhaeghe :  Il me semble que le Medef est en crise et qu'il est revenu aux thématiques du CNPF. Son enjeu est moins la défense de l'entreprise en France, que la défense du patrimoine des patrons. Le monde n'a que faire, d'ailleurs, de voir que la France est aujourd'hui incapable de fabriquer une tablette ou un smartphone, qui sont pourtant devenus les produits de croissance de l'économie. Le sujet du Medef est de baisser la fiscalité sur le patrimoine existant, pas de créer le patrimoine de demain. Je ne pense pas que beaucoup de patrons soient dupes de cette revendication, même si cette revendication est importante pour eux. Quand Pierre Gattaz assurait que baisser les charges à hauteur de 100 milliards permettrait de créer un million d'emplois, il faisait un slogan qui n'engageait personne. Ce qui est fascinant est de voir que les fonctionnaires et les apparatchiks qui sont au gouvernement aient pu tomber dans cette illusion au nom d'un amour purement idéologique de l'entreprise. Il ne suffit malheureusement pas de dire "j'aime l'entreprise" pour devenir entrepreneur ni pour comprendre ce qu'est une entreprise.

Bernad Marois : Au-delà du soulagement, c’est la perception selon laquelle le gouvernement va suivre une ligne plus social-libéral, avec plus d’efforts consacrés au rétablissement de la situation économique, qui contribue à l’euphorie. Mais il faut se méfier de l’effet grossissant, car le Medef est surtout une fédération d’entreprises aux tailles et des fonctionnements très divers. Les grandes entreprises sont internationalisées, continueront dans cette dynamique et souffrent donc moins de la situation économique française. Les PME sont beaucoup plus franco-françaises, or on ne constate pas le début d’un effort, d’une réforme structurelle, envers ces dernières. D’ailleurs Emmanuel Macron est plus à l’aise avec les grandes entreprises qu’avec les petites. Il faudra le juger à partir de ses premières décisions.

Les frondeurs critiquent Manuel Valls pour son soutien au Medef, pourtant Jean-Marc Ayrault tenait à peu de choses près le même discours en 2012 : "A vous qui inventez, qui prenez des risques, vous pouvez compter sur le soutien du gouvernement. Nous avons besoin de vous pour réussir le redressement du pays." Députés comme patrons ont-ils la mémoire courte ?

Eric Verhaeghe :  Je ne confondrais pas l'université d'été du Medef, qui est un microcosme infime et très parisien, avec les "patrons". Je connais une ribambelle de patrons qui ne savent même pas que le Medef tient son université d'été en ce moment, et je connais plein de gens qui sont à l'université d'été du Medef et qui ne sont pas patrons. Là encore, méfions-nous du window-dressing médiatique. L'université d'été du Medef doit grosso modo réunir 5 000 personnes chaque année, et moins de 1.000 d'entre eux, à mon avis, sont des patrons au sens propre. On y trouve une kyrielle de lobbyistes et de salariés des entreprises qui ne sont en aucune façon des patrons. Cela dit, le Medef mise sur le pacte de responsabilité et soutient assez logiquement un Premier Ministre qui leur dit ce que les adhérents du Medef ont envie d'entendre. C'est une logique de posture. A de nombreux égards, Manuels Valls est pourtant beaucoup moins docile que Jean-Marc Ayrault. Il a par exemple remis en cause l'accord chômage du 22 mars, ce qu'Ayrault n'aurait jamais fait. Ce simple examen montre bien qu'au-delà de la standing ovation d'un jour, l'enjeu est de savoir comment réformer la société. Valls est un jacobin, et on peut penser que son envie de réglementer pour changer les choses n'apportera pas la rupture de méthode dont l'économie française a besoin.

En l’absence de résultats de la part du gouvernement sur le front de l’emploi et de la croissance, le Medef ne risque-t-il pas d’être associé à cet échec ? Cela pourrait-il profiter à toutes sortes de discours populistes ?

Eric Verhaeghe :  Je dirais oui et non. Soyons clair : l'idée répandue selon laquelle une entreprise existe pour créer de l'emploi est une vaste foutaise. Une entreprise existe pour vendre ses produits. Si la vente permet de créer de l'emploi, tant mieux. Mais une entreprise choisira toujours de sacrifier l'emploi au nom de ses bénéfices si elle doit faire un choix entre les deux. Imaginer le contraire relève de l'idéologie. Que le MEDEF rentre dans ce jeu, en cherchant à faire croire que l'entreprise est obsédée par l'emploi et qu'elle s'engage dans cette mission est un jeu contre nature qui montre bien dans quelle aberration la France navigue. Les chefs d'entreprise, en France, sniffent de la subvention à tour de bras pour échapper au marché. Dans ce jeu malsain, la confédération patronale est prête à dire n'importe quoi pour satisfaire son addiction. Mais nous savons tous que l'essentiel des mesures du pacte que le gouvernement prépare profitera à des entreprises publiques comme la Poste et à d'autres canards boîteux de l'économie d'hier que l'on cherche à préserver artificiellement. Les emplois que le pacte sauvera ne seront sauvés que transitoirement. Tout cela ressemble à du soin palliatif, plus qu'à de la thérapie.

Bernad Marois : Vous pouvez être sûr que d’ici quelques semaines ou moins le Medef va revenir à la charge en reprochant au gouvernement ne pas en faire assez. En effet il est clair que d’ici le fin de l’année le chômage ne commencera pas à se résorber.

Cela va encore donner du grain à moudre aux discours populistes fondés sur la relance de la consommation, quitte à déstabiliser les piliers sur lesquels s’appuie l’économie : retour vers l’équilibre budgétaire, et freinage de l’augmentation de la dette publique. Si le discours populiste l’emporte, le choix d’une politique économique de la demande nous ferait sombrer dans le syndrome grec ou argentin. Les marché surveillent de très près la France, par conséquent s’ils en viennent à considérer qu’aucune amélioration n’a été faire sur le plan structurel dans les 6 mois à venir, les taux d’intérêt pourraient augmenter de nouveau, ce qui serait catastrophique. On attend les premières mesures d’ici Noël, après il sera trop tard.

Pierre Gattaz s’est aussi réjoui ce mercredi de la nomination au ministère de l’économie d’Emmanuel Macron, qui selon lui "connaît l’entreprise, l’économie de marché et la mondialisation". Or c’est le même Emmanuel Macron qui a conceptualisé le programme économique de François Hollande. La situation économique et l'incapacité à penser la sortie de crise sont-elles telles que nous en sommes aujourd’hui arrivés à nous réjouir de ce choix ministériel ?

Eric Verhaeghe :  Là encore, je distinguerais les propos du président du Medef et le réflexe patronal moyen. Cette espèce de croyance en un ministre est tout sauf libérale. Imaginer qu'un homme suffit à sauver un système économique est une aberration. En revanche, je veux bien croire que beaucoup de détenteurs de patrimoine imaginent que Macron fera leur jeu et qu'il les défendra à titre personnel. Je comprends cette espérance, mais là encore c'est une logique CNPF plutôt que Medef. L'enjeu n'est pas de développer une nouvelle économie en France, mais de défendre des avantages personnels acquis. Tout cela n'est guère sérieux. Pour sortir de la crise, les remèdes sont connus; il faut investir dans la nouvelle économie, et se donner des marges de compétitivité en laissant flotter l'euro.

Bernad Marois : Emmanuel Macron n’a pas encore fait ses preuves, on ne gère pas un Etat comme on gère une banque. Même s’il a été le conseiller de François Hollande, il l’a été dans le cadre d’une course à l’élection. Or nous nous trouvons aujourd’hui à un tournant très important pour l’économie française, qui est contrainte par l’endettement et le déficit budgétaire et commercial. Le gouvernement a peu de chances de réussir, mais il a encore l’occasion d’essayer ces deux à trois prochains mois. Méfions-nous de l’euphorie momentanée, ce sont les premières mesures prises qui seront déterminantes.

Propos recueilis par Gilles Boutin

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