Valls, Rossignol, Plenel… Quand la gauche se noie dans le débat sur le burkini, passant à côté des vraies questions sur islam et laïcité<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Valls, Rossignol, Plenel… Quand la gauche se noie dans le débat sur le burkini, passant à côté des vraies questions sur islam et laïcité
©Reuters

Burkini Gate

Alors que Manuel Valls a apporté ce mercredi son grain de sel à la polémique sur l'interdiction du burkini, cet épisode vient une nouvelle fois exposer les défis que pose aujourd'hui l'islam au modèle de laïcité à la française. Pas sûr toutefois que nos décideurs politiques se posent les bonnes questions.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

Voir la bio »

Atlantico : Ce mercredi, Manuel Valls a apporté dans les colonnes de La Provence (voir ici) son soutien aux maires prenant des arrêtés contre le port du burkini, parlant de "vision archaïque". Lundi, la ministre des Droits des femmes, Laurence Rossignol, était allée dans ce sens, tout en pointant du doigt néanmoins les "arrière-pensées politiques" de telles interdictions. Que peut-on penser de cette nouvelle mise à l'agenda politique des questions de laïcité dans l'espace public, dans le contexte actuel que nous connaissons ? En quoi ce nouveau débat sur le burkini marque-t-il une rupture dans le traitement de la laïcité, notamment de la part du gouvernement ? En quoi ce cas est-il aussi symbolique ?

Vincent Tournier : Avec ces déclarations, le gouvernement a adopté une position relativement ferme et claire qui a pu surprendre. S’il n’y avait pas eu les attentats de l’été, aurait-il réagi différemment ? C’est possible car, si on analyse en détail cette séquence, on voit que la réaction n’a pas été très rapide. La polémique sur le burkini a commencé au tout début du mois d’août lorsque des élus FN et LR ont révélé qu’une association de Marseille projetait de privatiser un centre aquatique afin d’organiser une journée réservée aux femmes en burkini et aux enfants de moins de 10 ans. Cet événement avait un caractère pour le moins original et dérangeant, y compris dans son côté paradoxal (à quoi bon imposer le burkini puisqu’il n’y a que des femmes et des enfants ?) ; en même temps, il a révélé une réalité associative méconnue qui consiste à prendre en charge une demande sociale de non-mixité dans les activités de loisirs.

Face à la polémique naissante, le maire de la commune a décidé d’annuler cette journée. Le débat a été relancé le 11 août, lorsque les médias ont révélé que, dès le 28 juillet, le maire de Cannes avait pris un arrêté contre le burkini. Le 12 août, le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) a engagé un recours en référé devant le tribunal administratif de Nice, qui a été rejeté le 13. Finalement, le 15 août ont eu lieu les événements de Sisko en Corse et, dans la foulée, plusieurs communes du littoral ont annoncé qu’elles adoptaient des arrêtés similaires.

Durant ces deux semaines de polémiques, le gouvernement est resté totalement silencieux. Ce n’est que le lundi 15 août que Laurence Rossignol, ministre des droits des femmes, a pris position en qualifiant le burkini de « profondément archaïque ». Le 17 août, le premier ministre s’est exprimé à son tour dans La Provence en expliquant que le burkini « n’est pas compatible avec les valeurs de la France et de la République », disant aussi comprendre la réaction des maires qui ont pris des arrêtés d’interdiction.

Le caractère tardif de cette prise de position incite à penser que les débats ont été importants au sein de l’exécutif. Manuel Valls ne pouvait pas rester silencieux car, après les attentats de Nice et de Saint-Etienne-du-Rouvray, l’opinion est manifestement à cran, comme on a pu le constater avec la violente panique qui s’est emparé des estivants à Juan-les-Pins. La difficulté est cependant que le sujet est très sensible à gauche. Benoît Hamon, qui vient de se déclarer candidat à la primaire, a par exemple pris ses distances avec Manuel Valls. De plus, on ne sait toujours pas ce qu’en pense François Hollande. Enfin, le gouvernement a annoncé qu’il n’a pas l’intention de légiférer, ce qui est contradictoire avec la dramatisation que vient de faire le premier ministre. Bref, les divisions de la gauche continuent de favoriser un statu quo anxiogène et insécurisant puisque le gouvernement dit : la situation est grave mais on ne fait rien. Pourquoi ce manque de réactivité ? Est-ce parce que les autorités espèrent que les choses vont se calmer d’elles-mêmes, ou plus vraisemblablement parce qu’il est encore trop tôt pour dévoiler ses stratégies pour 2017 ? En effet, la polémique sur le burkini tombe mal par rapport au calendrier électoral. Les candidats de gauche, notamment au PS, savent qu’ils vont devoir faire des choix difficiles mais ils ont sans doute envie de reculer les échéances, espérant y voir plus clair dans les mois qui viennent. Dans tous les cas, ils devront quand même trancher car on imagine mal qu’ils se présentent devant les électeurs sans adopter une posture claire : soit ils reconnaissent et assument la présence d’une contre-culture islamique, soit ils affirment un ancrage républicain. Aucune de ces deux options ne sera simple à assumer et aura un coût électoral, qui sera lui-même fonction des événements à venir, surtout si de nouveaux attentats se produisent. Quelle que soit l’orientation choisie, les candidats devront justifier leur position et annoncer des mesures précises. Il ne suffira pas de dire, comme l’a fait François Hollande en 2012, que l’on va intégrer la laïcité dans la Constitution, ce qui n’a d’ailleurs pas été fait. Les questions de fond pourront difficilement être esquivées : faut-il conserver en l’état la loi de 1905 ? Si non, dans quel sens va-t-on la réviser ? Faut-il par exemple instaurer un nouveau concordat comme certains le suggèrent ? Ce sont certes des questions lourdes, mais l’islam ne laisse guère le choix, vu les défis considérables qu’il lance.

>>>>> A lire aussi : Burkini ou Burki no ?

Par ailleurs, Manuel Valls est également allé dans le sens des récents propos de Jean-Pierre Chevènement, indiquant que "l’islam, comme les autres religions l’ont fait, doit accepter la discrétion dans la manifestation des convictions religieuses". Pour autant, en quoi cette notion de "discrétion", plutôt floue, peut-elle encore conduire à éviter le débat ? 

Cet appel à la discrétion peut sembler judicieux, mais il a quelque chose d’embarrassant. Si on est cynique, on peut l’interpréter comme une forme d’hypocrisie. En somme, on dit aux musulmans : vous avez le droit de défendre des valeurs rétrogrades et sexistes, mais à condition de rester discret. Car c’est bien le cœur du problème : le burkini officialise le fait qu’il existe en France une sous-catégorie de femmes,  ce qui fait effectivement désordre au pays de l’égalité, surtout pour un gouvernement qui entend lutter contre les préjugés et les discriminations liés au sexe. En outre, l’opinion a du mal à comprendre comment des femmes peuvent exhiber un tel apparat alors que la France vient de connaître les pires attentats de son histoire, commis justement au nom d’une idéologie qui se donne pour objectif de généraliser ce type de vêtements. On se demande d’ailleurs pourquoi ces femmes ne comprennent pas d’elles-mêmes que leur attitude est choquante, surtout si elles se disent françaises et solidaires des victimes.

Car si le burkini constitue un sujet aussi sensible aujourd’hui, ce n’est évidemment pas un hasard. C’est parce qu’il vient brouiller la frontière entre l’islam et l’islamisme, qui constitue la base de la doxa actuelle des élites. Or, comment peut-on faire la différence entre l’islam et l’islamisme, entre les modérés et les radicaux, si les musulmans sont amenés à défendre des pratiques dont ils admettent eux-mêmes qu’elles sont radicales, pratiques qui sont supposées appartenir à la minorité dévoyée et intégriste ? Le brouillage est d’autant plus fort que c’est le CCIF, organisme qui incarne la mouvance radicale, qui se trouve en pointe dans la défense du burkini et qui semble parler au nom de la population musulmane. Même le CFCM (Conseil français du culte musulman), qui est censé représenter la voix de la modération et de la sagesse, vient de prendre position en faveur du burkini en expliquant que celui-ci ne relève pas de l’intégrisme. Ces prises de position sont extrêmement préoccupantes. Elles donnent l’impression que ce sont les radicaux qui mènent la barque. Comment dès lors donner du crédit à l’argument selon lequel les fondamentalistes ne représentent qu’une minorité négligeable et dénigrée ?

Mais l’appel à la discrétion soulève un autre problème. L’idée implicite est qu’il est possible de reproduire avec l’islam ce qui a été fait avec le catholicisme, c’est-à-dire une sorte de privatisation de la spiritualité et du culte. Or, c’est oublier que l’islam lance un défi totalement nouveau. Ce caractère inédit est allégrement oublié par ceux qui lancent des appels incantatoires à la loi de 1905 et qui font valoir, pour justifier le burkini, que cette loi garantit la liberté de culte et de conscience. Certes, mais le problème n’est pas là. Dans l’affaire du burkini, personne n’a remis en cause la liberté de culte ou de conscience des musulmans ; personne ne leur interdit de croire, de prier ou d’aller dans leurs lieux de culte. Le problème est plutôt que l’islam génère des pratiques qui n’ont pas été prévues par la loi de 1905. Et pour cause : à l’époque, il n’y avait quasiment aucun musulman en France. Par exemple, la loi n’a pas prévu que des gens voudraient prier cinq fois par jour à des horaires imposés, y compris sur le lieu de travail. Elle ne dit rien non plus sur les signes religieux à l’école ou sur le port de la burqa dans la rue. C’est bien pourquoi il a fallu adopter de nouvelles lois en 2004 et 2010. Et bien sûr, la loi ne dit rien sur le burkini.

 Donc, sacraliser la loi de 1905 en considérant que celle-ci doit permettre de tout résoudre, c’est au mieux n’avoir rien compris au problème, au pire faire preuve de sectarisme idéologique. D’ailleurs, ceux qui se disent très attachés à cette loi ne font pas preuve de la même ardeur à la défendre lorsqu’elle est réellement bafouée, par exemple avec les prières de rue. La question de la discrétion du culte musulman reste donc entière. Et on ne voit pas comment un simple appel public pourra faire évoluer fortement les choses.

A l'inverse, d'autres personnalités, comme Edwy Plenel, ont souhaité pointer le traitement "fanatique" fait au burkini en France, notamment en redirigeant vers un article du Telegraph (voir ici) et en publiant sur Twitter une photo montrant des Françaises tout habillées sur la plage en costume d'époque datant du début du XXe siècle. Que peut révéler un tel positionnement ?

Le fait d’utiliser le terme de fanatisme est tout de même problématique. Il faut avoir le sens de la mesure et le sens des mots, surtout dans le contexte actuel où des centaines de personnes sont mortes à cause du fanatisme, le vrai celui-là.

Par ailleurs, il est pour le moins paradoxal de dénoncer la stigmatisation et la discrimination dont souffrent les musulmans, alors que ceux-ci revendiquent le droit d’afficher leurs différences dans l’espace public. Non seulement la période ne s’y prête guère, mais en plus, cette affichage manifeste un manque de considération à l’égard des conventions sociales qui régissent la société française. Comment peut-on demander à être traités « comme les autres » tout en refusant les usages élémentaires de la convivialité et de la sociabilité ?

Concernant la photo diffusée par Edwy Plenel, il y a là quelque chose qui illustre la confusion qui règne aujourd’hui dans une partie de la gauche. Que veut dire Plenel avec cette photo ? Il entend rappeler que la France a aussi connu une époque où le corps des femmes était caché. Donc, il n’y a pas de raison de s’offusquer aujourd’hui. Passons sur le fait que, à la Belle-époque, les hommes eux aussi portaient des maillots longs, ce qui veut dire que le maillot intégral était moins le signe d’une domination sur les femmes (par ailleurs bien réelle) que l’expression d’une pudeur plus forte qu’aujourd’hui.

Le raisonnement de Plenel soulève un problème plus fondamental : celui du rapport à l’histoire et au temps. C’est toute la question du progrès. La conception classique de l’histoire, qui a profondément imprégné l’imaginaire de la gauche, consiste à penser que le passé est pire que le présent et qu’il doit être dépassé pour aller vers quelque chose de supérieur. Avec cette photo, Edwy Plenel paraît renier cette vision. Il semble dire : il faut désormais accepter que ce passé soit notre avenir, que ce monde archaïque que nous pensions avoir quitté n’est pas si archaïque et se trouve même devant nous. On ne cachera pas qu’il y a aussi une bonne dose de mauvaise foi dans son raisonnement car que dirait-il si des partisans du Front national utilisaient la photo d’une exécution capitale pour justifier le rétablissement de la peine de mort ? Il serait évidemment scandalisé et n’aurait de cesse de dénoncer un projet rétrograde. Mais là curieusement, parce qu’il s’agit de l’islam, cette comparaison avec le passé ne lui pose aucun problème, ce qui en dit long sur les renoncements que certaine sont prêts à effectuer au nom de leur idéologie.

En tout cas, face aux critiques qu’il a reçues sur twitter, Edwy Plenl a cru bon de se défendre en précisant que son but est de défendre la liberté de chacun. Mais cette réponse pose d’autres problèmes. D’abord, elle laisse entendre que, pour lui, les femmes de l’époque étaient libres de s’habiller comme elles le voulaient. Ensuite, cette mise en avant de la liberté individuelle laisse sceptique. Ramener le problème du burkini à une simple question de liberté, c’est dépolitiser le sujet. C’est refuser de voir qu’il existe des projets de société, que ce soit aujourd’hui avec le burkini, ou hier avec l’interdiction du bikini ou du pantalon. Ni le bikini, ni le burkini ne peuvent être dissociés d’un ensemble de valeurs qui leur donnent un sens. C’est ce qu’a voulu dire Laurence Rossignol en soulignant que le burkini n’est pas juste un nouveau modèle de maillot. Qui plus est, mettre en avant le fait que les femmes sont volontaires pour porter le burkini ne change rien au problème : cela ne fait que souligner que ces femmes adhèrent à une certaine vision du monde que l’on peut partager ou refuser.

Reconnaître cette diversité de projets de société est indispensable parce qu’il n’est pas évident que tous soient compatibles avec cette liberté individuelle à laquelle Edwy Plenel se déclare attaché. Certes, on peut rester optimiste en se persuadant que ces différents projets de société peuvent coexister pacifiquement. L’histoire invite quand même à être prudent. On peut toujours rêver à une société très diversifiée, dans laquelle il sera possible de croiser sur les plages autant de burkinis que de bikinis, le tout vivant en parfaite entente et harmonie. Sauf que, pour l’heure, ceux qui soutiennent les burkinis ont un projet de société qui n’inclut pas les bikinis. Et ils le font savoir les armes à la main.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !